On commençait à le pressentir, mais les annonces faites par le préfet du Pas-de-Calais viennent le confirmer : la séquence que nous vivons concernant les exilés à Calais est un remake de celle de 2009. Mais une copie de mauvaise qualité, comme si cette gauche ne pouvait être qu’une droite qui serait la plus bête du monde. Le tout laissant un goût de mépris profond, d’amateurisme et d’occasions manquées.
Le parallèle entre 2009 et 2014
En 2009, le gouvernement, représenté par le ministre de l’immigration Éric Besson, avait déployé sur quasiment toute l’année une mise en scène de son action : visite en début d’année pour « prendre connaissance de la situation »; nouvelle visite en avril pour annoncer les mesures décidées par le gouvernement, présentées comme un équilibre entre « fermeté et humanité »; une série de visites sur un temps très court fin septembre et début octobre à l’occasion de la série des destructions de campements, débutée par la très médiatisée « fermeture de la Jungle de Calais ». En toile de fond, une forte augmentation du nombre d’exilés jusqu’en juillet, puis une baisse rapide avant les expulsions, pour des raisons extérieures à Calais (réorientation d’une grande partie des Afghans vers la Scandinavie, quasi-interruption des traversées entre la Libye et l’Italie); et déjà une épidémie de gale, traitée avec amateurisme par l’État. Dans les coulisses, une négociation franco-britannique portant d’une part sur une répartition des coûts d’un renforcement des contrôles à la frontière, d’autre part sur un ensemble de mesures répressives, dont la partie visible est la Déclaration conjointe d’Évian et la signature d’un nouvel Arrangement franco-britannique.
On a le sentiment d’assister en 2013 et 2014 à l’essai de reproduire une séquence semblable, mais de manière complétement avortée – sauf le résultat final à l’identique, les destructions de campements. Il y a tout d’abord les tergiversations de Manuel Valls pendant six mois, qui annonce et reporte sa venue à partir du mois de juin – il finira par venir en décembre. Une visite « pour se rendre compte de la situation et rencontrer les acteurs », et annoncer des mesures, un volet « humanité » (maisons du migrants, accueil des personnes vulnérables), dont on attend toujours la concrétisation, et un volet « fermeté » d’application immédiate (le renforcement de la présence policière) et différée (les évacuations de campements annoncées par le préfet). Une seconde visite était annoncée pour après les municipales, mais le ministre de l’intérieur est entre-temps devenu premier ministre. C’est donc le préfet qui gère la suite de la séquence et la phase de destruction.
Mais au-delà des cafouillages et de l’absence d’imagination, c’est bien la maire de Calais (UMP) qui apparait à l’origine de la séquence, tant la venue de Valls que les destructions finales. Tant est totale la débandade d’un gouvernement incapable d’initiative.
Les expulsions
Depuis la fermeture du Centre de Sangatte, Calais alterne entre des phases d’expulsions à répétitions, pendant lesquelles de nombreux squats et campements sont évacués dans un temps assez court, puis les personnes chassées de lieu en lieu au fur-et-à-mesure qu’elles essayent de se réinstaller. Cela peut durer plusieurs semaines. Les personnes ne disparaissent pas pour autant, peu-à-peu la pression se relâche, les expulsions deviennent plus rares, des campements et des squats s’installent. Il y a souvent une période de forte pression avant l’été et à la rentrée en septembre et octobre. Les campements actuels sont le résultat des expulsions en série de septembre et octobre 2013, du squat de la rue Mouron à celui de la Rue neuve.
Les expulsions actuelles correspondent donc à la campagne de printemps tristement habituelle, avec un zeste de médiatisation supplémentaire lié à la campagne des européennes. Le gouvernement se déporte à droite pour empêcher que la droite ne trouve un espace pour prospérer entre lui et l’extrême-droite, et celle-ci fait le mouvement inverse pour la même raison. Mais le gouvernement ne se soucie guère si son propre électorat le suit dans cette voie, et les municipales ont montré que non.
L’échec de cette orientation n’aurait pas tant d’importance si la politique menée n’avait pas des effets désastreux sur les populations. Sur les exilés, on le voit tous les jours, et le préfet vient d’annoncer que demain serait pire qu’aujourd’hui. Mais une grande partie de la population calaisienne est aussi maltraitée, d’une autre manière.
Pourtant, la DIHAL (Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement) dispose de financements pour des diagnostics de situation et des actions pour la résorption des bidonvilles et le relogement des habitants. Les projets pour 2014 sont à déposer par les préfectures avant le 30 mai. Il semble que la préfecture du Pas-de-Calais va déposer un dossier vide.
La gale
La gale a une période d’incubation de trois semaines en moyenne. Il est donc nécessaire que soient traitées non seulement les personnes qui portent les symptômes de l’infection, mais aussi leur entourage qui peut être infecté sans que que ce soit encore visible. Les vêtements et les couchages doivent aussi être traités, sans quoi ils vont réinfecter les personnes. Les oeufs résistant au traitement, il faut réadministrer celui-ci une semaine plus tard pour être sûr que le parasite est détruit et que la personne est guérie.
Il faut donc traiter dans son ensemble chaque campement, en remplaçant les vêtements et les couchages, deux fois à une semaine d’intervalle. En tenant compte des nouvelles arrivées et des départs dans l’intervalle entre les deux phases du traitement.
Le mieux est que les personnes soient dans des conditions d’accueil dignes, permettant un accès normal aux soins et à l’hygiène, et évitant la promiscuité qui favorise la transmission. L’amateurisme avec lequel la préfecture aborde la question ne permettra pas un traitement efficace. Expulser les personnes dans ces conditions, c’est disséminer la gale.
Le sort des femmes et des mineurs
On croyait avoir avancé concernant la situation des femmes exilées. Le préfet s’était engagé à ce que les femmes soient relogées sans être séparées à la fermeture du lieu. Il n’était pas clair si les femmes arrivant ensuite seraient elles aussi hébergées ou pas, mais la discussion semblait ouverte. La régression est complète. L’association Solid’R va reprendre la gestion du squat alors que 50 femmes s’y entassent avec des enfants, en attendant qu’une solution soit trouvée pour chacune. Or il n’y a pas de solution d’hébergement actuellement existante à Calais pour 50 femmes, certaines avec enfants, loin de là. Celles qui veulent aller au Royaume-uni n’accepteront pas de s’éloigner de Calais. Elles se retrouveront donc très rapidement à la rue.
Même raisonnement pour les mineurs, et l’État répète là encore ce qui s’était fait en 2009. S’ils sont éloignés de Calais, les mineurs dont le projet est allé au Royaume-uni ne resteront pas dans l’hébergement qui leur sera proposé, et reviendront à Calais et seront à nouveau à la rue.
Il n’y a donc aucune prise en compte des personnes les plus vulnérables. Au contraire, le seul lieu d’hébergement existant pour les femmes, si imparfait soit-il, va disparaitre.
[Publié le 21 mai 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]