Petite analyse de la situation de divers collectifs artistiques dans leurs rapports aux pouvoirs publics
[Extrait du n°21 du bulletin Sans-Titre (déc. 2004)]
De plus en plus dans de nombreuses villes des collectifs d’artistes se créent dans des lieux précaires. Derrière cette pratique apparaît de nombreux enjeux de société pour un contrôle des médias et des arts et de leur portée symbolique et politique. On peut se demander aujourd’hui quel est l’état des lieux de ces expériences urbaines. Des plus grosses aux plus petites structures on retrouve certains schémas de fonctionnement orientés à la fois dans le rapport aux politiques et aux collectivités locales et dans les pratiques militantes quotidiennes.
Il faut rappeler dans un premier temps comment se mettent en place des lieux comme « Mix’art Myrys » à Toulouse, « l’AG45 » à Paris ou « La Briqueterie » à Amiens. Bien souvent le principe fondateur est une coopération d’artistes et de structures associatives peu institutionnalisées qui se réunissent et envisagent devant le manquement des pouvoirs publics de mettre en place leur propre structure de création et de diffusion. Cette mise en commun de savoirs et de matériels se fait le plus souvent à la fois autour d’un lieu de diffusion polyvalent et d’espaces de créations. L’éventuelle réquisition de locaux pour le projet entraîne souvent une distanciation avec la légalité qui est à l’origine de pratiques « hors-normes » que ces lieux ne font pas toujours le choix de maintenir avec le temps . Sengage à la fois dans les recherches de financement et dans les rapports légaux et politiques avec les institutions locales des conflits dintérêts. Les politiques de la ville suivies par la plupart des Mairie cherchent aujourd’hui à faire valoir une qualité normative et moderne et se posent donc naturellement contre un art-activisme et un média-activisme postmoderne qui s’alimentent de conflits qui génèrent la recherche de solutions adaptées. Le copyleft par exemple se crée sur un vide qui pose problème, celui du copyright, et sur une nécessité éthique.
Devant la réussite toute relative de certaines communes dans leurs relations avec de tels collectifs et létouffement de ceux-ci au profit de projets normalisés, on peut se demander ce qui fragilise le militantisme de ces structures. Dans un premier temps on peut chercher des réponses en interne avant danalyser les choix politiques des pouvoirs publics et leurs conséquences. La première spécificité de ces lieux est dabord de ne pas être avant tout des lieux militants. Les pratiques artistiques demandent tout de même des moyens et pour certains le fait d’occuper un espace correspond avant tout à une recherche de possibilités de vivre de leur pratique artistique. Certains vont trouver ceux-ci dans la vente, dautres les subventions, dautres encore en mêlant récup, bricolage et RMI, les possibilités sont variées. Toujours est-il que les difficultés légales, économiques et sociales tendent à créer des espaces culturels dautonomie et dautogestion. En tout cas tant que le lieu nest pas pérennisé. Bien souvent ces lieux font également le choix dune grande ouverture aux personnes ou associations qui se présentent pour participer à lexpérience et fonctionnent selon des bases démocratiques. Ceci favorise les échanges et lactivité du lieu. La présence dartistes militants nest pas évidente, on voit souvent des collectifs se monter autour dintermittents réguliers qui comptent ainsi mettre en place une structure suffisamment solide financièrement pour supporter des emplois. De la même manière, les artistes simpliquant dans ces collectifs sont parfois consommateurs du lieu, exposer, vendre, créer dans le lieu sans simpliquer dans les tâches courantes. La localisation urbaine aussi ne favorise pas toujours la prise en charge collective du quotidien et de la gestion du lieu ; ce qui lie les gens cest avant tout un choix artistique et/ou affinitaire et pas forcément un choix militant. On comprend alors mieux les difficultés quont ces structures à maintenir une cohérence de groupe.
Les choses se compliquent nettement quand on replace dans leur contexte ces collectifs, surtout dans leurs relations aux institutions. Celles-ci font preuve dune grande habileté pour exclure au mieux les usagers (artistes et public) en limitant leurs relations aux seuls dirigeants, ou apparenté par eux comme tel. La logique actuelle est manifestement de créer des situations détouffement entraînant une prise de contrôle et un détournement du projet initial. Lidée est dappâter les collectifs en leur proposant des lieux ou des moyens de rénovation leur permettant despérer pouvoirs continuer leurs activités dans un cadre légal, et de les financer même dans le meilleur des cas. Les exemples phares sont « la Belle de Mai » à Marseille ou « le Lieu Unique » à Nantes. On voit dans cette logique comment les pouvoirs publics mettent en place dans les structures une nécessité hiérarchique. Dun système horizontal dautogestion, on passe souvent à des systèmes qui revalorisent la verticalité dans lorganisation pour favoriser le financement du projet plutôt que son ouverture. La contrepartie est dailleurs parfois lourde à payer. Ainsi à Amiens la Mairie souhaite que les associations de « La Briqueterie » quittent les locaux le temps des travaux. Pour moi ces désirs municipaux ne sont que des exemples supplémentaires dune tentative détouffement de lart-activisme. Il se crée ainsi facilement des conflits internes entre les plus militants, ceux qui sont attachés à lobjet social et la facilité daccès, et ceux qui souhaitent une meilleure valorisation de leur travail sur le marché institutionnel. Bien sûr dautres tendances existent mais sont, à mon avis, minoritaires.
En terme de choix, la plupart des collectifs semblent sorienter sils en ont la possibilité vers une solution pacifique au conflit. Ainsi en faisant le pari de pouvoir continuer légalement les mêmes activités avec les mêmes fonctionnements, les collectifs prennent le risque davoir ensuite à négocier lobjet même de la structure pour ladapter aux besoins très particuliers des collectivités locales en terme de publicité, de programmation, daction locale et douverture. La problématique est ici de savoir si des activités encore peu abouties ou mettant en place des choix de développement improductifs pourront encore avoir leur place dans lavenir. Rappelons aussi qu’au cours des dernières décennies et dans divers pays européens (Allemagne, Hollande, Suisse, Italie…), les politiques d’institutionnalisation de certains lieux squattés ont servi à diviser le mouvement squat et à cautionner des politiques de répression plus dures sur les espaces dont le choix d’occupation traduisait un refus de la propriété privée, des rapports marchands ou du pouvoir étatique…
A cette question on ne peut pas apporter plus de réponses que ce que chaque lieu voudra bien créer. Cependant, faire le choix dune institutionnalisation peut avoir dénormes répercussions en marginalisant certaines pratiques et valorisant dautres en fonctions de critères standardisés imposés par le marché. Dun autre côté il donne à leurs risques et périls aux collectifs la possibilité d’intéresser des publics plus variés en présentant, grâce aux aides locales, des projets nouveaux en dehors des critères modernes. Entre la précarité et le confort se dessinent les échelles de valeurs des uns et des autres, ce qui module les choix des individus impliqués dans le collectif et oriente celui-ci. L’attention doit être portée sur l’ouverture qu’offrent les structures aux nouveaux venus. Qu’importe la qualité des projets proposés, seule une attention portée à ce que génèrent les structures permet de se confronter à la création comme à la diffusion des passions ou expériences créatrices des uns et des autres. Neurones
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Vous pourrez trouver d’autres textes de critique de la démarche « artistique » ou « collaboratrice » du squat sur http://infokiosques.net/squat.
Je ne sais pas s’ils sont bien car je n’ai pas encore pris le temps de les lire mais vous êtes assez grandEs pour en juger vous même :)
Neurones