Jeudi 13 octobre 2011
9h53 – Je suis prévenu par un copain tchétchène que la police est dans leur squat, au 25 de la rue Méhul, à Pantin. J’arrive sur les lieux vingt minutes plus tard.
Dans ce squat, ouvert en octobre 2010, ont vécu 27 personnes (5 femmes, 16 hommes, 6 enfants), d’après le décompte d’une asso qui les connaît bien et qui bosse avec eux. Parmi elles, neuf sont demandeur.euse.s d’asile et sept sont réfugié.e.s politiques. Les autres sont débouté.e.s du droit d’asile ou sous convention « Dublin », donc expulsables.
Illes avaient été expulsé.e.s d’un précédent squat, sur la commune du Pré Saint Gervais, en octobre 2010. Un article avait d’ailleurs été publié par quelqu’un.e sur Indy. Entre temps, toutes les démarches légales avaient été entreprises pour leur obtenir un hébergement : demande de logement social, hébergement d’urgence, par le 115 et la nouvelle plate-forme dite « SIAO ». Des courriers avaient été envoyés aux maires et au préfet Lambert, mais sans succès. Seul six personnes ont obtenu une offre d’hébergement, pour des durées limitées, dans des structures temporaires. Une personne de l’association présente nous dit que l’immeuble de la rue Méhul, hypothéqué puis racheté en 1991 par la société immobilière « Les Bruyères », était laissé à l’abandon depuis vingt ans. En juin 2011, le couperet est tombé : le TA de Pantin a prononcé une ordonnance d’expulsion. Mais depuis, pas de nouvelle. Jusqu’à aujourd’hui.
Dans le squat, les Tchétchènes ont rassemblé à la va-vite leurs affaires. La famille logée au premier étage (avec quatre enfants de moins de quinze ans) avait énormément d’affaires à réunir. Les flics sont restés dans leur dos à rouspéter pour qu’ils aillent plus vite, n’ayant de cesse de répéter des inepties sans nom : « Dépêchez-vous, on n’a pas tout notre temps », « Vous savez, ça fait des années que je fais ça, c’est mon boulot », « On vous a assez attendu, vous voulez pas aussi passer l’aspirateur ? », « Si ça ne vous plait pas, vous n’avez qu’à retourner en Tchétchénie »…
On tente bien de rétorquer, de leur parler de la situation en Tchétchénie, des tortures à l’électricité, de la terreur d’État imposée par Kadyrov et le Kremlin, de la convention de Genève qui impose aux États de fournir un logement aux réfugiés politiques, du mutisme du préfet qui n’a pas daigné répondre aux courriers, mais là encore, rien n’y fait. Un flic reste un flic. Obéissance et éthique ne sont pas compatibles.
Le flic réagit à l’argument des menaces subies en Tchétchénie : « Vous savez, les tunisiens aussi disent ça ». Il se lance alors sur un terrain glissant, évoque le squat des tunisiens qui a brûlé. On s’y attendait. Dans ses mots, on croirait qu’il tient les tunisiens pour responsables de ce qui leur est arrivé. On coupe court à la discussion : ne parle pas avec un flic, son cerveau est en veille.
Après moins de deux heures, tous les cartons sont descendus au pied de l’immeuble, dans le petit jardin qui donne sur la rue. Un autre couple a descendu ses valises, avec l’aide de plusieurs jeunes Tchétchènes qui vivaient là. Il a commencé à pleuvoir. Les flics sortent derrière tout le monde et disent qu’ils vont fermer la grille. Ils refusent d’attendre qu’on sorte les affaires et cadenassent la grille avec tous les cartons derrière. Pas de révolte parmi les Tchétchènes, mais de la colère contenue et de la lassitude.
Je sors ma caméra pour filmer l’abus manifeste des flics et les affaires enfermées dans le jardin. L’huissier, qui a de l’embonpoint (ça rapporte la chasse aux pauvres), sort son téléphone et me filme. Je repousse son téléphone, alors le flic de tout à l’heure me saute dessus, agrippe ma caméra puis, vociférant, demande à voir mes papiers. Je lui sors mon permis de conduire. Il se met à l’écart et me prend à son tour en photo avec son téléphone, avant de photographier mon permis de conduire. Il semblerait que ça devienne une pratique courante.
10h41 – Finalement, les flics partent (voiture immatriculée AF-335-NA 75). Ils n’étaient que trois à accompagner l’huissier. Deux agents de sécurité (voiture immatriculée 358 APA 93) sont chargés de garder les lieux. Ils sont plutôt désolés, nous ouvrent la grille pour qu’on puisse finir de sortir toutes les affaires. L’immeuble est entièrement vidé, tandis qu’arrivent des ouvriers chargés de murer l’entrée avec des parpaings.
Ce soir, les Tchétchènes iront dormir à droite ou à gauche, ou ils investiront un autre squat. Jusqu’à la prochaine expulsion…
Un veilleur
[Article trouvé sur Indymedia-Paris.]