Marseille : le lycée Thiers contre la population, arrestations et contrôles

Vers 17h30 ce 20 septembre, une descente de police a eu lieu sur la place Thiers. Six personnes (et non pas cinq comme on le pensait plus tôt) ont été embarquées lors de cette opération, et de nombreuses autres contrôlées. Ce n’est pas la première fois que ce genre de situation se déroule ces derniers temps dans la zone. Et le lycée y joue un rôle sécuritaire de premier ordre.

Déjà le 9 septembre, la police était venue sur la place, au moment où se préparait le Tattoo Circus, festival de tatouage (et autres) de soutien aux inculpé-e-s du mouvement social contre la loi Travail et à celles et ceux arrêté-e-s lors des campagnes de solidarité avec les migrant-e-s, mené-e-s notamment par le Collectif Soutien Migrants 13, aussi connu sous le nom de Mamba. Ce 9 septembre, ils avaient déjà contrôlé plusieurs personnes qui s’attelaient à l’activité dangereusement subversive de couper des citrons pour faire de la limonade (d’où la désormais célèbre phrase « Qu’est-ce que vous faites avec ces citrons ? ») et menacé de faire intervenir les services de la Ville pour débarrasser le mobilier (tables, chaises…) qui y avait été installé pour un pique-nique. Services qui ont bien fini par venir.

Si les forces de police se font plus présentes sur la place du lycée Thiers ces derniers temps, c’est notamment parce qu’une réunion a eu lieu en début de mois entre la direction du lycée et des représentants des forces de l’ordre, à la demande du lycée. Sa direction ne voit en effet pas d’un bon œil la présence sur la place d’une maison occupée depuis bientôt plus d’un an et demi, le Raccoon, où ont été organisés plusieurs événements de solidarité ou de réflexion sur des thèmes variés, globalement orientés sur les luttes sociales. La direction aurait peur que cette présence sur la place « radicalise les lycéens », en cette période d’agitation sociale, mais aussi qu’elle les fasse basculer dans la drogue ou qui sait quoi d’autre. Les forces de police quant à elles, ne pouvant procéder à l’expulsion, se sont engagées à venir sur place chaque fois que quelque chose était organisé, de façon à créer une situation de harcèlement. Le tout en jouant sur les dispositions liées entres autres à l’état d’urgence qui permet de contrôler toute personne aux alentours d’un lycée sans motif valable (le motif étant le risque potentiel d’attentat terroriste), ce dont ils ne se privent donc pas. C’est aussi la raison qu’ils invoquent pour faire quitter la place aux personnes qui voudraient y rester tranquillement installées le soir.

Aussi aujourd’hui 20 septembre, une bonne vingtaine de policiers (brigade canine, cyclistes, civils…) a fait irruption sur la place du lycée Thiers et ont commencé à réaliser ces contrôles, aboutissant à l’arrestation de six personnes, rapidement transférées au poste de police. Là, on leur a pris leurs empreintes et leur nom, leur demandant leur pays d’origine, etc. Toutes ont ensuite été relâchées. D’après les premières informations, le prétexte serait une « vente de cigarettes aux élèves du lycée » pour justifier l’ensemble.

D’autres personnes ont également été contrôlées à cette occasion : certaines qui sortaient d’immeubles proches, d’autres qui se trouvaient dans la rue, sur la place, d’autres encore accourues en soutien… Finalement, une autre dizaine de personnes est mise à part pour contrôle d’identité, le tout sous la menace de la brigade canine de « lâcher les chiens » (ce qui finira par arriver, puisque l’un des chiens – heureusement muselé – a sauté à la gorge d’un lycéen qui passait par là à ce moment-là) et la supervision de la commissaire qui commence à être une habituée puisqu’elle était déjà présente rue Bel Air lors de l’expulsion du Mamba 3, lors de laquelle trois personnes avaient été arrêtées, mais aussi à celle du premier Mamba, où elle avait refusé de rendre le permis de conduire d’une personne contrôlée à cette occasion (ce qui s’appelle un vol), ou avait encore fait preuve de ses talents de tirage de cheveux lors de l’arrestation d’une camarade lors de la venue de Bernard Cazeneuve du côté du Mucem, cette fois à l’occasion des protestations contre la loi Travail.

Certaines de ces personnes contrôlées ont de plus été prises en photo sur des téléphones par la police, et on leur a montré (furtivement) une ordonnance ou une commission du procureur qui justifiait leur intervention sur la place Thiers. Finalement, à ceux qui demandaient la raison de ces contrôles, il a été répondu « attroupement illégal » (qui n’a été causé que par leur présence).

Le lycée Thiers porte donc bien son nom. Si le lycée n’a pas encore le curriculum du personnage dont il porte le nom, il participe à présent à la dénonciation et à la répression des militant-e-s politiques contestataires, à la mise en place de l’intensification des arrestations de personnes sans-papiers et plus généralement à conserver son image d’école d’élite, qui ne produirait que des éléments bien cadrés et adaptés à la perpétuation du système dans lequel nous vivons, en se servant du cadre ultra-sécuritaire et xénophobe qui se tisse progressivement dans nos quartiers et dans tous les aspects de la vie. C’est d’autre part entre ses murs qu’enseigne le « polémiste » Bighelli, à l’honneur de l’édition marseillaise de la Provence d’aujourd’hui, souverainiste, invité d’honneur lors de colloques du Front National et professeur de ces élèves modèles. Le lycée n’a sûrement pas apprécié de voir ses jeunes barricader ses entrées dès le mois de mars pour participer aux manifestations politiques contre la Loi Travail et ainsi développer des positions antagonistes, incohérentes avec le futur qu’on leur réserve. Ces mêmes barricades qui à nous, nous avaient donné le sourire, car elles nous faisaient sortir de l’hiver.

Aujourd’hui le lycée Adolphe Thiers lie un rôle d’éducation à celui de la répression et du nationalisme, il joue la carte de l’écrasement et de la dénonciation plutôt que celui du développement de la solidarité et de la pensée critique. Donc oui, ce lycée porte bien son nom. Espérons qu’il ne cherche pas à pousser l’analogie plus loin.

En attendant, continuons à développer une solidarité concrète contre la répression, par la réappropriation collective des bâtiments vides, des rues et des places, et par l’accueil de tous et toutes dans nos villes, dans nos vies, sans frontières et sans identitarismes malsains.

[Publié le 20 septembre 2016 sur MIA.]