Depuis début août, plusieurs émeutes de sans-abri ont eu lieu dans la capitale colombienne. Récit des trois journées les plus agitées:
Dans la nuit du jeudi 11 au vendredi 12 août, des affrontements ont opposé les forces de l’ordre à des galérien-ne-s sans-abri du quartier de San Bernardo, situé dans la partie sud-ouest du centre-ville de Bogotá. Vers 3h du mat’, des dizaines de personnes se sont attaquées à la station Bicententario du TransMilenio (système local de transports en commun, inabordable pour les populations les plus pauvres). Après l’arrivée des flics, les affrontements ont commencé et ont duré une bonne partie de la nuit. Parmi les personnes arrêtées par la police se trouvait une femme en possession d’une arme à feu.
Ces émeutes font suite aux diverses opérations de police dans le Bronx de Bogotá depuis fin mai (secteur super schlag du quartier Los Mártires, tout près du centre-ville touristique et du quartier San Bernardo, le Bronx est connu depuis la moitié des années 2000 pour être une zone de haute criminalité où se déroulent toutes sortes de trafics et où survivent toutes sortes de galérien-ne-s). Régulièrement sous les feux des projecteurs pour des reportages sensationnalistes à la télé colombienne, le Bronx dérangeait le pouvoir depuis des années, jusqu’à ce qu’un scandale éclate en février dernier: 14 agents de la police de Bogotá ont été reconnus coupables de corruption, financés par des mafias actives dans le secteur du Bronx pour couvrir et faciliter des opérations de trafic de drogues. Ce scandale peut bien sûr être vu comme un alibi, étant donnée la banalité des trafics en tous genres dans le pays, mais le fait est que depuis le 28 mai la police et l’armée s’attachent à démanteler le Bronx, enchaînant les opérations d’expulsion.
Cela a pour effet de délocaliser différents trafics, mais le plus ennuyeux pour les galérien-ne-s qui y vivaient, c’est que les plus pauvres d’entre eux et elles se retrouvent copmlètement à la rue, isolé-e-s. Beaucoup y dormaient dans la rue, dans des conditions difficiles mais dans une sorte de « communauté d’intérêts ». Là, dispersé-e-s, certain-e-s se retrouvent réellement sans abri. Sans parler des complications dues à la dépendance à différentes drogues, car le pouvoir parle d’interdire des formes d’exploitation ultra glauques, mais de fait ce qui se passe est essentiellement un mélange de répression et de « nettoyage ». Pour les populations expulsées, l’horizon est toujours aussi merdique. Ce à quoi on assiste est une forme extrême de « rénovation urbaine » plus qu’à un souci de compassion et de bien-être humain pour les populations les plus pauvres… Le 12 août, les affrontements n’ont d’ailleurs pas seulement opposé des sans-abri aux flics, mais aussi des commerçants aux sans-abri, ces derniers se retrouvant à dormir et survivre au jour le jour en plein centre-ville, nuisant au « bon commerce », au tourisme et à la « sécurité ».
Dans l’offensive des autorités locales contre les sans-abri et autres squatteureuses, une opération d’expulsion a eu lieu le 2 septembre 2016, encore tout près du centre-ville de Bogotá, cette fois sur les pentes du cerro de Monserrate. Des squatteureuses s’étaient installé-e-s sur un terrain depuis deux mois pour certain-e-s et depuis octobre 2015 pour d’autres, un bidonville s’étant mis en place au fil du temps avec les moyens du bord, jusqu’à ce que les flics se ramènent et défoncent tout (une centaine de cabanes ont ainsi été détruites). Des émeutes ont accompagné l’opération d’expulsion comme il se doit. La police a fermé la circulation sur la grande avenida Circunvalar de la Calle 32 jusqu’à Monserrate, de manière à isoler les squatteureuses. Tout cela a créé des bouchons monstrueux sur Bogotá, tout l’est de la ville (où se situe le centre-ville) étant complètement bloqué jusqu’en fin de matinée. Un jour compliqué pour le tourisme local, Monserrate étant un des endroits les plus visités de Bogota…
Dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 septembre 2016, des affrontements ont éclaté dans le centre-ville de Bogotá, opposant des sans-abri aux forces de police. Les affrontements ont été particulièrement intenses dans le quartier San Bernardo, sur l’avenida Caracas, non loin du Bronx. Les stations de TransMilenio Bicentenario et Hospital ont été attaquées, leurs vitres brisées, selon un article de RCN il y en aurait pour 9 millions de pesos de dégâts. Les flics sont intervenus rapidement et violemment, des voltigeurs (duos de flics à moto, un qui conduit et l’autre qui matraque) ont poursuivi et tabassé des émeutiers, et durant la matinée du mercredi des groupes de flics anti-émeute (de l’ESMAD) se sont postés un peu partout dans le centre-ville pour éviter que la colère du lumpenprolétariat n’éclate à nouveau.
En moins de deux mois, c’était la troisième fois que des stations et bus TransMilenio étaient attaqués.
[Sources: Caracol 1 & 2 | El Espectador 1 & 2 | El Tiempo 1 & 2 | Pulzo | RCN | Semana.]