Bruxelles: C’était le foyer autogéré……

Texte trouvé sur http://liege.indymedia.org/news/2005/03/3831.php

Et ça s’est passé près de chez nous, à Bruxelles, dans notre chère ULB, auto affirmée garante de la libre pensée et du rejet de l’argument d’autorité.
Texte paru dans ALTERNATIVE LIBERTAIRE n°44 / février 2005.

Voici un petit résumé sur ce qui s’est passé ces derniers mois, il aurait été dommage que les événements qui ont eu lieu ne soient pas relatés dans ce journal. J’essaierai d’être le plus objectif possible en essayant de ne pas oublier tel ou tel fait (ça va pas être facile vu la multitude d’actions qui s’y sont passées). Tout d’abord, un petit rappel sur ce qu’est le Foyer et les motifs qui ont poussé à cette action d’autogestion. Le Foyer, tout simplement, c’est le bar de l’ULB sur le campus du Solbosch, géré par l’université et ouvert à tou(te)s. Le Foyer, c’est une « institution » (désolé, je n’ai pas trouvé d’autre mot), tout le monde à l’ULB (et même en dehors) le connaît et/ou y est au moins déjà passé une fois. Pas d’obligation de consommer, chacun peut venir boire un verre, manger ses tartines au fromage, faire une partie d’échec (il y a des jeux de société à disposition), de kicker, fumer un petit joint, etc. Enfin là je devrais plutôt parler à l’imparfait. En effet des plans de restructuration du bâtiment dans son ensemble, approuvés l’an passé, ont prévu une rénovation et un réaménagement des affectations des différents locaux. C’est là que commence le problème. Dans les plans, le Foyer est remplacé par le Petit Yo-Yo, le restaurant géré par une société privée situé juste en face et désireux de s’étendre. À la place du resto, je ne sais plus ce qu’ils vont y mettre mais en tous cas pas le Foyer.

En gros, le Foyer n’est affecté nulle part d’autre… que dans les mémoires. C’est sa suppression pure et simple. C’est la suppression du seul endroit au Solbosch que les gens pouvaient fréquenter librement sans obligation d’achat. C’est la suppression d’un espace convivial, lieu d’échange et de rencontre. C’est la suppression d’un endroit ouvert à tous au profit d’un espace privé ouvert à ceux qui en ont les moyens. C’est la suppression d’un espace communautaire au profit… du profit ! C’est la suppression de services d’intérêt collectif dans une logique de rentabilité. C’est la marchandisation de nos espaces de vie. Eh oui, ne rêvons pas, même nos universités se laissent envahir par le phénomène. Et de plein gré même, puisqu’elles y participent activement. Ce n’est d’ailleurs qu’une des conséquences de leurs orientations politiques prises en ces temps bien sombres pour parler de liberté et d’égalité. Le projet amorcé donc, il n’y avait plus qu’à programmer les travaux de rénovation. Ceux-ci étaient prévus pour la midécembre (juste quand les étudiants partent en blocus, pure coïncidence sans doute), mais depuis septembre les lieux étaient déjà fermés aux étudiants. C’est donc dans ce contexte-là qu’eut lieu l’action de récupération du Foyer par les étudiants.

Le 21 octobre [2004] nous avons décidé de nous réapproprier l’espace pour y recréer un lieu de convivialité, libre, autogéré et non-marchand, en attendant le début des travaux. Les autorités universitaires se sont d’ailleurs montrées favorables devant les faits et ont prétendu vouloir soutenir l’initiative. Les clés des lieux nous ont été données, de même qu’un cahier de charges avec les recommandations d’usages (très utiles d’ailleurs pour nous qui avions tant besoin d’être guidés dans notre démarche !).

Le lieu a ainsi pu reprendre vie avec des dizaines d’étudiants le fréquentant quotidiennement. Il a foisonné en une myriade d’initiatives sociales et culturelles spontanées : soirées, concerts (les Binamés entre autres), bouffes communes, ateliers de réflexions, artistiques, projections, espace de « contre information » avec l’infothèque, etc. Chacun a pu ainsi participer librement et de manière égale pour créer un véritable lieu social dans le cadre d’une gestion collective, sans se référer à qui que ce soit.

C’était… l’anarchie quoi ! Le mode de fonctionnement du Foyer occupé était régi par tous lors des assemblées générales quotidiennes. Les décisions, s’il y avait lieu, y étaient prises par consensus. Pas de vote ou de décisions à la majorité. Un dialogue s’y était néanmoins ouvert avec les diverses instances universitaires concernées par les lieux. C’est ainsi que le vice recteur aux affaires étudiantes prit part à de nombreuses assemblées générales, celles- ci étant ouvertes à tous, en affirmant son soutien. Je crois personnellement en la sincérité de ce soutien initial. Il a en effet accepté la démarche telle qu’elle était, mais n’a par contre pas pensé à tout ce qu’elle pouvait être.

Il a voulu croire qu’il pouvait faire entrer la dynamique dans un schéma plus général, la « caser » dans un des nombreux recoins d’un des multiples niveaux de sa pyramide hiérarchisée. Le meilleur moyen pour y parvenir était de la soutenir. Mais il n’a en fait pas pu – ou plutôt pas voulu – accepter la dynamique fondamentale et, tout en trouvant l’initiative intéressante, a espéré qu’elle se range calmement. Mais cela bien sûr était impossible. On ne peut dénaturer un tel projet.

C’est ainsi que nous nous sommes vite rendus compte de la véritable attitude des autorités (représentée par le vice-recteur) vis-à-vis du projet qui était bien trop dérangeant pour elles. Le double jeu du vice-recteur lors des assemblées générales nous a poussés à l’exclure de celles-ci. Cet individu accaparait le dialogue sans faire évoluer la dynamique et au lieu de participer à construire ce lieu il nous empêchait de pouvoir mener à bien les différentes initiatives. En l’absence de contrôle formel, c’était bien une tentative de contrôle sournois ! La pression fut nécessaire pour se débarrasser de ces attitudes arrivistes et malhonnêtes. C’est ici je pense que les choses ont commencé à s’envenimer.

C’était au début de la semaine du 15 novembre. Six jours plus tard, le samedi 20, la police intervient une première fois. Raison : déloger des « locataires » ayant passé la nuit au foyer. Il est 8 heures du matin. Les personnes ne sont pas officiellement arrêtées (discours des autorités) mais sont emmenées au poste pour contrôle d’identité. Pendant trois heures. Sur les 7 personnes, 2 sont étudiantes et une est mineure.

Ces faits seront utilisés dans les critiques et accusations de l’ULB envers le Foyer prétendant que celui-ci est fréquenté par une majorité de non étudiants, de squatteurs, et que certains étaient en possession de drogue (dure apparemment – ça c’est très mal évidemment !) en présence de mineurs (ça c’est encore plus mal il faut croire !). D’où l’intervention toute légitime de la police bien évidemment ! Mais celle-ci n’était que la première… de la journée !

En effet un concert avec 6 groupes y était prévu en soirée et nous nous sommes retrouvés devant un lieu vide et fermé. Que faire alors ? Devant le choix entre résignation ou insoumission, nous décidons de réinvestir les lieux pour le concert organisé de longue date. C’est dans cette atmosphère de contestation et de révolte que le premier groupe se lance sur un ton bien punk et hard-core devant une cinquantaine de personnes.

L’ambiance est au rendez-vous. Au moment où le deuxième groupe s’apprête à jouer, on nous informe que des camionnettes de police sont placées autour du campus. Nous-nous doutons de ce qu’il peut se passer et le matériel est évacué par précaution.

En effet, quelques minutes plus tard, vers 23 heures, une quarantaine de policiers débarquent pour mettre fin à la soirée. Un étudiant se fait arrêter au volant de sa camionnette transportant du matériel musical. Les policiers l’ayant intercepté se réjouissent de cette capture : ils ont arrêté l’organisateur de la rave-party, comme ils l’ont eux-mêmes appelé. L’étudiant aussitôt désigné comme bouc émissaire est envoyé au cachot passer la nuit tandis que sa camionnette est saisie. Voilà donc comment se termine cette soirée en ce jour de fête : en effet, le 20 novembre correspond à la fête de la Saint Verhaegen, fondateur de l’Université Libre de Bruxelles, université fondée sur le principe du libre examen (= liberté de jugement et rejet de l’argument d’autorité).

C’était une manière pour le moins originale de la part des autorités de l’ULB de célébrer la libre pensée ! Le Foyer est donc fermé pour la deuxième fois. L’autre concert de dimanche soir est annulé et déplacé au Squat 111 à Louvain-la-Neuve.

Le lundi qui suit, le 22, une assemblée générale extraordinaire se tient devant les marches du Foyer à midi. Entre 200 et 300 personnes se sont mobilisées, bien évidemment en relation avec les événements du week-end. Dans un premier temps nous essayons de réoccuper les lieux mais la sécurité de l’ULB nous en empêche en faisant barrage devant l’entrée. Une petite bousculade a lieu puis nous nous rendons à nouveau à l’extérieur pour la tenue de l’assemblée. Cela tourne aux critiques envers le vice-recteur, présent bien évidemment – et pas content d’être au centre de l’attention de centaines de personnes -, et à l’accaparement du dialogue par sa propre personne – comme à l’habitude.

Nous finissons finalement par réinvestir le Foyer où se tient la suite de l’assemblée générale. On y propose de se rendre au Conseil d’Administration de l’université, qui a lieu l’après-midi même, pour demander des comptes aux responsables et entre autre le retrait de la plainte à l’encontre de l’étudiant arrêté. L’ULB a en effet déposé plainte contre X et implique l’étudiant en question pour bris de clôture, vol d’énergie, dégradations diverses (dont les peintures murales présentes depuis plus d’un mois !) et vol d’une centaine d’euros dans la caisse du Petit Yo-Yo le samedi après-midi (quand personne n’était présent !). Rien ne sera obtenu suite au rassemblement, mais le Foyer continue d’être occupé et la vie y reprend ses droits avec toutes les activités prévues et à prévoir.

L’histoire est loin de se terminer.

Une semaine plus tard, le vendredi 03 décembre, un autre étudiant du Foyer est arrêté près de chez lui. Deux policiers en civil l’interceptent alors qu’il est sur le point de monter dans le bus non loin de son domicile, sans aucune explication et sous la menace de lui passer les menottes. Emmené au poste, on lui explique enfin la raison de son arrestation.

Une plainte a été déposée par le chef de la sécurité de l’ULB (ancien chef de la sécurité de City 2, déjà habitué des affaires en justice l’opposant à certains de ses subordonnés !) pour coup et blessures lors de la récupération du Foyer le lundi 22. La petite bousculade se serait donc transformée en coups volontaires avec des blessures pour conséquence ! La plainte est en fait déposée contre un autre étudiant mais la police s’est néanmoins permise de ne pas s’arrêter là : prétexte et occasion de s’intéresser de plus près à certains autres.

Quelques jours plus tard il est signifié au Foyer que les travaux commenceront plus tôt que prévu et que les lieux doivent être quittés pour le mardi 7 décembre à 23 heures. Pour éviter de nouvelles confrontations, les lieux sont laissés sans résistance le mercredi matin après une dernière soirée dans l’ambiance chaleureuse et solidaire animant le Foyer autogéré depuis le début. Mais le projet ne peut se terminer ainsi et un « enterrement » symbolique est prévu le mardi suivant. Ce 14 décembre de nombreuses personnes proches du Foyer se réunissent vers 18 heures dans la galerie commerçante face à la bibliothèque des sciences humaines pour célébrer la fin du Foyer mais aussi le début d’autres actions non-conformistes (anticonformiste plutôt) à caractère non marchand et anti-autoritaire. Atelier peinture, musiciens, jongleurs, soupe populaire sont ponctués par un feu de joie sur l’Avenue Héger en brûlant le cercueil du Foyer.

C’est alors qu’une cinquantaine de policiers est arrivée de tous côtés matraques à la main pour mettre fin à ce « trouble de l’ordre public », comme ils l’ont eux-mêmes appelé.

Courses-poursuites jusque dans les cercles étudiants et une vingtaine d’arrestations avec menottes s’en sont suivies. Les forces de l’ordre ne se sont pas privées pour user de la violence sur certains : coups de matraque et de lampes de poches (cfr. témoignage d’un étudiant dans l’AL précédent). Le sang a même coulé.

Des étudiants ne participant même pas au rassemblement ont été emmenés au poste également. Scénario totalement surréaliste. La rapidité de l’intervention prouve ici clairement qu’elle était préméditée. D’après des informations reçues ultérieurement (des autorités), un auditoire aurait été tagué durant l’après-midi et laissait présager d’actions violentes de dégradations lors du rassemblement de la fin de l’après-midi. D’où l’intervention toute légitime de la police bien évidemment !

Nous-nous sommes à nouveau réunis lors du C.A. de l’université le lundi suivant. Plus de 200 personnes étaient présentes (pour l’intérêt du Foyer mais aussi des syndicats manifestants pour les statuts des chercheurs de l’université). Nous avons obtenu les excuses du vice-recteur, responsable des différentes intrusions policières, et la création d’une cellule de crise concernant l’intervention des forces de l’ordre sur le site de l’université. Maigre résultat par rapport à nos revendications (retrait des plaintes, démission du chef de la sécu…). Mais de toutes manières nous n’étions pas là pour mendier au C.A. que les autorités nous traitent « plus gentiment ». Nous ne voulons pas légitimer cet organe institutionnel, mais juste leur montrer notre manière de penser et d’agir, avec notamment la récolte de plus de 1.000 signatures pour la pétition contre les intrusions policières à l’ULB. J’ajouterai encore que l’université est intervenue dans les frais de saisie de la camionnette lors du concert (plus de 300 euros !) considérant que l’étudiant arrêté avait pu commettre une « erreur de jeunesse ». Oui bien sûr, la fougue et la révolte de la jeunesse ne sont qu’une étape transitoire normale dans l’émancipation de l’individu vers le stade adulte mûr et réfléchi, et il se peut que cette transition soit entachée d’erreurs de parcours que l’on veuille bien pardonner dans le cadre d’une réalisation de soi plus mature et… conforme ! Question d’objectivité de citer ce point, mais cela montre aussi que l’ULB essaie de se sauver la face, sans évidemment se remettre en question. Elle évite ainsi de son point de vue une atteinte à sa fierté, mais arrive de notre point de vue à se rendre encore plus ridicule par ces gestes dérisoires (excuses, remboursement des frais). J’ajoute aussi que la somme avait déjà été quasiment obtenue grâce aux concerts à prix libre et à la solidarité de tou(te)s qui ne s’est jamais estompée mais au contraire renforcée continuellement.

Pour moi c’est ce principe qui montre qu’une organisation peut se mettre en place en dehors de schémas hiérarchiques. Pas besoin d’un responsable, car tout le monde se sent responsable. Cela montre que de vraies valeurs humaines ont leur place, et veulent se faire une place au sein d’une société, d’une université où les comportements égoïstes sont la norme.

Cela montre aussi que de telles valeurs sociales dérangent, perturbent l’ordre établi, même les institutions se revendiquant soi-disant d’une ouverture de pensée la plus large.

Voici donc quelques traits de l’expérience d’autogestion qui s’est déroulée ces derniers mois au Foyer. Les conséquences en sont d’après moi un bel exemple de la place qui est laissée à la contestation de nos jours. Des actions et manifestations non-violentes se transforment en arrestations générales. Des actions en justice sont intentées de la part d’une université contre ses propres étudiants pour des motifs qui ne tiennent pas la route. La liberté d’expression à l’ULB est cloisonnée dans des limites non légitimes et signifie avant tout répression dès que celles-ci sont franchies.

Mais il ne faut pas voir ceci uniquement comme un fait isolé : cela s’inscrit dans une logique plus globale, à tous les niveaux de pouvoirs de nos sociétés occidentales : criminaliser la contestation. Il n’y a plus de place pour la revendication et la contestation sociale. Nos espaces de vies sont de plus en plus balisés, cloisonnés, et nos libertés s’en trouvent à nouveau oubliées. Les autorités, quelles qu’elles soient, passent à la répression dès qu’elles sentent l’ordre établi remis en question.

Leur action punitive ne fait que s’accroître. Le contrôle social est de plus en plus agressif et malheur à celui qui ose résister au modelage normalisé de son existence.

L’avenir est dès lors bien sombre pour parler de liberté et d’égalité… mais n’en n’est pas moins clair pour les luttes à mener. Et chacune d’elles ne fait que nous enrichir et nous renforce dans nos convictions que le bonheur pour tous, c’est l’ordre moins le pouvoir !

Source : http://www.dissidence.be/Le%20Foyer.pdf

Quelques réactions sur le sujet :

http://dev.ulb.ac.be/students/cds/myez/forum.php?file=topic&forum=7&topic=418

http://www.cerkinfo.be/phpbb/viewtopic.php?p=26137#26137

Quentin