Grenoble: Des squats expulsés pour une ville aseptisée

Communiqué de squatteur-euse-s suite aux expulsions des 400 couverts et de la Kanaille :

DES SQUATS EXPULSES POUR UNE VILLE ASEPTISEE

Le mardi 2 août 2005, la mairie socialiste de Grenoble a fait un grand pas dans sa politique d’éradication des squats “politiques” de la ville. En effet plus de 200 policiers et gendarmes ont été réquisitionnés pour mettre fin aux aventures des squats des 400 couverts (cinq maisons squattées depuis presque 4 ans, un domicile pour 24 personnes et un espace d’activité pour une cinquantaine d’associations grenobloises, un lieu public où se sont déroulées des centaines d’activités et d’expériences militantes et alternatives sans profits ni subventions) et de la Kanaille (grand hôtel squatté depuis 3 mois avec restaurant à prix libre, projections hebdomadaires, infokiosques et permanences juridiques sur les squats et les problèmes de logement).
Il leur a quand même fallu près de 4 heures pour venir à bout de la résistance des squatteur-euse-s (barricadages et regroupement des occupant-e-s sur les toits) déterminé-e-s jusqu’au bout à empêcher ces expulsions et à éviter qu’elles ne soient passées sous silence. Il leur a aussi fallu l’aide de nacelles et des pompiers qui ont honteusement collaboré en mettant à disposition leur grande échelle pour aller chercher les squatteur-euse-s sur les toits et sur une vigie construite pour l’occasion.

Passons rapidement sur les imprudences de flics : comme le montre bien la photo à la une du Daubé du 3 août 2005 et malgré ce qu’affirme un journaliste reprenant servilement les communiqués de la police qui se vantent de « CRS équipés de baudriers », les premiers flics à intervenir ont délogé les occupant-e-s sans être assurés. Ils ont traîné plusieurs personnes sur des toits rendus glissants par la pluie après leur avoir fait des clés de bras pour qu’ils/elles se détachent, ou ont secoué dangereusement la vigie en demandant à ses occupant-e-s “s’ils savaient voler”. Les rues étaient bloquées afin que rien de ce qui se passait ne soit visible ni par les 200 personnes venues en soutien ni par la presse (qui fait quand même semblant le lendemain d’avoir été sur place sans même mentionner que la police lui avait interdit).
Au final ni blessé-e-s ni arrestations (juste des contrôles d’identité) et une manifestation sauvage dans le centre de Grenoble qui rassembla dans la foulée une centaine de personnes, détournant les plots de trams pour bloquer les grands axes, sous les cris de “Non aux expulsions, grève des loyers, insurrection” et “Ni Destot ni Carignon, Autogestion”.

L’ÉTÉ C’EST PRATIQUE

Depuis quelques années les choix de gestion de la ville sont mis à mal par des diverses actions (occupation du Parc Paul Mistral, blocage du chantier Minatec, analyses et canulars sur le développement de la technopole grenobloise, luttes sur le logement…).
Depuis quelques mois les squats grenoblois étaient dans une dynamique de résistance face à la vague d’expulsion annoncée pour cet été. Des actions se sont multipliées (manifestation de 500 personnes dans Grenoble, festival et activités dans les lieux occupés, occupations et sabotages de locaux et mairies PS le même jour dans 17 villes en France, collages et journaux muraux, intervention au conseil municipal et dans les festivals locaux, repas de quartiers, intrusions dans la Mairie et la Metro…) pour maintenir une pression constante sur les autorités et informer les grenoblois-es.

La municipalité sait pertinemment que les squats et les luttes politiques dans lesquelles ceux-ci interviennent, connaissent une popularité certaine à Grenoble et qu’il n’est pas toujours bien vu d’envoyer deux cents brutes casquées face à des gens qui résistent et qui inventent. La Mairie a d’abord tenté de trouver une sortie honorable, en nommant un médiateur ayant pour mission de convaincre les squatteur-euse-s de « quitter les locaux sans mots-dire et avec le sourire ».
En intervenant début août, alors que Grenoble est déserté, les autorités ont choisi la période de l’atonie contestataire, faisant par là aveu de faiblesse. Sûrement un peu traumatisé-e-s par l’épisode du parc Paul Mistral, les élu-e-s ont essayé cette fois de faire en sorte que les conséquences de leurs décisions ne leur coûtent pas trop politiquement. Il reste à s’interroger sur les relations entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire : en effet, le tribunal des référés, présidé par un juge connu comme étant proche de Michel Destot, n’a donné des délais à aucun des deux squats, permettant ces expulsions en plein coeur de l’été. Le solide dossier juridique monté pour les 400 couverts et le nombre de jurisprudences précédentes auraient dû logiquement entraîner l’octroi de délais, ce qui n’aurait pas permis de se débarrasser des squats pendant l’été… De plus, comme lors de l’expulsion du Parc Paul Mistral, la Municipalité de Grenoble a fait appel à la force publique sans attendre les rendus des appels faits au tribunal par les collectifs de squatters.

Par ailleurs, en expulsant ces deux lieux simultanément, ils ont minimisé les risques de débordement par des personnes extérieures solidaires, obligées de se séparer sur deux fronts. Soulignons enfin le grand courage des élu-e-s : aucun-e n’était présent-e sur les lieux pour assumer ses responsabilités.

PARADE MÉDIATIQUE

Pour effacer ces lieux d’expérimentation sociale et de contestation, la Mairie a usé d’un argument facile : sa volonté de construire des logements sociaux à leur place. Et de s’étendre sur “l’individualisme des squatteurs qui s’opposent à des réalisations attendues par des milliers de demandeurs de logement sociaux.” L’on pourrait tout d’abord rappeler que l’hôtel Lakanal, juste avant d’être squatté, avait été proposé à l’association Les Passeurs (qui réclame des locaux non-utilisés pour des périodes d’environ un an), et qu’il n’y avait donc aucun projet de rénovation dessus. On peut réaffirmer aussi que le projet sur la traverse des 400 couverts est avant tout un projet de vente immobilière avec le vernis social nécessaire pour faire passer la réalité de cette « chasse aux pauvres » des derniers quartiers populaires du centre-ville. Comme bien souvent, dès l’arrivée de squatteur-euse-s, les autorités trouvent très vite des “projets urgents d’intérêt général”.

Et puis affirmer que les squats sont un obstacle à la construction de logements sociaux, ça évite de se pencher sur les budgets consacrés aux logements sociaux, ridicules à côté de ceux alloués à la communication ou à des constructions de prestige (Grand Stade, Minatec, MC2). Ca évite de réaliser que de nombreux autres bâtiments appartenant à la Mairie sont inutilisés et bien fermés à l’aide de portes anti-squatteurs afin de ne pas devoir monter en urgence un projet de logement social pour justifier une expulsion. Qu’ils vont sûrement rester vides de nombreuses années de spéculation avant d’être vendus pour faire des immeubles de standing afin de loger les futurs cadres de Minatec.
178 expulsions ont eu lieu en Isère en 2004, depuis 2000 ce nombre s’est accru de plus de 230%. Plus de 1700 demandeurs de logement social en Isère attendent depuis plus de deux ans. Dans une telle situation, le squat est légitime. Les problèmes de logement sont le fruit de choix politiques, les politicien-ne-s tentent de faire oublier leur responsabilité en divisant la population et en montant les gens les un-e-s contre les autres. Depuis quand fait-on du social en expulsant des gens, squatteureuses ou locataires ?

Rappelons au passage que 80 personnes avaient essayé d’occuper l’ex-bâtiment de l’IGA le 1er Mai dernier afin d’y habiter et d’y développer diverses activités. Que ces squatteur-euse-s ont été expulsé-e-s 24 heures plus tard, sans procédure judiciaire, grâce à la pression de la préfecture et de la Mairie. Que ce même bâtiment est toujours vide et qu’il n’est nullement question d’en faire des logements sociaux.

Quand à la soi-disant « insalubrité des bâtiments » (selon la préfecture relayée par le Daubé du 3 août), tou-te-s celles et ceux ayant pu rentrer dans les locaux ces derniers mois ont pu constater combien cette affirmation est erronée, ou alors rendue juste seulement par le nombre de coups de barres de fer et de fusils à pompe donnés par les flics lors de l’expulsion.

QUELLE VILLE VOULONS-NOUS ?

Le nombre impressionnant de demandeur-euse-s de logement sociaux reflète bien les conséquences des politiques de développement de l’agglomération grenobloise menées depuis de nombreuses années. Les choix de ville fait par Destot et ses alliés écologistes ont le mérite d’être clairs : à Grenoble, la priorité est donnée à la création d’emplois à tout prix et à la valorisation de l’agglomération. Crolles 2 et Minatec créeront 8000 emplois dans les prochaines années, là est l’important, un point c’est tout. Que ces projets mégalos soient nuisibles par ailleurs, que les loyers augmentent en flèche, que les plus pauvres soient peu à peu chassés du centre ville par l’afflux des cadres dus à ces créations d’emploi, peu importe : tant qu’on parle de la capitale des Alpes comme dynamique. Combien de quartiers populaires vont laisser prochainement la place à des « Europôle » ?

On comprend alors mieux pourquoi il n’y a pas de place pour des squatteur-euse-s dont la motivation principale est d’essayer de changer la vie et la ville. Les squatteur-euse-s dépeint-e-s alternativement par la propagande municipale comme des petit-bourgeois, des parasites ou des marginaux crasseux, osent en réalité élaborer ou relayer des critiques radicales d’une société étatique et capitaliste, donc des différents aspects de la politique municipale. Si les autorités grenobloises s’accommodent au besoin de quelques faire-valoir artistiques et sociaux alternatifs, elles ne peuvent en revanche accepter que croissent dans les squats grenoblois des expériences incompatibles avec les cadres institutionnels ou commerciaux et où se créent de nouvelles formes d’organisation et de rapports entre les personnes.

Bravo à toutes celles et ceux qui, par tous les moyens, ont permis de rendre les expulsions plus difficiles.
Nous continuerons à hanter les murs de nos villes et à semer la colère et l’invention là où règne la résignation.
Il faudra plus d’un bulldozer pour nous faire taire.

A bientôt pour de nouvelles aventures.

(A bas le) PS : Tandis que les expulsions locatives continuent cet été, d’autres squats grenoblois ont été expulsés ou sont menacés d’expulsion ; tenez vous au courant…

Retrouvez plus d’infos sur les squats sur grenoble.squat.net ou grenoble.indymedia.org et sur la critique du développement économique et technologique de l’agglomération sur piecesetmaindoeuvre.com.

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