Calais: l’État, l’OFPRA et les expulsions de campements

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EXPULSIONS DE CAMPEMENTS: LA FRANCE DEVANT LA JUSTICE EUROPÉENNE

La France a été condamnée le 17 octobre 2013 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour une expulsions de campement sans concertation, sans examen de la situation des personnes et sans solution de relogement, au titre du respect de la vie privée et du domicile.

La CEDH est à nouveau saisie depuis le 12 avril 2014 d’un recours contre une autre expulsion de campement, au titre du traitement inhumain et dégradant que constituent les circonstances de l’expulsion et la dégradation des conditions de vie des personnes expulsées, ainsi que du respect de la vie privée et du domicile. Une pétition peut également être signée ici.

Les circonstances pour lesquelles est saisie la CEDH sont semblables à celles des évacuations de campements à Calais le 28 mai dernier, ou de l’expulsion possible du lieu de distribution des repas occupé par les exilés, sans oublier toutes celles qui eu lieu dans le passé.

Les autorités vont-elles continuer à aller contre la justice européenne ?

[Publié le 23 juin 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]

L’OFPRA SERT À EXPULSER LES CAMPEMENTS

La venue du directeur général de l’OFPRA ce mercredi à Calais, au lieu de distribution des repas occupé par les exilés, mérite qu’on y revienne. Pendant la journée, la préfecture a dit aux associations, aux médias et aux exilés eux-mêmes que les occupants du lieu devaient partir, ce qui laisse présager une expulsion, et un dispositif spécial pour ceux qui choisiraient de demander l’asile. Le soir, le directeur général de l’OFPRA est là pour tenter de crédibiliser ce dispositif. Est-ce là le rôle de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides ?

La législation européenne (règlement Dublin III) prévoit qu’on ne peut demander l’asile que dans un seul pays, et énonce une série de critères pour déterminer quel est ce pays. Dans la très grande majorité des cas, il s’agit du pays d’entrée dans l’Union européenne. Toute une partie des exilés arrivant en France se sont fait prendre leurs empreintes digitales dans des pays qui ne respectent pas les droits des demandeurs d’asile ou n’offre pas de possibilités d’intégration aux réfugiés (Bulgarie, Hongrie, Italie…). S’ils demandent l’asile en France, ils risquent donc d’être renvoyés dans le pays où ils ont laissé leurs empreintes digitales. Et s’ils demandent l’asile en France, ils devront y donner leurs empreintes, et ils ne pourront plus demander l’asile dans un autre pays.

Lorsqu’ils arrivent en France, les exilés voient des demandeurs d’asile vivre à la rue. Il faut un délais variable selon les préfectures, généralement de plusieurs mois, pour obtenir le premier rendez-vous qui permet d’entrer dans la procédure d’asile.Pendant ce délais, ils sont sans-papiers et à la rue. Ensuite ils doivent attendre souvent plusieurs mois une proposition d’hébergement, souvent dans un foyer d’hébergement d’urgence où aucun accompagnement des demandeurs d’asile n’est prévu.

La CFDA (Coordination Française pour le Droit d’Asile) a fait en 2012 un rapport complet sur la dégradation de l’accueil des demandeurs d’asile en France. Les choses ne se sont pas arrangées depuis. Et les exilés sont informés de la situation, puisqu’ils rencontrent des demandeurs d’asile à la rue.

Par ailleurs, les exilés sont confrontés aux contrôles et arrestations à répétition, insultes et brutalités policières, notamment à Calais. Ils ont compris que pour les autorités françaises ils n’étaient pas les bienvenus, et le premier mot de français qu’ils ont appris de la police est généralement “dégage”. Tout est fait au quotidien pour qu’ils n’aient pas envie de rester en France.

C’est donc dans ce contexte qu’intervient le directeur général de l’OFPRA. Le dispositif qu’il propose évite le temps d’attente à la rue avant le rendez-vous en préfecture et la proposition d’hébergement – ce qui est d’ailleurs le simple respect de la loi, et on se demande pourquoi l’État ne respecte pas la loi tout le temps. Mais rien n’est dit quant aux hébergement proposés et surtout au suivi de la demande d’asile des personnes, qui est essentiel pour avoir une chance d’obtenir une réponse positive (le dossier de demande et le récit de vie doivent être écrits en français par exemple, les chances de réponse positive sont plus élevées pour les personnes qui ont pu préparer leur entretien avec l’OFPRA que pour les personnes qui n’ont reçu aucune aide).

On a déjà eu le mois dernier un détournement des missions de l’ARS (Agence Régionale de Santé) pour le montage d’une fausse opération contre la gale pour donner une couleur humanitaire à l’expulsion de trois campements. Maintenant c’est l’OFPRA qui est détourné de sa mission de protection des réfugiés pour jouer le rôle de la “main tendue de la France” dans une opération publicitaire visant à mieux faire passer l’expulsion des exilés qui occupent le lieu de distribution des repas.

Au moment où une réforme de la législation française sur l’asile est en discussion, ce détournement des missions de l’OFPRA est particulièrement inquiétant.

[Publié le 21 juin 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]

LOST IN TRANSLATION

Lorsqu’ils sont venus rencontrer les exilés hier mercredi, le directeur départemental de la cohésion sociale, le sous-préfets, puis le directeur général de l’OFPRA étaient accompagnés d’une interprète, en langue arabe. L’arabe n’est la langue ni de l’Afghanistan, ni de l’Iran, ni du Pakistan, ni de l’Éthiopie, ni de l’Érythrée… La traductrice a improvisé en anglais. A compris qui pouvait.

Les représentants des autorités ont invité les exilés à aller à l’antenne de l’OFII à Calais pour avoir plus d’informations sur la procédure d’asile. Un jeune homme en revient dépité. Il n’y avait pas de traducteur en arabe, et il a été désorienté par la traduction par téléphone. Quatre cents personnes ont été invitées à venir se renseigner sur la procédure d’asile auprès d’un organisme qui ne dispose pas de traducteur. C’est “la main tendue” et “l’effort national” dont parlait le préfet en conférence de presse.

On avait déjà eu le cas lorsque les exilés syriens avaient occupé l’accès piéton du port de Calais en octobre 2013. Deux agents de l’OFII ont été présents plusieurs heures sans parler à personne. Et comme le préfet avait – déjà – dit aux exilés de s’adresser à eux pour avoir des information sur l’asile, des gens sont venus les voir. C’est le moment où on a vu que les agents de de l’OFII ânonnaient péniblement un peu d’anglais, et n’étaient accompagnés d’aucun traducteur. À compris leurs explications qui a pu.

Le même problème se posera aux exilés qui choisiront de demander l’asile dans le cadre du dispositif proposé par le préfet et le directeur général de l’OFPRA. Ils seront dispersés dans toute la France dans des foyers d’hébergement d’urgence. Hors, le pris de journée que reverse l’État aux foyers pour l’accueil des demandeurs d’asile ne comprend ni l’accompagnement administratif ni l’accompagnement à la demande d’asile. Ils devront donc se débrouiller seuls pour compléter obligatoirement en français leur dossier de demande d’asile sous trois semaines, y compris le récit de vie détaillant les persécutions et les craintes le ayant amenés à fuir leur pays. Ils devront également se débrouiller pour faire les démarches auprès de Pôle emploi pour ouvrir leurs droits à l’Allocation Temporaire d’Attente, pour ouvrir un compte en banque, pour ouvrir leurs droits à la CMU… Les plate-formes d’information et d’accompagnement des demandeurs d’asile non hébergés en CADA (Centres d’Accueil des Demandeurs d’Asile) ayant été régionalisée, ils ne pourront en espérer un soutien que s’ils habitent le chef-lieu de région, ou l’une des rares préfectures de département où elles ont des antennes.

Le directeur général de l’OFPRA a annoncé que leurs demandes seraient traitées en trois mois. Combien seront de retour à Calais dans quatre mois après avoir reçu une réponse négative, faute d’un accompagnement adéquat ? Ou plus rapidement, faute d’avoir déposé leur demande en français dans les délais ? Et auront perdus toute chance de déposer une demande d’asile dans un autre pays européen, en vertu du règlement Dublin III, qui prévoit qu’on ne peut demander l’asile que dans un seul pays.

Les mesures d’accompagnement des expulsions de campements du 28 mai relevaient du bricolage : traitement de la gale au milieu de la cour du lieu de distribution des repas, envoi des mineurs pour cinq jours dans la campagne béthunoise sans perspective au-delà.

C’est encore de bricolage qu’il s’agit avec ce prétendu dispositif exceptionnel de prise en charge des demandeurs d’asile. C’est une simple diversion, pour détourner l’attention de l’objectif de la préfecture : évacuer le lieu de distribution des repas, et mettre à la rue les quatre cents personnes qui l’occupent aujourd’hui.

[Publié le 20 juin 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]