Toulouse: Réponse de squatteur-e-s des Pavillons Sauvages à un article du “Point” sur le “retour de l’ultra-gauche”

D’abord, le fameux article:

1er mai 2008
Le Point

Les nouveaux combattants de l’ultragauche

Violences et tentatives d’attentat se multiplient contre les bâtiments publics. Leurs auteurs sont souvent de très jeunes militants autonomes qui haïssent l’Etat et le capitalisme, et jugent l’extrême gauche « embourgeoisée ». Les Renseignements généraux les surveillent de près. Etat d’une menace qui progresse… et inquiète.

Elles ont tout juste 20 ans, lui à peine plus. Familiers des squats de Toulouse où se croisent jeunes paumés, SDF à la dérive et militants anarchistes et autonomes, les deux jeunes filles et leur compagnon ont été interpellés par la police un matin de janvier, après des semaines d’enquête et de surveillance. L’attentat à la voiture piégée, qu’ils avaient fomenté à Rennes quelques jours plus tôt, avait heureusement échoué : les trois bouteilles de gaz cachées dans une voiture garée devant le siège de la Direction régionale des douanes n’avaient pas explosé. Mais le petit carnet noir retrouvé sur l’un des membres de ce commando attestait sa marche vers la violence : les policiers y ont retrouvé des repérages pour la préparation de vols à main armée dans la capitale bretonne et le mode d’emploi nécessaire à la fabrication d’explosifs. L’exemple n’est pas isolé : depuis deux ans, les Renseignements généraux disent avoir observé une recrudescence de telles formes d’engagement, à la confluence de l’action politique et du terrorisme. Profil type de ces nouveaux combattants de l’« ultragauche » : de très jeunes gens issus de la mouvance anarchiste ou libertaire et de l’extrême gauche la plus radicale, engagés dans le refus de l’Etat, du capitalisme et de la mondialisation, qui vivent et se déplacent en petits groupes, ne travaillent pas et sont à la recherche de toutes formes de contestation radicale. A la demande de Michèle Alliot-Marie, un vaste recensement national des actes et des groupes en relation avec cette mouvance est en cours.
Un récent rapport de la Direction centrale des RG, classé confidentiel et remis à la ministre de l’Intérieur, estime le nombre de ces militants « entre un et deux milliers » dans l’ensemble de la France et signale l’existence de « quelques centaines d’éléments radicaux » -que la hiérarchie policière estime « aux alentours de 300 ». Leurs terrains privilégiés sont situés à Toulouse, Montpellier, Nantes, Rennes, Grenoble, Lyon et dans la région parisienne. On les retrouve dans les grandes manifestations politiques comme les défilés contre le contrat première embauche (CPE) en 2006 et la réforme des retraites en 2007, où ils se joignent souvent aux « casseurs ». On les remarque aussi dans les rassemblements de soutien aux sans-papiers ou les protestations contre les expulsions. Les cortèges de militants altermondialistes à l’occasion des sommets du G8 constituent pour eux des points de ralliement obligés. Leurs retrouvailles avec leurs homologues européens y suscitent des déchaînements de violence -comme à Gênes, en 2001, où les carabiniers s’étaient laissé entraîner dans une sanglante bataille rangée. Mais, si leur vigueur et leur résistance surprennent dans les bagarres avec les forces de l’ordre, ils n’ont pas le profil des skinheads et autres brutes de l’extrême droite fascisante. « Ils ne constituent pas une organisation structurée, mais ils ont une culture politique et une formation idéologique bien supérieures, explique un dirigeant policier. Et ils maîtrisent les techniques de la guérilla urbaine, ce qui les rend redoutables. » Ils lisent la presse (même s’ils dénoncent sa « soumission au capitalisme »), communiquent via Internet, animent parfois des sites Web dont l’objet apparent est le soutien aux prisonniers ou aux immigrés. Ils rêvent de grèves générales et leur référence continue d’être Action directe, qui enchaîna hold-up, attentats et assassinats dans les années 80. D’où la crainte policière de voir ces émules passer à l’acte un jour. Signe d’une adulation jamais démentie : en décembre 2007, un petit groupe de sympathisants toulousains, le Mix’Art Myrys, organisait une vente de tableaux au profit d’un comité de soutien aux prisonniers politiques d’Action directe-Nathalie Ménigon, l’un des pivots d’AD, est en semi-liberté au centre de détention voisin de Seysses…

Bombes et sabotages

Les RG locaux évoquent parallèlement l’existence, dans l’agglomération toulousaine, de plusieurs squats politiques de la même mouvance, dont un, baptisé Le Pavillon sauvage, a investi des bâtiments militaires. Les registres policiers attribuent aussi à la mouvance d’ultragauche plusieurs tentatives d’attentat non revendiqués dans la Ville rose : des jets de cocktails Molotov en série, en avril 2007 (juste avant la visite de Ségolène Royal), contre la Chambre régionale des comptes, l’ANPE et le Conseil économique et social ; le dépôt d’un réchaud piégé devant un poste de police le 14 juin suivant ; et même une bombe artisanale placée au centre de rétention administrative des Minimes, le 16 octobre, avant la visite annoncée du préfet…
Le 7 mars, d’autres bombes ont été désamorcées devant le centre des impôts, et une semaine plus tard devant l’entrée de l’immeuble qui abrite le siège régional du Medef : un flacon isotherme empli de liquide explosif qui fit long feu, mais qui rappelle-par l’objectif et la méthode-l’engin retrouvé dans les toilettes d’HEC, à Jouy-en-Josas, le 23 août 2007, près de l’amphithéâtre où se tenait l’université d’été du Medef, que devait inaugurer Laurence Parisot et qui attendait la visite de Nicolas Sarkozy… Les 16 bouteilles pleines d’un mélange d’essence et de white spirit étaient reliées à un dispositif de mise à feu équipé d’un minuteur. « Une bombe artisanale mais de bonne facture », avaient diagnostiqué les experts-qui se déclencha sans exploser. Sans atteindre le degré d’organisation ni l’efficacité des « modèles » d’AD, de telles tentatives devenues courantes font craindre aux RG « la renaissance d’un terrorisme de nature idéologique » à la gauche de l’extrême gauche électorale (celle de la LCR et de Lutte ouvrière), que ces militants autonomes jugent embourgeoisée et vendue au système. Leurs tracts et leurs slogans n’appellent pas au rejet du capitalisme mais à sa « destruction » , de même qu’à celle des symboles de « l’Etat répressif » : prisons, locaux de police ou de justice. Les spécialistes du ministère de l’Intérieur n’excluent pas que de tels partisans, électrons libres évoluant à la gauche des syndicats SUD, soient aussi à l’origine des sabotages de voies ferrées perpétrés au moment des grèves de la SNCF en 2007. Le 23 janvier, un jeune couple a été arrêté par des douaniers au péage autoroutier de Vierzon (Cher). Déjà repérés dans des squats autonomes de Rennes, Nantes et Montreuil-sous-Bois, ils cachaient dans leur voiture 1,6 kilo de chlorate de soude et un mode d’emploi en plusieurs langues pour la fabrication de bombes artisanales à partir de ce produit. Ils détenaient aussi les plans détaillés du centre de détention pour mineurs de Porcheville (Yvelines).
L’enquête a révélé un étonnant recoupement : l’ADN de la jeune femme correspondait à une empreinte relevée sur l’engin explosif trouvé sous une voiture de police en mai 2007, aux abords du commissariat central du 18e arrondissement de Paris-un attentat revendiqué par… les indépendantistes corses du FLNC-Union des combattants ! « Les militants de ces mouvances n’ont rien de commun, mais ils se croisent souvent dans des foyers ou des lieux réservés aux associations », explique un responsable policier. A Fontenay-sous-Bois, le 19 janvier, trois autres de ces « routards anarcho-autonomes » -selon les RG-avaient été interceptés en possession de substances explosives et de clous, alors qu’ils se rendaient à une manifestation sous les murs du centre de rétention administrative de Vincennes. A Rennes, les enquêteurs ont saisi des tracts détournant de vieux slogans féministes : « Si je sais faire un gâteau, je sais faire une bombe. » Dans l’Aude, une note récente relevait la montée des agitations contre l’usine d’OGM de Monsanto et prévenait : « L’usage d’explosifs artisanaux n’est plus exclu. » Plus modestement, les RG de l’Hérault ont signalé les débordements de militants qui appelaient à « brûler les voitures des bourgeois » et joignaient le geste à la parole. Loin d’endiguer cette progression, les arrestations de ces militants alimentent la contestation et renforcent les mouvements qui la relaient. De nombreux comités de défense se sont créés ces derniers mois, ainsi que des « caisses de soutien » aux détenus. L’une d’elles, baptisée Calimero – du nom du poussin noir du dessin animé dont le leitmotiv est : « C’est trop inzuste » -, appelait récemment à « la continuité de révoltes qui peuvent être individuelles ou collectives et prendre diverses formes ». Un site Internet d’ultragauche reproduisait, il y a quelques jours, la lettre de deux des trois militants interpellés à Fontenay, écrite de leur prison. « Nous espérons, concluaient-ils, que nous sommes nombreux à avoir cette rage au coeur pour tisser les solidarités qui feront les révoltes. »
L’un des internautes a répondu : « Tenez bon. On est avec vous. En pensée et en action. »

Hervé Gattegno

Tour d’Europe de l’ultragauche

En Grèce, depuis le démantèlement (en 2003) du groupe historique du 17-Novembre, à l’origine d’une cinquantaine d’attentats entre 1975 et 2000, de nouveaux groupes sont apparus : le principal est EA (Lutte révolutionnaire), auteur d’une attaque contre le convoi du ministre de la Culture en 2006 et d’un tir de roquette contre l’ambassade des Etats-Unis à Athènes. D’autres groupes anarcho-révolutionnaires ont parfois ciblé des intérêts français-des concessions Renault et Citroën en 2006-en réplique à des expulsions de squats autonomes dans notre pays.
En Allemagne , de petites cellules révolutionnaires se sont signalées à Berlin et à Hambourg, ainsi que lors du sommet du G8 à Heiligendamm, au printemps 2007. Le 2 juin 2007, à Rostock, une troupe de militants ultraviolents s’est attaquée à coups de cocktails Molotov et de feux d’artifice aux forces de l’ordre, blessant 433 agents et policiers.
En Espagne, les héritiers des Grapo (Groupes d’appui à la résistance antifasciste), dont le dernier commando a été arrêté en janvier 2008 à Barcelone, s’appellent Okupas, actif en Catalogne, et Antifa, implanté à Madrid ; ces deux mouvements multiplient notamment provocations et bagarres contre la police locale.
En Belgique, d’ex-membres des anciennes Cellules communistes combattantes ont formé un Bloc marxiste-léniniste, dont la propagande s’alimente du conflit nationaliste entre Wallons et Flamands.

Italie : Les Brigades rouges ne sont pas mortes

Le 2 mai 2003, le contrôle de routine d’un couple dans un train à proximité de Florence dégénère en fusillade. Un agent et Mario Galesi, l’homme qui avait ouvert le feu contre les policiers, périssent. Nadia Desdemona Lioce, la femme du couple, est arrêtée.
Les nouvelles Brigades rouges sont décapitées. Car, vivant en clandestinité depuis 1995, Nadia Lioce, 45 ans, était devenue la chef des terroristes se revendiquant des BR. C’est sa cellule qui avait assassiné en mai 1999 l’économiste Massimo D’Antona et, en mars 2002, le conseiller du ministre du Travail Marco Biagi.
L’agenda et l’ordinateur de Nadia conduisent à l’arrestation de ses compagnons d’armes. A l’époque, l’arrestation de l’intégralité des membres des Brigades rouges-Parti communiste combattant (BR-PCC) est considérée comme l’éradication des derniers vestiges des BR. Erreur. En février 2007, un coup de filet conduit à l’arrestation d’une quinzaine de militants se revendiquant des nouvelles Brigades rouges. La police découvre une cache d’armes et des documents qui indiquent la préparation d’attentats contre deux journaux, Il Corriere della sera et Libero , et contre la villa de Berlusconi en Sardaigne.
La présence de sept syndicalistes sur les quinze personnes incarcérées est un choc pour l’opinion, car elle semble indiquer une complicité entre terrorisme et monde syndical, comme dans les années 70. Les derniers militants arrêtés appartiennent à une génération spontanée qui n’a pas connu les acteurs des « années de plomb » et qui a poussé dans les réseaux alternatifs des squats. Elle réunit altermondialistes, anarchistes et une frange d’écologistes durs. La police redoute que le retour au pouvoir de Silvio Berlusconi ne relance des violences similaires à celles du début des années 2000 commises contre des banques, des tribunaux et des sièges de son parti, Forza Italia.

 

Dominique Dunglas (à Rome)

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La réponse de squatteur-e-s des Pavillons Sauvages:

[1er jet de droit de réponse]

Les Pavillons Sauvages sont cités dans l’article du 1er mai 2008 sur “les nouveaux combattants de l’ultragauche”, cela entre deux paragraphes parlant de terrorisme, nous entendons exercer un droit de réponse afin d’éclaircir ce qui pourrait passer pour un amalgame légèrement hâtif.

Les Pavillons sauvages sont un squat qui réunit la plèbe universelle ! Cette même plèbe qui, depuis plus d’un an que le lieux existe, a crée:
– Une crèche parentale gratuite que l’on nous empèche toujours d’ouvrir sous prétexte que le lieu n’est pas légal, “si vous l’ouvrez on vous met en prison”, quand Toulouse compte environ 3000 demandes non satisfaites de places supplémentaires dans les crèches, que nos locaux sont aux normes et attendent des mêmes pouvoirs publics une officialisation, que nous disposons du personnel qualifié, que malgré ce que peut croire l’opinion véhiculée le plus souvent par les grands médias, certains voisins, ou la police, nous payons nous aussi nos factures…
– Une salle de 4 ordinateurs connectés, libres d’accès, trois espaces d’exposition, une salle de rencontres musicales qui compte bientôt la centaine d’évènements gratuits, deux locaux de répétition, une salle polyvalente, des ateliers d’arts plastiques, de photo, de vidéo, une fripe, deux potagers, un parc rendu public, un compost de quartier, etc. Tout cela dans la liberté et la gratuité.

C’est évident, ce sont les gens le plus à gauche qui sont dangereux, et non pas les centuries de mercenaires humanoïdes surarmés… Les loups se font encore passer pour des brebis. Et la société civile achèvera-t-elle sa lobotomie au hurlement des sirènes du chantage social ?
Qui fait seulement le compte ? Toutes les maladies apparaissent aujourd’hui en occident de la surconsommation et de l’organisation du travail, non de la faim. Le cancer de nos vies provient de cette dette infinie qu’est l’organisation économique. Notre planète toute entière en crève.
Qui fait seulement le compte ? Les acquis sociaux fondent au soleil, les pauvres sont maintenant exclus même du RMI, les associations mettent la clé sous la porte. Une MJC disparaît, une prison pour mineurs se construit. La justice ne peut consister qu’à relier enfin dommages et réparation. Ces quelques centaines de milliers d’activistes amoureux de justice et de vérité, certes légèrement excitables par les injustices sociales représentent évidemment un danger pour l’oligarchie – mais qui s’en plaindrait ?

En France, nous disposons de 2 millions de logements vides, et d’encore 300 000 personnes dehors.Vous ne voyez rien de choquant à cela ? Nous si, alors nous occupons. Nous violons cette sacro-sainte propriété ; celle-là même qui dicte que l’armée rénove pour 400 000 € des locaux qu’elle détruit 3 ans plus tard ; qui préfère à une joyeuse friche sociale, culturelle et écologique, une nouvelle résidence-barre en crépit, éradiquant l’actuel îlot de verdure, désertant la rue, et enfin installant l’anonymat dans lequel croît si bien l’insécurité.

Notre initiative est “autonome”, en ce sens qu’elle ” se donne son sens”.
Le capitalisme ne peut-il rien tolérer qui ne soit son émanation propre ?
Devrait-il se sentir en péril s’il n’imposait pas toutes ces mesures coercitives ? Doit-on taper sur les manifestants, expulser toute zone échappant encore au Contrôle ? Et combien de temps appellerons-nous encore cela démocratie ?

Notre justice crée elle-même les criminels, car le même acte peut recouvrir un sens diamétralement opposé selon le contexte. Et le contexte, c’est, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, que le monopole de la violence revient aux états, aux mafias (qui ne sont d’ailleurs plus si différentiables), et au monde du travail. À quoi peut-on s’attendre lorsque l’on organise l’exploitation généralisée ? La violence n’est précisément jamais gratuite.

Pour conclure, permettez-nous une petite citation de ce cher Albert Cossery, “personne n’ignore que les pauvres sont capables de tout. Depuis des temps immémoriaux, c’était là le seul principe admis et cautionné par les classes possédantes. Mais ce principe outrageant procéde d’une imposture car, si les pauvres sont capables de tout, ils seraient déjà riches à l’instar de leurs calomniateurs. D’où il découle que, si les pauvres persistent dans leur état, c’est tout simplement qu’ils ne savaient pas voler.”

Il y a cependant une différence entre pauvreté et misère. On “misère” aussi bien à 3000 € par mois ; la frugalité, elle, est davantage un signe de puissance, de “résorption dans l’essentiel” comme qui dirait.

À bon entendeur,

ambidoxe AT altern.org