Notes sur les incidents en assemblée générale et sur l’occupation illégale de la Maison des Initiatives Etudiantes
En cette nouvelle rentrée universitaire, l’ancienne Maison des Etudiants (M.D.E) du Mirail a été investie et occupée. Ceux qui voulaient y inaugurer leur beau projet de Maison des Initiatives Etudiantes en ont été chassés. Autre chose a commencé. Depuis, devant la menace d’une expulsion par la police, nous sommes partis. De là où nous sommes, quelques réflexions à propos de ces dernières semaines.
1. L’occupation de la M.D.E a été loccasion pour nous de suspendre le cours normal des choses. Parce quune rentrée fait partie de ces moments qui viennent nous rappeler à quel point cette normalité salimente de notre étrangeté ; aux lieux que nous traversons sous loeil de caméras de vidéosurveillance ; aux autres que nous croisons sans jamais leur adresser la parole ; à nous mêmes. Une Maison des Initiatives Etudiantes ne sera jamais quun dispositif de plus dirigé contre ceux qui veulent garder linitiative. Autrement dit, en finir avec cette étrangeté.
2. Habiter un lieu, cest sorganiser collectivement pour le ravitaillement ; cest aussi bien penser ensemble ce que nous faisons là. Prendre un lieu sans lhabiter condamne à plus ou moins brève échéance à le gérer. Habiter un lieu veut dire : nous lier à lui par certains usages, les libérer. Ce qui semblait destiné à être une série de bureaux se transforme en autant de dortoirs, une salle daccueil devient une cuisine et le jardin accueille nos soirées de discussions autour dun feu de palettes récupérées dans les poubelles de la fac. Durant quelques semaines, les nuits furent peuplées par dautres présences que celles des patrouilles de vigiles.
3. Si nous sommes attachés à certaines pratiques, comme loccupation, et que nous finissons toujours par y revenir, cest que nous y éprouvons de la joie. Persévérer dans cette joie signifie la prendre au sérieux. Trouver les lieux, les instants. Pour ne plus rentrer chez soi. Faire de notre sensibilité une question commune, offensive. Ne pas la reléguer dans lindicible pour mieux éviter de lassumer : notre dégoût ou notre tristesse face à ce monde sont éminemment politiques.
4. A loccupation, des complicités sont nées. Ces complicités sont à la fois désir commun de saboter les dispositifs universitaires et amorce dune désertion plus vaste. Lécriture dun texte, une fête, la préparation dun repas ou dune action font partie de ces moments où ce qui compte est notre manière dêtre ensemble. Le point où disparaît la distinction entre la lutte et nos vies. Cest peut-être ce que nous entendions par lexpression « existence politique ».
5. Sur le chemin dun partage toujours plus grand de cette disposition à rencontrer nos amis, nous trouvons ce dispositif de neutralisation des gestes quest lassemblée-générale (A-G). Quest-ce quune assemblée-générale ? Linstance décisionnelle dont se dotent les militants en vue dune mobilisation. Le plus grand lieu de rassemblement à la fac. Où lon ne se réunit que sur la base dun isolement commun. Le lieu où vient agoniser le désir que quelque chose se passe, que soit brisée, enfin, la monotonie du quotidien. Cest le lieu de la déception par excellence. Une A-G, cest le même ordre du jour, invariablement. La même fuite en avant dans la dénonciation de nouvelles réformes. Les mêmes gestionnaires de la lutte qui essaient laborieusement de nous passionner pour des statistiques. Lobligation, par souci de démocratie, de subir les antibloqueurs et de donner la parole à lUMP-fac. Léternelle comédie autour de la légitimité, qui namuse plus personne.
6. Nous ne partons pas dun mouvement étudiant. Nous nous sommes retrouvés en dehors de lui et contre ce quil empêche. Pourtant, nous avons pris part aux assemblées-générales. Dabord en criant, en faisant du scandale. Parce que nous ne pouvions plus laisser cette obscénité quest lA-G se dérouler paisiblement. Finalement, la dernière A-G ne sest pas tenue. Nous avions préparé un texte, qui disait notamment ceci : « En foutant le bordel dans les A-G, nous ne faisons que révéler ce que les apparences ont de plus en plus de mal à cacher. Les A-G du Mirail nenchantent personne, font chier tout le monde. Si on continue à y venir, cest quon trouve plus de joie à les saboter quà les subir. » Une fois le texte lu, les militants assis à la tribune tentèrent de commencer lA-G comme si rien ne sétait passé. Il aura fallu un micro mis hors dusage, et la bousculade qui sen est suivie, pour que le conflit ne puisse plus être ignoré : des petits groupes se formèrent et commencèrent à discuter de la situation.
7. La perception de notre agitation par les gestionnaires de la lutte est la suivante : « Ils ne font pas de politique, la preuve : ils attaquent lA-G ». Nous disons le contraire : si nous sabotons les A-G, cest parce quelles nont plus rien de politique et que nous refusons de les abandonner à leur pauvreté. De la même manière, on nous définit comme un groupe isolé et sectaire. Pourtant, nous sommes toujours plus nombreux à faire le constat que la politique classique nest quune forme morte. Nous pensons que la perpétuation de cette forme reste encore la meilleure garantie que rien ne se passe. Ce qui implique que nous ne nous étonnons pas du fait que ladministration et les différentes organisations militantes saccordent à vouloir sauvegarder le pluralisme démocratique des A-G. Autrement dit, à nous en exclure.
8. Pour lheure, nous disparaissons. La lourde et ennuyeuse machine quest lA-G semble enrayée pour un temps. Lhypothèse a été émise dappeler à des conseils de guerre ou à des assemblées de lutte. Si cependant il nous arrive de revenir, cest que nous cherchons ceux qui cherchent autre chose.
9. En passant, il ny a pas de question des dégradations de la M.D.E, tout comme il ny a pas de question de la violence dans les A-G, sauf pour les différents gestionnaires, de la lutte ou de la fac. Il ny a que des lieux quon ne laisse pas intacts à lennemi avant de partir, et une indifférence qui se croyait souveraine qui reçoit la réponse quelle mérite.
Toulouse, décembre 2009
A ceux qui s’indignent sur un forum ou sur un tract, à ceux, donc, qui ne méritent pas plus qu’une note de bas de page, nous disons : nous ne parlons pas la même langue.
[Publié le jeudi 10 décembre 2009 sur Indymedia-Grenoble.]