Manille (Philippines): Un squatter tué par les flics lors d’émeutes contre une énième opération d’expulsion-démolition

Partout dans le monde, la propriété privée fait sa loi, inexorablement, mais aux Philippines, le processus de gentrification qui sévit sur Manille ne se passe pas sans heurts. Dans l’agglomération de Manille, où vivent plus de 11 millions de personnes, près d’un cinquième des habitant-e-s vivent en squat, pour la grande majorité dans des bidonvilles. Faites le calcul, ça fait beaucoup beaucoup de monde…

Aujourd’hui, lundi 23 avril au matin, des affrontements ont encore eu lieu entre flics et squatters, cette fois à Parañaque, en banlieue sud de Manille.

Des milliers d’habitant-e-s du quartier se sont rassemblé-e-s dès 6 heures du mat’, pour empêcher toute opération de démolition (pourtant officialisée « légalement » plus tôt dans l’année par décision de justice… les squatters avaient jusqu’à aujourd’hui pour déménager, ce qu’ils n’ont donc pas fait. Halala, ces sales pauvres ne respectent vraiment rien !). Empêchant physiquement la police d’avancer, ils ont bloqué notamment une des routes les plus fréquentées de la ville (Sucat road), formant une énorme barricade humaine.

Des pétards ont été lancés vers la police, quelques feux allumés, mais il n’y a pas eu de confrontation directe entre squatters et flics avant 10 heures du matin.

Des flics anti-émeutes lourdement armés (matraques, boucliers, etc.) et faisant usage de gaz lacrymogènes ont alors tenté d’avancer pour imposer l’opération d’expulsion-démolition. Mais des centaines de squatters s’y sont opposé, caillassant les flics, tentant de foutre le feu à des véhicules de police et à des camions de pompiers (venus sur place accompagner les flics, transportant parfois plus de policiers que de pompiers…). Parmi les projectiles lancés sur la police, les traditionnelles pierres et bouteilles, quelques cocktails Molotov, mais aussi, paraît-il, des sacs remplis de merde et/ou d’un mélange vinaigre/piment !

Les flics ont essayé de disperser la foule en frappant dans le tas. Quand ils ont fait usage d’armes à feu, la foule s’est repliée, beaucoup de gens rentrant chez eux pour protéger directement leur quartier d’habitation.

Trois personnes ont été touchées les balles des policiers, l’une d’entre elles est morte (Arnel Leonor, 21 ans, qui squattait dans ce quartier-là), les deux autres sont blessées, dont semble-t-il une assez gravement. Aux moins une quarantaine d’autres personnes auraient été blessées suite à l’attaque policière.

Le chef de la police locale, Ani Endraca, a justifié cela en déclarant: « Si vous aviez vu la situation ici, vous auriez pensé qu’on était en Irak« … Belle manière de laisser penser que les horreurs commises par les forces armées occidentales en Irak sont « normales » étant données « la situation« . Coup double, c’est aussi un moyen facile de diaboliser les squatters: comparer la nécessité d’expulser des logements à une guerre militaire qui a fait des milliers de victimes en Irak ! Du gros n’importe quoi.

Selon le même chef des flics, cinq personnes (flics et employés du gouvernement) ont été touchées par les caillassages. Il a aussi laissé planer le doute quant aux deux personnes touchées par balles, disant qu’il ne savait pas qui avait tiré, ni à quel moment.

Mais des images des émeutes montrent clairement un flic qui tire sur la foule avec un fusil d’assaut, pendant que des pierres volent en direction de la police…

Pour ajouter à la confusion du discours policier, le maire de Parañaque, Florencio Bernabe, prétend que les autorités voulaient simplement déplacer un marché improvisé de vendeurs à la sauvette, de manière à y construire des logements sociaux (bah tiens !), mais les squatters auraient « naïvement » cru qu’ils devraient bouger eux aussi.

Le maire a déclaré, au sujet des squatters de Parañaque: « On peut les tromper facilement. Ils sont très vulnérables. Je comprends leurs peurs« . Si ça c’est pas du foutage de gueule… Ils sont tellement crédules que monsieur le maire essaye maintenant encore de les flouer: qu’on nous explique pourquoi les autorités ont déplacé des dizaines de flics anti-émeutes si c’était juste pour demander à des vendeurs ambulants de se mettre un peu plus loin…

Malgré ces déclarations « officielles », tout le monde sait que les flics étaient venus en masse pour procéder à un énième opération d’expulsion-démolition, ce genre d’attaque anti-pauvres ayant lieu très régulièrement dans l’agglomération de la capitale des Philippines.

Au final, triste bilan avec un mort et au moins un blessé grave, une trentaine d’arrestations, mais ces émeutes auront réussi à repousser les flics durablement, aucune expulsion n’a pu avoir lieu ce jour-là (seul les vendeurs ambulants ont dû dégager, plusieurs stands étant détruits par la police).

La lucha sigue.

Et une autre vidéo, .

Sources (in english): AFP, PhilStar, Inquirer.