Vers la mi-septembre, deux articles publiés dans le Dauphiné Libéré ont attribué (à tort, d’ailleurs) des occupations de maisons à Saint Martin d’Hères à notre collectif. La 1ère maison, rue Romain Rolland, avait été squattée par une famille rom avec enfants à la rue, à laquelle nous avons apporté notre soutien, tout comme d’autres organisations et individus luttant pour le droit au logement. Cette occupation a donné lieu à une manifestation de voisins appelée par les propriétaires qui voulaient ainsi contourner les procédures habituelles d’expulsion pour récupérer au plus vite leur bien. Certains/certaines d’entre nous ayant assisté à cette manifestation, nous n’avons pas hésité à la qualifier de raciste, car les participants criaient de nombreux propos racistes et montraient une rage particulière du fait qu’il s’agissait d’une famille rom. Signalons que depuis, dans un article paru dans le Dauphiné le 26 septembre, les propriétaires de la maison ont reconnu que cette manifestation leur avait échappé, que des personnes qu’ils ne connaissaient pas y avaient participé et ont déclaré: « nous et nos voisins nous désolidarisons totalement des propos racistes ».
Suite aux articles du Dauphiné et à d’autres parus dans la presse nationale au sujet de la « manif de voisins » (également évoquée avec délectation sur plusieurs sites d’extrême-droite), nous avons reçu sur notre blog une volée de critiques et d’insultes. Nous n’avons pas publié la plupart d’entre elles, d’une part parce que certaines n’étaient que des défoulements de bêtise raciste sans intérêt, d’autre part parce que nous souhaitions pouvoir répondre aux critiques mais avons reçu trop de messages pour pouvoir répondre au coup par coup.
En résumé, ces critiques sont essentiellement de deux ordres : d’une part, on nous reproche de ne nous soucier que des Roms, alors que de nombreuses personnes sont en difficulté en France. D’autre part, on nous reproche de privilégier le droit au logement des personnes à la rue par rapport au droit à la propriété privée des propriétaires fonciers.
A la première, il nous importe de répondre que nous sommes tout aussi préoccupés par la situation des précaires, des chômeurs, des travailleurs ou des retraités « dans la galère » que par celui des Roms ou des autres migrants. Notre collectif a effectivement décidé de s’engager auprès des personnes roms parce que nous avons constaté que, notamment depuis le discours de Sarkozy à Grenoble en 2010, elles sont victimes de nombreuses discriminations et n’ont pas ou très difficilement accès à la plupart des droits auxquels ont accès la plupart des autres populations, même défavorisées (droit au logement, au travail et à l’éducation notamment).
Pour autant, nous sommes tout à fait conscients des problèmes rencontrés par une proportion croissante de la population (pauvreté, chômage, travail pénible, mal payé et pas gratifiant, etc). Mais contrairement à ce que prétendent aujourd’hui la plupart des formations politiques de l’extrême-droite à une partie de l’extrême-gauche, largement relayées en cela par les médias, nous ne croyons pas que les responsables de cette situation soient ni les chômeurs, ni les RSAstes, ni les migrants – pas plus les Roms que les autres. Nous voyons surtout que l’ensemble des personnes en galère sont victimes d’une invraisemblable entourloupe : on nous raconte depuis 1975 que le pays est en crise et que les entreprises ne peuvent plus embaucher car elles sont accablées de charges et terrassées par la concurrence étrangère. Et dans le même temps, on nous claironne chaque année que les plus grandes fortunes françaises prospèrent sans coup férir (comme dans cet article du site capital.fr qui clame que « L’année 2014 restera comme un grand millésime pour les fortunes de France »).
Comment pouvons-nous nous laisser berner ? Les dirigeants de grandes entreprises ont de plus en plus d’argent, et celles-ci en auraient de moins en moins pour embaucher et cotiser pour le chômage des personnes qu’elles licencient pour accroître leurs profits ? Quand la population réalisera-t-elle enfin que ce n’est pas contre les occupants de maisons squattées qu’il faut aller manifester avec véhémence, mais contre les responsables de la misère matérielle et sociale : le pouvoir économique (grandes entreprises et MEDEF) et les politiciens qui le favorisent au détriment du reste de la population.
Quant au droit au logement, il est constamment bafoué. Pourtant, personne ne peut vivre sans toit, et il est inscrit dans la loi comme un droit fondamental. Mais la cupidité des spéculateurs qui continuent de faire monter la pression locative et l’absence de choix politiques de nos élus rendent l’accès à la location ou à l’achat de plus en plus difficile. De même, l’hébergement d’urgence est délaissé, non par impératif économique comme on nous le prétend, mais par choix politique. L’État, qui en est responsable légalement, de même que le département, les communes et les communautés de communes, se refusent à mettre les moyens pour mettre en place de réelles solutions qui permettraient aux personnes à la rue d’avoir un toit provisoire sur la tête, condition sine qua non pour sortir de la misère.
Dans cet état des choses, nous soutenons l’occupation de logements vides (environ 10000 sur Grenoble en 2012 d’après l’INSEE – 9,6% des logements). Une partie non négligeable de ceux-ci appartient au domaine public ou aux promoteurs-spéculateurs. Le collectif n’a pas pour but d’opposer familles à la rue et propriétaires privés. Si des logements privés sont occupés, c’est que dans l’urgence, les personnes à la rue font feu de tout bois et se logent là où elles le peuvent. Il est vrai que face à des situations concrètes, notre solidarité s’exerce d’abord envers les personnes dont la situation est la plus précaire. Les populations roms migrantes, qui connaissent la discrimination (à l’emploi, au logement, etc.) tant dans leurs pays d’origine (Roumanie, Macédoine, Serbie, Hongrie et autres) qu’en France, font particulièrement partie de cette population de grands précaires. Dans le cas de la rue Romain Rolland, il s’agit d’une famille avec enfants à la rue depuis de nombreuses années.
D’une manière générale, nous nous élevons contre le climat raciste qui s’installe en France, dans lequel les plus faibles sont régulièrement pris pour cible. Nous constatons avec un grand désarroi que notre système socio-économique injuste a réussi à faire s’opposer les personnes en difficulté entre elles et à créer des boucs émissaires qui détournent l’attention de la population des véritables responsables.
Ceci étant dit, nous entendons cette critique qui nous a été formulée : pourquoi revendiquer « des droits pour les Roms » ? Nous devrions revendiquer les mêmes droits pour tous et toutes – y compris les Roms. C’est ce que nous souhaitons. Mais nos forces sont ce qu’elles sont. D’autres organisations demandent le respect des droits des travailleurs, des chômeurs, des précaires. La plupart des membres de la Patate Chaude font également partie de certaines de ces organisations. Nous faisons ce que nous pouvons. Nous encourageons toutes les personnes en difficulté à faire de même, sans se tromper de cible.
Le collectif La Patate Chaude, le 30 septembre 2015
P.S.: Alors que nous écrivons ce texte, nous apprenons que ST Microelectronics, multinationale ayant des sites à Grenoble et à Crolles, qui a reçu 25 millions d’argent public de la région Rhône-Alpes en 2014 et dont le PDG, Carlo Bozotti, a touché une rémunération de près de 2,5 millions d’euros la même année, menace de licencier entre 400 et 1500 personnes. A quand une « manif de voisins » aussi virulente devant ST ?
[Publié le 7 octobre 2015 sur Indymedia-Grenoble.]