Contre les propriétaires[1] et le capital, guerre sans merci !
« Si tu veux être heureux, nom de dieu, Pends ton propriétaire… »
Prendre la rue et défendre des personnes jetées à la rue est une solidarité bien élémentaire qui est déjà énorme dans le contexte actuel. En appeler au droit au logement est probablement un pas supplémentaire. Toutefois, lutter immédiatement contre des hausses de loyers, contre le fait que des personnes soient à la rue, pour des conditions de vie plus dignes ne doit pas faire oublier que c’est bien le simple fait de payer un loyer qui est une escroquerie. La dignité ne se monnaye pas, pas plus que la liberté ! Comme le disait un tract de l’Assemblée libertaire diffusé au milieu de l’année 2013, « l’une des premières conséquences des politiques d’austérité, c’est l’accès au logement plus difficile encore. Aujourd’hui, il y a plus de 3,6 millions de mal-logéEs en France, et au moins 130 000 SDF. Les expulsions locatives sont quant à elles de plus de 100 000 chaque année. Mais au-delà des politiques d’austérité, c’est la propriété privée, à la base du capitalisme, qui crée les conditions de mal-logement. Aujourd’hui, pour une bonne partie des populations le seul moyen de se loger c’est soit de consacrer une part exorbitante de son budget dans un loyer, soit de rembourser un prêt tout au long de leur vie. Pendant ce temps-là, d’autres spéculent et s’enrichissent, nourrissant le coût important de l’immobilier. Ces spéculations se traduisent notamment par des logements qui restent inoccupés pendant que des gens sont jetés à la rue. Dès lors, il est bien légitime d’occuper ces habitations vides ».
L’histoire de cette revendication du droit au logement n’est pas la nôtre. A la tradition des déménagements solidaires à la cloche de bois et des réquisitions à la fin du 19ème et au début du 20ème siècles, portée par des révolutionnaires et révoltés, notamment la Ligue des anti-propriétaires, s’est peu à peu substitué le droit au logement, revendication des catholiques sociaux après 45. C’est issu de cette tradition qu’est apparu le DAL (Droit Au Logement), qui cherche essentiellement à attirer l’attention des pouvoirs publics via les médias, et à mobiliser l’opinion publique. Outre le caractère réformiste et médiatique de cette position, contrairement à une autre tradition qui préférait la réappropriation directe et les visées révolutionnaires, la question du logement vient remplacer peu à peu celle de la réappropriation de nos espaces de vie dans toute leur complexité. Là où il y avait une volonté d’habiter, et donc de constituer collectivement un lieu, avec ses rencontres, ses significations familières, ses symboles, ne reste plus que la fonction élémentaire pour survivre de se loger. C’est pourquoi à la veille de mai 68, certainEs ont voulu subvertir cette revendication du droit au logement en droit à la ville, avec toutes ses dimensions plurielles : aussi bien les rencontres et festivités que se défaire du poids de la marchandise, des transports, des flics et des industries. On ne vit pas que de pain… Et nous préférons prolonger autant que possible les traditions de lutte qui ont associé le pain et la liberté.
Ce serait surtout oublier les politiques agressives de rénovations urbaines et d’aménagements du territoire qui nous incarcèrent toujours plus dans la domination capitaliste, avec leur architecture sécuritaire, leur circulation des marchandises, leur gentrification et les nouvelles technologies de contrôle et de marketing qui prolifèrent déjà dans le mobilier urbain… La création de logements, qu’une revendication floue et en partie consensuelle telle le droit au logement peut contribuer à favoriser, participe aussi aux déplacements des classes populaires, à la destruction de solidarités locales et au bétonnage toujours plus important du monde.
Les socialistes révolutionnaires d’autrefois et le vieux mouvement ouvrier ont d’abord refusé les politiques publiques de logement, et donc ne s’inscrivaient pas dans la revendication du droit au logement. Ils et elles concevaient d’ailleurs les logements ouvriers et à bon marché comme des taules et des usines. De la même manière, ils et elles refusaient viscéralement les petits gestes d’assistance et de charité que capitalistes et Etat acceptaient de leur lâcher. Les politiques de logement – appuyées dans la société civile par une social-démocratie en formation, des catholiques sociaux et des patrons soucieux de leur main d’œuvre – étaient bien portées par une logique paternaliste visant à prendre soin de la main d’œuvre et à pacifier une société d’exploitation profondément inégalitaire. C’était d’ailleurs la vision de Louis-Napoléon Bonaparte, celui qui a modernisé et développé le capitalisme industriel le plus libéral en France, qui souhaitait « désarmer pacifiquement l’émeute » par de telles politiques.
Beaucoup au sein des mouvements révolutionnaires refusaient d’en appeler au Droit, et pour cause, ils et elles combattaient la domination étatique. En appeler au Droit, c’est toujours prendre le risque d’un renforcement de l’Etat et de ses lois, qui encadre chaque jour un peu plus nos existences. Ce ne sont peut-être pas tant des droits que nous avons à demander que le Droit qui est en trop, réduisant chaque jour un peu plus l’exercice de notre liberté. Surtout que l’Etat ne lâchera jamais un tel droit, à part de façon abstraite et non réalisable dans les faits – c’est d’ailleurs déjà plus ou moins le cas sur le droit au logement aujourd’hui…
Le flou qu’entretient une revendication comme le droit au logement permet à chacun de mettre ce qu’il ou elle y souhaite. Si pour certainEs, elle est d’abord pensée comme l’occupation des lieux vides ou l’obtention de conditions de vie dignes par un rapport de forces, d’autres peuvent y voir un appel à la bienveillance de l’Etat, pendant que quelques unEs imaginent déjà les projets urbains et autres aménagements de nos vies en s’appuyant sur cette revendication au même moment que des politiciens espèrent bien intégrer ce qu’ils et elles pourront de celle-ci.
Il ne s’agit pas de dire qu’obtenir un logement n’est pas le plus pressant pour les gens à la rue, et formuler de telles critiques sont plus faciles avec un toit sur la tête. Mais faire appel au droit au logement est se leurrer sur ce à quoi on fait face : il n’y aura jamais de droit au logement réel dans un système capitaliste. Et si nous parvenons à créer un rapport de forces suffisant pour l’imposer, c’est que nous serons capables d’envisager bien plus qu’un simple droit au logement… Or, il est bien difficile de voir comment on en arrive à la lutte pour l’abolition de l’Etat et du capital en partant de là. Si, de manière individuelle, nous faisons ce que nous pouvons pour nous loger de la manière la plus confortable possible, une lutte collective est peut-être l’occasion d’ambitionner autre chose. Ce qui n’empêche pas de chercher à imposer des solutions immédiates de relogement pour les personnes à la rue. La question est de savoir si on se contente du peu qu’un système d’exploitation et d’oppression veut bien nous lâcher, ou si on vise à son dépassement…
Des gens solidaires mais contrariéEs.
[1] Nous espérons que tout le monde aura compris qu’il s’agit des propriétaires qui font fructifier leur capital sur le dos des petites gens, et non des petits propriétaires qui se sont offerts un chez-soi.
[Texte publié le 29 Mars par Sous La Cendre]