Nos promenades dans Calais, intitulées « Calais, ville fantôme », ont montré la présence des exilés dans trois quartiers de la ville, les lieux où ils ont été, les lieux que les autorités murent ou détruisent pour qu’ils n’y soient pas ou qu’ils n’y soient plus. Nous pourrions continuer ces promenades dans Calais, et le ferons sans doute pour transmettre la mémoire de ce que fut et de ce qu’est la présence des exilés dans cette ville.
Ce sont de multiples expériences d’installation dans un interstice, une marge, une dent creuse, une ruine, un espace ou un bâtiment délaissé. On s’y installe pour y dormir, peut-être délogés demain matin par la police. Si l’expulsion ne vient pas, le feu est ce qui rassemble, on se regroupe autour du foyer, on se réchauffe et on chauffe le thé. Une communauté, une vie sociale s’organise, on s’approprie l’espace.
Et un jour, quand vous êtes en visite, on vous offre le thé. Les rapports d’hospitalité se créent, c’est leur maison. Une cuisine, un espace de prière, parfois une école apparaissent. Une vie se crée, malgré les descentes de police, jusqu’à l’expulsion finale. Ainsi depuis douze ans. Campements ou squats, les interstices urbains dans lesquels on s’abrite deviennent des lieux de vie. Toujours précaires, toujours remis en cause par les autorités qui ne reconnaissent pas le droit à être là à ceux qui sont là, toujours expulsés, et toujours recréés.
Aujourd’hui, nous voulons un accueil digne de ceux et celles qui veulent faire leur ici
Mars 2011, squat Thélu, rue Descartes.
Mars 2011, squat Thélu, rue Descartes, après le passage du bulldozer qui a complétement détruit les espaces intérieurs.
Printemps 2012, ruines de l’ancienne usine Darquer rue des Quatre Coins, la salle de classe.
[Publié le 26 mars 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]
Calais, Ville fantôme (3)
Calais Nord ne présente pas le même mélange d’habitations et d’usines que l’ancienne ville ouvrière et industrielle de Saint-Pierre, dont nous avons visité deux quartiers ces dernières semaines.
Les exilés y sont pourtant présents, dans des interstices parfois microscopiques, ou des zones délaissées comme l’était le Fort Risban ou comme l’est devenu le no mans land entre le port et la ville après que celui-là ait été clôturé et fermé. On trouve donc quelques lieux murés, mais aussi des clôtures et des défrichements ayant pour but d’empêcher l’installation des exilés.
Si le saccage du site camping municipal par la mairie relève d’un autre agenda politique, c’est encore une fois un bien public qui aurait pu, en attendant que le lieu soit consacré à un autre usage, être mis mis au service des sans-logis.
Fermé six mois sur douze, le camping municipal aurait pu offrir une solution d’accès à des douches et des sanitaires pour les sans-abri, notamment les exilés, beaucoup plus pratique que la solution retenue située à une heure du centre-ville et insuffisante en terme d’espace et de nombre de douches. Au printemps 2013, juste avant la saison touristique, le camping a fermé définitivement pour laisser la place à un projet de centre de congrès dont le financement n’est pas assuré. Dans l’intervalle, le lieu aurait pu servir aux sans-logis. Au lieu de cela, le bloc sanitaire a été rasé, et le terrain systématiquement retourné pour détruire les canalisations et les gaines électriques. Le terrain est vide pour une durée indéterminée. Il ne pourrait même plus retourner à son rôle de camping sans des investissements importants pour réaménager le site.
Avant d’être débroussaillé, le Fort Risban, voisin immédiat de l’ancien camping, a servit d’abri à des cabanes et des bivouacs, notamment après la série de destructions de campements de septembre et octobre 2009 (l’année Besson).
Parmi les micro-interstices, ce garage rue de la Couleuvrine qui a servit d’habitation à des groupes de 10 à 15 exilés albanais en 2012, plusieurs fois expulsés, jusqu’à ce qu’il soit finalement muré.
Rue Eustache de Saint-Pierre, le renfoncement d’un muret a servi à dissimuler une tente qui a accueilli de quatre à dix exilés afghans en 2011 – 2012. Le lieu a été muré, une grille empêche de passer par-dessus le muret, une autre grille empêche d’entrer sur le terrain.
Rue Notre-Dame, une citerne accolée à l’église du même nom. Lors des expulsions en série de septembre et octobre 2013, un exilé a forcé les volets vermoulus et s’est introduit dans la citerne pour y dormir au calme. Mais il s’est trouvé dans l’impossibilité d’en sortir. Sans son téléphone, il serait mort. Les pompiers l’ont sorti de là. Depuis, des volets neufs et rouges ferment le lieu.
Entre la ville et le port aujourd’hui ceinturé de grille s’est créé un no mans land, dans lequel des exilés se sont installés à plusieurs reprises. Par exemple autour de l’ancienne douane, à l’abri de ses arcades, pendant l’été 2012. Le campement a été évacué le 26 septembre 2012 sous une pluie battante. Le lieu a été ensuite clôt par une grille, tandis que la haie qui abritait certaines tentes a été rasée (elle était avant le parking et le bâtiment rouge).
De l’autre côté de la rue Lamy, des exilés se sont installé à plusieurs reprises sur le lieu de distribution des repas dans le courant de l’année 2012. Ici le campement tel qu’il existait début septembre. Il a été évacué le 25 septembre 2012.
Le campement actuel, à l’angle de la rue Lamy et du boulevard des Alliés, vu de la rue de Berne à travers les grilles entourant l’ancienne douane. Ce campement accueille actuellement entre 120 et 150 personnes.
Parmi les micro-interstices, un bout d’arcade de l’ancienne douane, rue Lamy, qui n’avait pas été grillagée à l’automne 2012. En septembre 2013, chassés de lieu en lieu par une nouvelle vague d’expulsions, un groupe de Syriens comprenant jusqu’à une quinzaine de personnes s’abrite là. Jusqu’à ce qu’ils en soient chassés, et que le lieu soit fermé par des plaques de contreplaqué.
Victime colatérale de la même politique, la place de Suède, avec ses bars, ses restaurants et ses logements vides. Quend le port était ouvert sur la ville, elle était le lieu où venait boire ou manger à la fois les travailleurs du port et les voyageurs en transit en attente de leur train ou de leur ferry. Le port est aujourd’hui fermé par des grilles et des systèmes de surveillance sophistiqués, et la sortie de se fait par l’autoroute, à l’opposé de la ville. Fragilisés, les bars et les restaurants n’ont pas résisté à la crise.
[Publié le 24 mars 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]