Les GolgothEs s’assoient sur les Assises
« On évoque le droit au logement, mais c’est un faux débat. Pourtant le droit au logement est un droit fondamental […] En droit positif, dans notre droit français, cela constitue une violation du droit à la propriété ». Ce sont à peu près les termes de Maître Dünner. Il parle de squat. Ça se passe en janvier 2004. Maître Dünner est alors l’avocat qui défend un propriétaire. Celui-ci s’appelle Alain Ogier. Alain Ogier fit assigner en justice les habitantEs de Golgoth-a-XXX dès novembre 2003, c’est-à-dire dès qu’il apprit que les méchantEs GolgothEs occupaient la maison dont il est l’un des propriétaires en indivision et que lui et ses copropriétaires laissaient vide et inutilisée depuis près de deux ans. Rassurez-vous, les expropriateureuses, dans l’histoire, n’ont même pas eu besoin de mettre touTEs ces propriétaires à la rue puisque ces dernierEs en possèdent d’autres qui leur servent aisément de maisons d’habitation… Faut-il dire qu’à l’issu de ce procès, le juge tendit plutôt l’oreille aux cris plaintifs de la propriété privée qui voyait sa sacro-sainteté remise en cause de nouveau par des robots peu « recommandables »? Non seulement l’expulsion fut prononcée, mais la menace était tellement grande que le juge refusa d’accorder le moindre délai, pas même ce gadget qui permet à l’ordre moral de se donner bonne conscience et qui s’appelle « trêve d’hiver ».
La bonne conscience donc… C’est ce petit truc qui permet au système étatique de jouer sur deux facettes… Il va réprimer celleux qui ne se soumettent pas à ses normes oppressantes… Mais en même temps, il va développer tout un arsenal d’outils qui vont lui donner un visage généreux… On peut appeler ça l’humanisme, et c’est d’un bon vieux relent religieux tout ça. Et l’humanisme se donne souvent en spectacle car il faut bien consolider les structures du système via des médiums prégnants. L’un des plus flagrants qu’on ait pu voir sur Grenoble et alentours ces derniers temps, ce sont les Assises Sociales du Logement en Isère. Les institutions étatiques font plaisir et se font plaisir… Elles invitent associations institutionnelles, collectifs subventionnés, assistantes sociales, architectes ou autres experts en gestion de nos espaces et de nos vies. Elles s’invitent quoi. Alors, le but c’est de reconnaître qu’il y a des problèmes de logements. Oui, il y a des gens à la rue alors qu’il y a davantage de maisons vides… Oui, il y a des gens qui vivent dans des lieux insalubres… Mais en même temps, on se fait plaiz parce qu’on s’autocongratule… C’est la fête du logement social. Le logement social ne cesse d’avancer. On fêterait même son centenaire cette année si on en croit l’exposition qui accompagne ces Assises Sociales. Récemment, elle était posée dans le quartier populaire de la Villeneuve à Grenoble. Son titre exact : « Un siècle d’habitat social. Les chemins de la solidarité ». L’ambition est de traiter de la question du logement à Grenoble et en France en des termes élogieux… Si vous voulez voir à quoi ressemble une exposition de propagande démocratique, passez au 97 galerie de l’Arlequin. Peut-être qu’elle y est encore. Vous verrez que l’expo trace l’histoire de ces aventuriers de l’urbanisme, de ces grands bâtisseurs d’entreprises sociales… Tout ça c’est de l’engouement jusqu’au cou. Mais attention, on est en démocratie et on cultive aussi l’esprit critique ; alors on fait place aux couacs, on évoque des luttes et que comment l’Etat a été à leur chevet en prenant en compte ce qu’elles réclamaient. Evidemment on évoque « l’abbé Pierre et l’hiver 54 », tout un mythe barbu et barbant. Mais aussi des locataires qui « s’organisent » [sic] dans les années 1910 contre les expulsions locatives… Mais tout ça est déjà loin parce qu’on nous montre des photos de taudis d’époque qui nous font dire qu’aujourd’hui dieu merci ça n’existe plus. Car il n’y a pas de photos de taudis pour les périodes plus actuelles. Aujourd’hui on ne verrait plus de photos de personnes faisant la queue à une fontaine publique pour remplir des jerricans d’eau. Tout le monde a l’eau. L’électricité aussi. Bon il y a les personnes à qui on a coupé tous ces fluides parce qu’elles n’étaient pas assez « solvables ». Du coup elles s’éclairent à la bougie et se chauffent avec du chauffage d’appoint avec tous les risques que ça encourt. Au fait, GEG (Gaz Electricité de Grenoble, société locale distributrice de ces dits fluides et très liée à ladite mairie) a pour habitude de refuser de donner un contrat d’abonnement aux squats qui en font la demande sous prétexte que les propriétaires ne seraient pas contentEs.
Toujours dans l’exposition, on évoque mai 68. C’est marrant. Alors c’est sous ces termes :
Le titre : « Sous les pavés, de nouvelles attentes »… Ça sent la récupération à plein nez : les perspectives révolutionnaires de 68 (d’ailleurs et d’aujourd’hui) critiquent l’attentisme… parce que justement on a rien à attendre de ce qui nous oppresse… Or, les voici réduites à des « attentes », pas de chance. Mais le pire reste à venir car à la suite de ce titre est collé un extrait de la Charte de la Sorbonne, et ce n’est pas innocent :
« Etudiants, travailleurs, nous refusons la société de consommation. Nous avons tort. Tout le monde doit consommer et produire pour que tout le monde, au bout du compte, puisse consommer ce qu’il produit. Production et consommation ne doivent plus être séparées par les pièges distributifs : l’ensemble des travailleurs ne peut consommer que ce que l’ensemble des travailleurs produit. L’ensemble des travailleurs doit choisir ce qu’il veut consommer pour savoir ce qu’il doit produire ».
Comme tout extrait, extrait de son contexte dialectique, c’est la porte ouverte aux interprétations les plus antagonistes. La dernière phrase, prise en dehors d’une critique radicale de la société capitaliste, peut sonner comme un refrain d’économie libérale (c’est la logique de la libre demande à laquelle va venir répondre la subtile offre tout aussi libre dans un monde où la liberté s’achète). Autour de ce texte sont posées cinq photos de grands ensembles. Ces photos reflètent un peu le tableau qui se trouve à côté et qui s’intitule « La maison individuelle pour tous ». Dans ce tableau, il y a des photos de banlieues pavillonaires des années 70. Il y en a même une où Georges Pompidou (président de la république française entre 1969 et 1974) s’amuse à tourner un robinet dans une de ces maisons. Les images du bonheur. Et à côté, des commentaires disent qu’en gros, jusqu’en 1965, il n’y a eu que des « logements collectifs » de construits « alors que, selon les sondages, 65 à 82% des Français souhaitent une maison traditionnelle » et que « après les Villagexpos, le concours lancé par le Ministre Albin Chalandon en 1969 marquera le nouveau départ d’un urbanisme beaucoup mieux adapté aux conditions de vie de l’homme moderne ». Voilà, les attentes des révolutionnaires de 68 sont comblées maintenant tout le monde rentre chez soi.
Mais ce n’est pas tout, on va bien parler des squats un moment donné dans cette exposition… Gagné. Il y a même tout un tableau. Il s’intitule « Squatters et Castors : Agir d’abord! »… Mais voilà c’est encore renvoyé à des époques lointaines parce que ça évoque un mouvement des années 1950 : « Dès 1945, des militants des mouvements familiaux [ça sonne bizarrement chrétien ça, mais bon passons] se lancent dans des actions de squattage. Parmi eux, une véritable héroïne, l’angevine Christine Bisset [il faut toujours des héros, ça fait parti du romantisme révolutionnaire, non?]. En 10 ans, elle fera reloger 800 familles! Sa révolte se double de sa confiance dans le dynamisme de forces populaires : partisane de l’auto-construction, elle sera fondatrice, en 1950, de la Société des Castors angevins. Avec elle, le Mouvement Castors prend son élan : échange de compétences, apport travail [sic], temps pris sur les loisirs, permettront à des milliers de familles de construire leur chez soi ».
A première vue ça a l’air chouette tout ça… ça ressemble beaucoup aux principes d’autogestion prônés par les squats anarchistes… Mais un texte plus loin va vite nous refroidir… C’est un article paru dans Ouest-France qui parle de l’inauguration de la Cité des Abeilles en juillet 1954, cité construite par le mouvement Castors près de Quimper. On apprend que cette inauguration fut faite suivant des pompes très officielles : une messe solennelle fut donnée en présence de l’évêque de Quimper ainsi que du préfet et du président du Conseil Général du Finistère héhé. On n’a pas trop de mal à imaginer que cette inauguration fut l’occasion d’une grand-messe libérale ; on a dû faire sans problème la promotion des initiatives responsables et citoyennes qui en plus se passent (totalement) de subventions : l’Etat en sort plus fortifié dans son estime et dans ses caisses… Encore un exemple de pseudo-contestation que le pouvoir s’empresse de récupérer. Pseudo-contestation parce qu’elle reste dans les cadres dans lesquels elle veut bien qu’on l’enferme…
Récemment, durant un forum des Assises Sociales du Logement à Grenoble, une personne a interpellé le maire Destot sur le fait qu’il était en train de parler de politique sociale en terme de logement et d’urbanisme et qu’en même temps, il n’hésitait pas à appeler les flics pour expulser des squatteureuses ou les occupantEs d’un parc qui s’opposent à sa destruction . Cette personne a été éconduite par un gentil citoyen qui portait un badge « un toit c’est un droit » en disant qu’il fallait respecter ses invités. Il avouait implicitement que cette personne un peu contestataire n’était pas la bienvenue. C’est drôle .
Ce qui est drôle aussi c’est lorsque l’argument du logement social sert à créer des antagonismes entre les « pauvres »… Pour expulser un squat , les institutions vont user de bien des arguments aux sentiments bienveillants comme « la sécurité » du lieu (en se réfugiant derrière des experts dont on ne voit jamais les études) ou un projet imminent de construction de logements sociaux à la place des locaux occupés… La mairie communiste de (Saint-)Martin-d’Hères (SMH) avait compris cela. C’est ce qu’elle avançait pour justifier l’expulsion du squat La Charade en juin 2003 Le squat bloquait soi-disant la construction urgente de 58 logements privés et publics ; sauf que l’urgence n’était apparue que depuis l’occupation et pas pendant la quelque décennie d’abandon du bâtiment . Huit mois après, le bâtiment est toujours muré et l’imminence du projet n’est plus d’actualité… La mairie de SMH avait d’ailleurs utilisé bien d’autres arguments dignes du zèle sarkozien (ses flics municipaux essayèrent au tout début d’expulser les habitantEs de la Charade manu militari sans autre forme de procès) ou de la rhétorique lepéniste (les pontes de la mairie sortaient parfois aux habitantEs de la Charade des phrases du style : Vous nêtes même pas Martinérois). Au final dans l’histoire c’est bien la police sarkozienne qui est venue expulsée à la demande des communistes (ouais enfin, la police sarkozienne, ce n’est rien d’autre que la police républicaine). Mais est-ce que les communistes bureaucrates nous étonnnent encore par tant de contradictions accumulées au fil de l’histoire.
En parlant de contradictions, de PCF et de SMH : le 28 février 2004 eut lieu à Grenoble une manifestation bien rampante « contre le chômage et la précarité ». Le dénommé José Arias, premier adjoint à la mairie de SMH, paradait lui aussi. Il fut malencontreusement interpelé par un ancien habitant de la Charade qui lui fit remarquer la contradiction dans laquelle il était, à savoir qu’il manifestait contre « la précarité » (notion d’un creux très humaniste) et qu’en même temps il avait fait expulser des gens qu’on désigne sous le vocable de « précaires ». Alors pour se défendre, José Arias lui répondit que ça faisait 30 ans qu’il allait à cette manif et que vous étiez où, vous, monsieur il y a trente ans? » (Monsieur est plus âgé et donc connaît la science infuse). « Et bien je n’étais pas né » et que 30 ans de manifs ramplanplantes ça a permis de garder un peu plus la paix sociale en montrant comment les manifestantEs étaient de bien gentilLEs citoyenNEs. Merci … Et que durant ces 30 ans, il a fait bien des coups tordus, comme faire prélever directement la somme de 200 euros sur le compte d’un ancien habitant de la Charade qui s’était fait interpeler par la police lors d’un collage sur SMH. 200 euros, c’est à peu près la moitié du revenu mensuel pour un « précaire » comme cette personne qui était RMIste.
Dans tout ça, le squat dans des perspectives de révolution quotidienne est une brèche faite dans les mailles quadrillées du système étatique, lequel est au service de bien d’autres dominations (capitaliste, patriarcale, raciste…). Pour les minorités sociales, il est une réponse immédiate à la question de la nécessité de se loger, question dont s’emparent les organismes humanistes liés plus ou moins directement à l’Etat. Celles-ci réduisent des réalités et des volontés sociales sous un registre de miséricordieubonseries (pauvreté, précarité…). Un des buts de ce discours creux est de masquer les luttes sociales. Selon ce discours, les minorités n’ont pas à s’organiser pour sortir de leur situation d’opprimées ; on ne leur laisse comme grille de sortie que la plainte et l’objectif de ressembler aux dominantEs. Le squat ne revendique pas. Il négocie encore moins. Le squat prend. Le squat est une prise en main de nos quotidiens à travers une mise en place de principes d’autogestion et de rapports non-hiérarchisés entre les individus. Le squat est une prise en main de nos quotidiens à travers une contestation générale des structures qui nous briment à coup d’experts en gestion de nos espaces et de nos temps. On ne veut pas de vos logements sociaux. Ils sont autant de prisons quotidiennes. On ne veut pas de vos murs et de vos plafonds standardisés. Ils sont la création carcérale de vos architectes qui veulent enfermer nos créativités. On ne veut pas de votre travail. Il sert à payer le loyer qui nous enferment. On ne veut pas de vos spectacles et de vos divertissements. Ils sont des masques qui créent l’illusion de se sentir bien dans sa prison. On ne veut pas de vos drogues et de vos psychotropes. Elles nous enfument et enrobent nos chaînes sous un épais masque de fumée. Lorsque vous ne pouvez pas nous enfermer dans vos prisons locatives, vous nous enfermez dans vos prisons explicites. On ne veut pas de votre société parce que votre société est une immense prison. C’est pour ça qu’on veut la détruire, parole de Golgoth.
Grenoble, 4 mars 2004
Un Golgoth parmi les millions de GolgothEs