Hier (27 juin 2014), Nantes Metropole inaugurait l’édition 2014 de Voyages à Nantes. Parmi les « évènements » programmés ce jour là, il y avait l’inauguration du faux squat Villa Ocupada.
En réponse à la provocation que représente ce lieu pour celles et ceux qui luttent ici et là, notamment sur des questions de logement, des dizaines de personnes sont allées perturber le vernissage.
Les organisateurices ont fini par décider de raccourcir la soirée, le lieu a fermé 1h30 après son ouverture… pas toujours facile d’ouvrir un squat… ;)
En attendant un compte-rendu plus détaillé, voici le tract distribué sur place.
Villa ocupada
« Villa ocupada », c’est le nom d’un des événements programmés dans le cadre du Voyage à Nantes… L’idée est d’octroyer un bâtiment vide en plein cœur de la ville à des artistes, de le leur laisser quelques semaines puis d’ouvrir ce bâtiment au public, façon musée…
Le choix des mots
Habituellement, pour ce type de projet, on parle de résidence artistique [1]. Le Voyage à Nantes utilise ici un tout autre vocabulaire : Villa ocupada, occupation artistique, investir les lieux…
« Villa ocupada »…on pourrait traduire littéralement par « Maison occupée ». Dans les faits, cette expression est plus couramment traduite par « squat ». Pour autant, à aucun moment dans la présentation du projet le mot squat n’est cité [2]. Ce choix n’est pas anodin.
D’un côté la ville peut se vanter d’utiliser un concept à la mode, de favoriser des pratiques « hors-normes » [3], de l’autre elle n’a pas à assumer le squat et toutes les représentations négatives qui vont avec (précarité, illégalité, etc.).
Occuper des bâtiments vides
Occuper des bâtiments et des maisons vides, ça a du sens. Ça a du sens d’abord parce que des tas de personnes dorment dehors alors que des tas de bâtiments sont vides.
Ça a aussi du sens parce qu’une partie de ces bâtiments n’ont pas pour leur propriétaire de vocation à être habités. La « pierre » est une valeur sûre, c’est plus sûr que de laisser son pognon à une banque, ça fructifie mieux. Dans ce cadre, une partie des propriétaires préfèrent garder des bâtiments vides, plutôt que de « s’embêter » à les louer. Ils et elles les revendront le moment venu, et seront presque sûr-e-s d’avoir fait des bénéfices à peu de frais.
Occuper des bâtiments vides, c’est aussi mettre du sable dans les rouages de l’urbanisation, de la métropolisation. Beaucoup de ces bâtiments sont dans des zones en cours de restructuration. On démolit, on construit pour le plus grand plaisir des urbanistes, cabinets d’architectes, boîtes de BTP et de travaux publics qui s’en mettent plein les poches sur notre dos. Ces restructurations se font le plus souvent sans que les habitant-es des quartiers concernés n’aient pu donner leur avis, ou lorsqu’ils et elles ont pu le faire, sans que cela ne soit pris en compte… c’est ce qu’on appelle la démocratie participative.
Et puis, ça a aussi du sens parce que passer sa vie à la gagner pour finalement reverser la moitié de son salaire à un-e propriétaire ou à la banque à qui on a fait un prêt, c’est pas une vie. Passer sa vie à se justifier, pour obtenir des aides sociales (RSA, AAH, ARE, ASS…) pour les refiler aussi aux proprios ou autre marchand-es de sommeil, c’est pas une vie non plus.
Enfin, squatter c’est aussi rompre une partie des liens de dépendance que nous impose cette société. Dépendance au proprio sans qui nous dormirions peut-être dehors, dépendance au ou à la patron-ne qui a la gentillesse de nous fournir un emploi, etc.
Des luttes autour des questions de logement
La situation du logement sur Nantes, comme dans d’autres villes, est plus que problématique. Il y a de plus en plus de personnes à la rue, le 115 est saturé et les conditions d’attribution d’un hébergement d’urgence font qu’il est compliqué d’y faire appel (une même personne ne pourra se voir proposer de solution d’hébergement si elle a déjà fait appel au 115 la veille, pour ne citer qu’un exemple).
Depuis longtemps des personnes se mobilisent autour de ces questions. On rappellera l’occupation du Lieu Unique, de la Manu, du Radisson Noir quai Baco, les nombreux rassemblements et manifs sur le sujet ces dernières années. Les dernières occupations de bâtiments qui avaient des revendications autour de la question du logement se sont soldées par des expulsions.
Dans ce contexte, l’attribution d’un bâtiment vide à des artistes dans le cadre de Voyage à Nantes ne peut-être vécue que comme de la provocation. Lorsque les habitant-es du Radisson Noir se sont fait-es expulser, une de leur demande était d’avoir un autre bâtiment, ce à quoi la Ville et la préfecture ont répondu qu’il n’y en avait pas… Cherchez l’erreur…
Une zone squattée
Des occupations, il y en a aussi près de Nantes, sur la ZAD (Zone à défendre). Sur cette zone, un projet d’aéroport a été acté il y a une quarantaine d’années. Un des moyens utilisés depuis plusieurs années pour lutter contre ce projet et empêcher le début des travaux est d’occuper les terrains inutilisés et les maisons vides. Fin 2012, les institutions porteuses du projet (dont la ville de Nantes) décident de faire expulser les squatteuses et squatteurs par les forces de l’ordre. Bilan : des centaines de blessé-es de notre côté, des arrestations, mais aussi un formidable élan de solidarité qui empêchera les expulsions et se lancera dans la reconstruction des maisons et cabanes détruites.
Dès lors, on voit bien qu’il y a deux poids, deux mesures dans le discours de la ville et on comprend bien aussi pourquoi il est plus aisé pour elles et eux d’utiliser le terme « ocupada » que le terme squat, qui, redisons-le, signifie la même chose.
Un bout de la culture à la nantaise
Si la culture à Nantes ose se targuer d’être subversive [4], on ne parle pas de n’importe quelle culture, ni de n’importe qu’elle forme de subversion. La culture ici, c’est celle qui est labellisée par Blaise [5] et consorts, la subversion c’est celle qui entre dans les cases d’une ville toujours plus propre, apaisée, aseptisée. Cette culture se veut populaire, proche du peuple donc. Oui mais… quel peuple ? À y regarder de plus près, cette culture s’adresse en grande partie aux classes moyennes, en tout cas à celles et ceux d’entre elles/eux qui votent « à gauche ». Celles et ceux qui regrettent, pour certain-es, leurs années de lutte, celles et ceux qui croient encore qu’ils et elles vont changer le monde en mangeant bio, en triant leurs déchets, en consommant équitable et en fréquentant les ressourceries… Bref en adoptant un tas de pratiques qui finalement ne font qu’aménager le capitalisme et l’épargner, un peu plus longtemps, d’une mort certaine… C’est sûr que le mot populaire dans ce cadre prend un tout autre sens, le mot subversif aussi…
Notons par ailleurs que le partenaire officiel de Voyage à Nantes n’est autre que Vinci [6], la même entreprise qui s’est vue confier la construction et l’exploitation de l’hypothétique aéroport de Notre Dame des Landes, c’est ça aussi la culture à la nantaise !
Récupérer pour mieux intégrer
En « élevant » l’occupation de lieux vides au rang des pratiques artistiques, Nantes récupère une fois de plus des pratiques de luttes et les détourne à son profit. C’est encore ici une forme de provocation. La Ville s’en défendra sûrement, mais alors pourquoi avoir, la semaine dernière, fait expulser un lieu occupé en moins de 24 heures ? Peut-être, peut-être est-ce qu’il n’y avait pas à l’intérieur suffisamment d’artistes, peut-être n’était-ce pas assez « hors-norme » ? Pourtant, on aurait peut-être pu trouver parmi les occupant-es quelques graffeur-euses, peintres, décorateur-ices, plasticien-nes, etc.
Trêve de plaisanteries, si la Ville détourne, ce n’est pas pour son simple plaisir. Récupérer c’est surtout pour elles et eux un moyen de toujours plus contrôler, gérer. C’est aussi une façon de banaliser certaines de nos formes de lutte, de les faire passer pour intégrées, histoire de tenter de les rendre inoffensives, créant ainsi une frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas (séparer les bon-nes squatteur-euses des mauvais-es, les bon-nes tagueur-euses des mauvais-es, les bon-nes militant-es des mauvais-es, etc.).
Et le tag dans tout ça ?
Cela fait trois ans que Voyages à Nantes intègre la pratique du tag dans sa programmation. Quand on sait à quelle vitesse les services de Nantes Métropole nettoient les tags à Nantes, on ne peut que pointer, là encore, le double discours. Ici aussi, il s’agit de récupérer une pratique, de l’institutionnaliser, de l’intégrer et de l’encadrer pour finalement la cantonner à des espaces autorisés et seulement à ceux-ci.
Nul doute que les tagueurs et tagueuses invité-es ne se limitent pas uniquement à ces espaces. Espérons que malgré les efforts de la mairie pour encadrer et étouffer cette pratique ils et elles continueront encore longtemps à rendre tous les murs de la ville (autorisés ou non) un peu moins gris. Espérons aussi qu’ils et elles n’oublient pas qu’une partie de leurs complices de sessions se refusent à utiliser les murs dits « légaux », car le tag légal c’est un peu comme le squat légal, ça perd une bonne partie de son sens…
Notes:
[1] Dans le langage culturel, une résidence désigne le fait d’octroyer à des artistes un espace et des moyens techniques pour la réalisation d’une ou plusieurs œuvres artistiques.
[2] Cf. le site de l’évènement, ainsi que le dossier de presse qui en 24 pages réussit la prouesse de ne pas écrire une seule fois le mot « squat ».
[3] Sur le site du projet, on peut lire ceci en guise de sous titre « UNE EXPOSITION COLLECTIVE, ÉPHÉMÈRE ET HORS-NORME ».
[4] Cf. par exemple le thème du 1er Voyage à Nantes : « La ville renversée par l’art ».
[5] Jean Blaise, fidèle de Jean-Marc Ayrault, directeur de Voyage à Nantes, ancien directeur du Lieu Unique, etc.
[6] Cf. la page partenaires du site de Voyage à Nantes où l’on peut lire que Vinci est le seul partenaire privé.
[Publié le 28 juin 2014 sur Indymedia-Nantes.]