Notre-Dame-des-Landes: contributions au débat interne à la ZAD

Voici quelques textes publiés les 27 et 28 mai 2018 sur Indymedia-Nantes et ZadNadir:

Jusqu’où ira-t-on dans ce foutage de gueule des négociations ?

Publié le dimanche 27 mai 2018 sur Indymedia-Nantes.

Je n’ai pas fait de fiche ni ne crois en la négociation avec un État. Je ne veux pas discuter avec cet oppresseur, je veux uniquement et simplement le détruire. Mais je me sens tout de même concernée par le processus de légalisation qui englobe quasi toutes les terres et lieux de la ZAD, cette zone que je vois comme un ensemble et non pas juste comme mon petit chez moi, qui lui, aujourd’hui n’est plus. On appelle les injonctions de la préfète des négociations, alors que je ne vois vraiment pas à quel moment nous avons négocié. Quand avons-nous tiré un quelconque avantage de la situation ? Quand avons-nous dit autre chose que « Oui oui madame, on a peur, on est gentils ! » ?. Et aujourd’hui il est encore question de signer les projets valides, sans même attendre ceux qui ne sont pas encore acceptés?! Encore une fois, notre fameuse dernière limite de jusqu’où on accepte de se faire enfumer est repoussée.

Certains des arguments qui sont POUR se légaliser et VITE se légaliser me paraissent absurdes, je reste divisée entre : est-ce que les gens convaincus se voilent la face ou bien se fichent-ils de moi ? Je ne pense pas qu’on puisse être plus malins que l’ennemi lorsqu’on joue son jeu.

Voici les arguments qu’on nous avance :

– « Signer pour ne pas perdre les soutiens. »

Est-ce qu’on parle bien des soutiens qui ne sont déjà plus là ? A force de demi-positions qui doivent convenir a toutes les composantes, beaucoup de personnes ne savent plus ce qu’on défend ici. Je préfère entendre différentes voix fortes mais aux discours assumés qu’une voix pseudo unitaire mensongère au propos trop peu incisif.
Les personnes contre la légalisation, largement plus nombreuses qu’on veut nous faire croire, risquent de ne plus venir.
Ceux qui poussent à la légalisation, utilisent le chantage : « Si vous faites pas ça on vous laisse dans la merde ! » (chantage qui n’est même pas respecté, la d281 en est un bel exemple!), tout en écrivant de jolis textes et communiqués sur notre solidarité en toutes circonstances, sont très peu présents sur le terrain, au front, que ce soit en 1ère, 2e ou 3e ligne, nous l’avons constaté. D’un autre coté, beaucoup d’énervé-es se sont limité-es dans les actions justement par soucis de composition et modération. Que ce soit clair, je ne reproche en aucun cas à qui que ce soit de ne pas vouloir se battre contre les keufs, il y a aussi d’autres choses à faire, mais faire présence en grand nombre est important ! D’ailleurs, où sont ces soutiens pour dénoncer massivement l’ultra violence et la répression de l’État ? Où sont passés ces moments magiques où tous types de personnes se mélangeaient pour faire bloc ? Où chaque action trouvait sa place et surtout où on ne se trompait pas d’ennemi ? Je simplifie en pointant deux groupes bien distincts mais j’ai conscience que beaucoup se situent mal dans tout ce merdier.
Beaucoup se posent cette question: « Suis-je prêt-e à risquer mutilation et/ou emprisonnement pour des gens qui, au final veulent payer un loyer ? ».

– « Signer pour gagner du temps. »

Gagner le temps de se faire oublier, en voilà une bonne idée ! On sait que les moments forts en intensité sont souvent courts. Le temps est-il encore notre allié ? Faut-il vraiment temporiser ? Que ce soit aujourd’hui ou plus tard, ma manière de vivre est et restera illégale, donc repousser les expulsions pour qu’elles se passent de manière éparse et dans le silence ne me paraît pas du tout judicieux. A moins qu’on ne gagne du temps que pour rentrer dans leur normes ? Que le combat contre la normalisation ne soit pas partagé par tous ?

– « Signer c’est dans notre intérêt. »

Je me demande si nous défendons la ZAD dans son ensemble ou si chacun essaie de protéger son lieu. Je comprends que perdre une ferme, une exploitation, des hangars, etc. ne soit pas la même chose qu’une cabane faite de récup’. Je ne comprends pas, ou trop bien, la manipulation de se cacher sous couvert d’intérêts communs pour en fait protéger son « petit » chez soi. Comment se comprendre quand on ne se dit pas la vérité ?

– « Signer ces clauses pourries car la préfète ne les appliquera pas à la lettre. »

D’où vient cette confiance aveugle ? Comment et pourquoi signer un contrat dont les clauses poussent à la délation et à la normalisation (cf. article 2 des COP : aucune caravane, camion ou cabane ne sera tolérée autour des lieux sous peine de…). Je ne comprends pas que les 15 camarades ayant leurs noms sur les projets puissent envisager de signer un tel contrat. Mais peut-être qu’encore une fois je me trompe d’amis. Je préférerais, et je soutiendrais qu’on ne s’écrase pas et qu’on ne renie pas nos convictions devant l’État.
Les clauses du contrat semblent nous mettre dans la même situation que l’on a toujours été, sauf que désormais cela est écrit noir sur blanc, en voie d’être signé et avec en prime des amendes journalière et des frais de destruction à notre charge pour ce qui ne rentre pas dans leurs normes. A moins que, évidement, nous respections ses clauses, et dans ce cas, oui la zad est morte et oui je foutrai un méga bordel avant de partir…

Des années de lutte contre l’aéroport ET son monde ne peuvent déboucher sur une poignée d’exploitations toutes bien, toutes propres, toutes normalisées sans attiser une colère furieuse de celles et ceux qui se sont battus et/ou ont vécu ici.

Une habitante de la zad

Embrouilles de tiékar

Publié le dimanche 27 mai 2018 sur Indymedia-Nantes.

Sur zone on parle d’ « extrême ouest » depuis peu, un nouveau terme local. Avant, lorsque les gens évoquaient cette zone, seul Saint-Jean leur venait en tête, ne savaient pas qu’on existait. En fait, les lieux de là-bas sont, ou étaient : La Freuzière avec sa dernière nouvelle ancienne bonne équipe d’habitant-es (cf. les embrouilles et l’incendie du squat par le dernier Gogol qui y vivait avant), La Mogette Cosmique, L’Après-Faillite, La Tarte, La Maison Rose, La Pointe et les deux Saint-Jean (ferme et cabane).
Les quatre premiers énoncés fédèrent un groupe affinitaire élargi, ils entourent les deux Saint-Jean, ils étaient donc de facto leurs avant-postes. Plus loin vers Temple de Bretagne, il y a La Maison Rose, une belle baraque rempli de bons gens, isolée géographiquement. Encore plus au bout du monde siège La Pointe, les potes aussi, encore plus seul-es sur la route du Fay de Bretagne.

Environ deux semaines avant le 9 avril, date du début des expulsions, ce quartier organisait déjà des réunions pour discuter ensemble de stratégie(s) sinon commune(s) au moins complémentaires dans leurs diversités. Dès le départ, le groupe affinitaire La Tarte, Freuz’, Mogette et Pré-Fight ont annoncé quelques priorités absolues qui dirigeront toutes leurs décisions et actions à venir, à savoir :
1- Sortir de la zone ce qui est sauvable et précieux avant l’intervention.
2- Notre sécurité (habitant-es et invité-es) prime avant tout, mais…
3- Nous ne lâcherons pas nos lieux sans résistance.
4- Dans le doute, nous envisagerons toujours la pire hypothèse, ne pas être optimistes.
Saint-Jean ferme exprime aussi sa position dès le début : pas d’affrontement autour de la ferme. La Maison Rose, elle, n’est pas ou très difficilement défendable car isolée, mais il y a tout le confort, du matos divers dont communication et informatique, il y a un sleepin’, et offre un poste de guet idéal, c’est un lieu stratégique. La Pointe se rend bien compte de la distance qui les sépare de leurs voisin-es les plus proches, déjà peu nombreux eux-mêmes. Pour Saint-Jean cabane et leurs invité-es, on ne sait pas trop, on les sait fortement soutenu-es et le secteur bondé de leurs camarades lorsque appelé-es pour d’autres occasions. Donc on ne nous le confirme pas, mais beaucoup comptent aussi sur leurs effectifs pour la défense du quartier, sous n’importe quelle forme. La veille des expulsions, le 8 avril, Saint-Jean cabane nous informe du flou quand au nombre de gens en renfort chez eux et que, dans le doute, illes s’alignent sur la position de Saint-Jean ferme : pas de fight aux abords de leur lieu, soit. 0n définit donc une espèce de « zone de transit » aux abords de l’entrée du lac où cesseront les velléités contre les flics.

Pour bien comprendre et si vous prenez une carte du quartier, on y voit trois accès par deux routes. Saint-Jean s’inscrit au centre d’un cercle tronqué que forment la Tarte, L’Après Faillite, la Mogette et La Freuz’. Nos premières barricades feront tampons plus loin sur les routes pour former un triangle plus large qui englobera tout, d’autres, plus proches des cabanes, seront plus solides et seront le théâtre des affrontements. Nous appliquerons donc une logique de défense crescendo en domino avec pour « final » avant Saint-Jean, si nous sommes rendus à Saint-Jean c’est que nous avons tout perdu, nous partirons alors vers le centre de la zad par les forêts.
Aussi, nous prévoyions deux barricades mobiles, pour les blessé-es évidement, mais aussi afin que Saint-Jean ferme puisse sortir son lait, que le Latay sorte des chevaux en cas d’urgence et que les agriculteurs aient au moins un accès à leurs champs. Une façon aussi de démontrer notre force de faire ce que bon nous semble, flics ou pas.
Enfin bon… ça c’était le plan, qui, malgré les péripéties de l’histoire qui va suivre, aura plus ou moins tenu jusqu’au bout, il ne manquait quasi rien dans notre dispositif au moment de l’intervention, si ce n’est plus de monde.
Il faut bien avouer que tous et toutes la veille des expulsions nous parions plus ou moins ouvertement que cela commencerait, voir se cantonnerait à des interventions sur la D281 et l’Est, cela nous mettait dans une étrange ambiance de sentiments divisés.

Sur l’axe Le Temple de Bretagne-Les Ardillères via le Chêne des Perrières, nous avions donc mis deux bonnes rangées de pneus, un truc léger plutôt symbolique en soutien aux potes de l’Est, on bloque la route, mais pas trop… Le lundi au matin, rien ne se passe chez nous, on se réunit et on décide de rouvrir la route à ses usagers. Mais on apprend vite que les 100noms ont été détruits, haut lieu de projet agricole toukomifo… A ce moment-là, les pro-légalisation du coin ont flippé : « il faut qu’on arrête d’être mi-figue mi-raisin, faut qu’on s’y mette sérieux là! ». Nous, qui étions déjà vénér’ et pas confiant-es du tout, on potentialise leur crainte, leurs soutiens et leurs tracteurs pour renforcer des barricades, ça nous arrange bien, la barricade Déchèt’ est méga fat. Mais, celles de la grande route principale Maison Rose-Chêne des Perrières que nous refermons le soir même resteront elles fragiles. Celle du Sud, prenant le quartier à revers sera aussi renforcée, mais une deuxième fois au mauvais endroit, qui était déjà un sujet de conflit: c’est une fourche en contrebas et en virage, un chemin reste libre et roulant, même pour un blindé et des fourgons. A ce sujet, on nous répond alternativement « C’est une erreur », « Mais !? C’est débile ! On va corriger ça», « Les flics ne sont encore jamais arrivés par des chemins » jusqu’à, en fait : « Non mais nous à Saint-Jean on veut avoir un accès libre pour faire nos allées et venues, voilà ». Grogne et frustration, c’est pas ce qu’on avait décidé en réus, on avait acté une barricade qui bloque les deux accès et mobile pour le lait deux fois par semaine et les blessé-es quand ça charclera… Déjà je fais des liens avec d’autres conflits avec elleux, de manipulations et coups pernicieux à l’échelle plus globale qu’est la zad… Bref, on savait déjà que la coopération serait difficile.

Le lendemain matin, mardi, le convoi de flics passe en force et défonce à toute vitesse les deux points de blocage qui mènent au centre-zad, blindés en tête, on les voit défiler devant la barricade Déchèt’ sans s’arrêter. A chaque extrémité de la route, distantes de 2km, les deux binômes en guets ont à peine eu le temps de recevoir l’info au talkie et de se carapater tant bien que mal par les champs. De leurs propres aveux gênés, Saint-Jean avait mis deux de leurs invité-es sur un guet mais ne connaissaient rien des lieux, illes ont eu chaud et ont grave flippé! On avait pourtant aussi acté cela : la nécessité de mettre sur les barricades des gens de confiance, informé-es et au jus des procédures de communications talkies, pour de multiples raisons toutes aussi sensées les unes que les autres, ce n’était pas le cas ce jour-là et le cas s’est répété par la suite.
Pour beaucoup c’est un déclencheur, une réu est convoquée. Il y a déjà beaucoup de monde à Saint-Jean et nous leur présentons l’équation ainsi : « Vous êtes en supériorité numéraire évidente, mais 5 lieux sur 7 veulent et vont bloquer cette foutue route. On en a marre que les flics aillent au centre par devant chez nous, on va les détourner, leur faire perdre du temps et du gasoil. En plus, tout bénef’ : on se sentira plus en sécurité car nous sommes au bord de la route. Que décidez-vous ? ». A cette réu, Saint-Jean seront venus à 30 personnes, 10 leur ont tenu tête et fait un ultimatum, illes n’ont pas aimé. Un délais de 3 heures est accordé afin qu’illes fassent un retour chez elleux et se positionnent. Leur réponse fut : « On vous aide en bras et en moteur pour les barricades, mais on ne tiendra pas ces guets. ». OK, deal. Saint-Jean ne gérera donc plus que la surveillance de celle menant directement chez eux, nous les deux autres. Eux sont plus de cent, pour les autres lieux nous comptabilisons un total d’une vingtaine de personnes environ à ce moment-là.

Mais dès mardi soir, ou mercredi matin j’ai un doute, la confiance et l’optimisme regagnent les Saint-Jean. La déclaration du président : « Tout ce qui était évacuable a été évacué », selon elleux semble « évidente, claire et sans équivoque, c’est la trêve ». Illes nous disent cela alors que tous nous entendons encore les déflagrations en live qui viennent de l’est et du centre. Illes ne pensent qu’à faire bonne figure nous-on-est-les-gentilles et veulent rouvrir la route absolument, « faut pas attirer l’attention » disent-illes.. J’ai pu être le témoin privilégié d’un moment magique où l’exploitant équestre du Latay explique à quelqu’un de Saint-Jean « qu’il ne faut pas ramollir là, que l’État se fout de vot’ gueule ! Faut rien lâcher ! », qui se voit répondre « Mais non , j’suis pas d’accord, ça semble pourtant clair ce qu’a dit Macron, c’est finit on est tranquilles, c’est la trêve »… soupir.
S’en suit une longue semaine d’affrontements au centre, de gestion des vivres, de planning de guets, de fatigue et d’énervements, etc. avec en plus dès jeudi l’afflux massif à gérer de personnes venues pour la manif’ de reconstruction de dimanche et qui arrivent par la Maison Rose, on covoit’ et dirige entre 1000 autres trucs les invités de Saint-Jean et leurs ravitaillements divers et variés… aucun coup de main ou de merci de leur part ces jours-là.

Dimanche, grosse manif’ sur zone, il y a une réunion de quartier prévue à 14h concernant les barricades, est-ce qu’on les garde fermées ? On rouvre ? Filtrant ? Ouvertes la journée, fermées la nuit ? Bof, on doit en discuter selon la situation sur zone mais de toute façon on changera rien avant lundi ou mardi, on était tous restés la dessus. Beaucoup sont partis au centre pour la manif’, y a fort à y faire. Méfiant et visionnaire, je demande à ce qu’on porte ma voix comme quoi si jamais Saint-Jean ou autres veulent ouvrir dès aujourd’hui, je mets mon veto car c’est pas ce qu’on avait acté et qu’il faut qu’on soit tous et toutes au courant et prêt-es pour cela… Je pars au charbon confiant.
Il est 18h, il y a eu une moyenne de 1 blessé-e toutes les dix minutes pour les quatre dernières heures de l’après-midi. Je rentre en vélo, éreinté mais vivant, libre et pas blessé, que vois-je en rentrant au quartier ?! Les barricades ont été défoncées ! Pétage de câbles, on m’explique que Saint-Jean a fait le forcing, que soi-disant « ça fait chier les riverains, les agris et le Latay », alors que nous leur parlions régulièrement et en de bons termes, et que nous aussi ça nous emmerde les barricades en fait. Cet après-midi là, avant la réunion, Saint-Jean avaient même invité deux personnes du Latay a venir attendre la fin du putsch derrière la barricade, donc non-visibles pour celles et ceux qui se faisaient pressuriser de l’autre coté. Les gens écopent des « de toute façon vous proposez rien, nous si », un « t’es qui toi ? je t’ai jamais vu en réu donc ta parole elle vaut rien » (dixit un zadiste qu’on ne voit qu’à la télé et qui dit ça à un autre qui vit ici depuis 6 ans). Là, bizarrement, les tracteurs c’était plus si « compliqué a avoir », trois quarts d’heure après cette réunion, il était déjà en action pour ouvrir la route. Le temps de 3 heures que nous leur avions accordé plus tôt cette semaine pour faire un retour chez eux ne nous a pas été accordé, ce malgré les demandes répétées des potes pour qu’illes aient le temps de prévenir tout le monde, mais non. Nous étions beaucoup au front et autour ce jour là, les gens de Saint-Jean le savent très bien car ils nous y ont vu. Lorsque nous rentrons chez nous, enfouraillé-es comme des furieux, grillé-es et coupables, on se rend compte que Saint-Jean a fait sauter le verrou qui fermait la porte de nos chambres, sans qu’on ait eu le temps de les ranger. Les craintes de perquisitions sont intenses. Ça c’était les lignes du couplet THT, très haute trahison… ;)
Cet événement a aussi été un autre déclencheur, du moins pour moi, le moment où j’ai abandonné toute tentative de communication et/ou organisation avec elleux, les considérant presque comme des ennemi-es déclaré-es. Plus de comm’ talkie, plus de planning de guets, plus de réus, plus rien, comme avant lorsque nous étions de simples voisin-es qui s’ignorent. Le poste CiBi ? Illes ne l’ont jamais pris malgré les demandes répétées de celleux qui s’y épuisaient depuis trop longtemps déjà. Illes ne se seront de toute façon jamais excusé de cet épisode, s’en défendront même une semaine plus tard, lorsqu’un émissaire vient me voir et m’explique que « …ce n’était pas de la malveillance mais une analyse différente de la situation… », sic. Il me propose de ressayer de faire des trucs ensemble, mais pour moi ni le goût ni la foi n’y sont plus, « peut être avec les potes » lui dis-je… mais non pas vraiment. Statu quo, la semaine suivante on optera pour une route ouverte la journée, fermée la nuit, là encore Saint-Jean n’est pas satisfait et nous titille, vient vérifier avec un drone les horaires d’ouverture le matin, nous survole alors que nous sommes en opération en train de manipuler tracteur et carcasses de voitures entre deux passages de flics… nous re-convoque pour essayer de rouvrir mais ne gagne que deux heures d’avance sur l’heure d’ouverture, une sorte de compromis…
Blasé, je me raccrochais à une citation de leur part : « on n’est pas des chefs de guerre, on ne donne pas d’ordre, nos gens vont là où ça se passe, on n’a aucune emprise là-dessus, point », et je me disais que au moins, lorsque ça se passerait dans le quartier, on pourrait compter sur elles et eux. Mais encore une fois, déception, on m’apprit plus tard que la veille de la deuxième phase d’expulsions et l’incendie des lieux du quartier non-signataires de fi-fiche, illes auraient débattu jusque tard dans la soirée pour choisir où se rendre le lendemain matin, « défendre », ou plutôt devrais-je dire aller se défouler au centre de la zad à la Saulce ou Lama, lieux tampons de cristallisation choisis par les flics et la géographie de la zad ; ou bien rester ici à défendre le quartier qui lui était pourtant clairement et sans hésitation la cible qui allait subir le courroux de l’État le lendemain matin. Le soir même de cette 2e journée d’expulsions, le 18 mai, un Saint-Jean-tien me répond à la question « Pourquoi personne de chez vous n’a bougé ce matin ? » par « on a donné des consignes aux gens de pas y aller, que c’était trop dangereux, qu’ils allaient se faire serrer… » (pas de chef de guerre qu’il disait ?). Ce à quoi nous n’avons pas eu la répartie de répondre directement que, nous, nous l’avions fait, à très peu, et qu’on l’a bien fait, que pourtant nous étions toujours là, aucun-e blessé-e aucun-e arrêté-e, qu’il n’y avait aucune surprise de la part des flics sur leurs mouvements par rapport aux infrastructures qu’on avait mises en place et ce que nous imaginions, que avec plus de gens ça aurait été une bataille géante, que de l’aveu du haut commandement robocop la barricade Déchèt’ était celle qui leur a posé le plus de complications techniques depuis le début des opérations… Toussa toussa qui laisse un amère goût de gâchis et d’énergies gaspillées.
Ce reproche que je fais à Saint-Jean de ne pas avoir soutenu la défense du quartier, je ne peux le leur faire sans comprendre que ça n’était pas dans leur intérêt, que ce n’était pas leur stratégie, leurs analyses et conclusions, que eux et nous n’avons pas les mêmes billes et cartes en main, pas les mêmes objectifs ni le même capital à perdre, pas la même histoire, que je comprends l’attitude du chacun-e ou chaque groupe pour sa gueule mais que je ne la respecte pas.
J’invite les gens a lire le texte « La batailles de l’ouest, cernées de tous cotés », ce texte-là décrit une partie de la journée d’expulsion de notre quartier. Bien que j’ai, comparé a ce qui y est écrit, personnellement eu un vécu différent de cette journée, que beaucoup de choses décrites ne s’appliquent pas à ce que j’y ai vécu (ex : Je n’attends pas qu’on me propose de l’eau, je vais la chercher), toujours est-il que je ne peux rien démentir de ce qui y est écrit. Les potes ont vraiment vécu ça… et c’est à gerber.

Pour résumer, Saint-Jean aura changé de stratégies et d’avis comme de chaussettes au jour le jour selon tel ou tel article de presse, telle déclaration de préfète, ministre, président ou p’tites infos bien glissées. Ce n’est pas forcément une erreur stratégique que d’être malléable et capable de changer de plan, mais pas lorsque cela va à l’encontre du quartier, de la zad et des choses décidées collectivement. De notre coté, nous avions opté pour une ligne ferme et pessimiste, l’exacte inverse d’eux, d’où les discordes. Et ce schéma peut être projeté de manière bien plus large sur ce qui se passe ou s’est passé sur zone avec la politique de certain-es et les négociations qui n’en ont jamais été à mon sens et aux yeux de beaucoup.

Mais je tiens aussi à faire mon coup de gueule, plus difficile à faire celui-là, à tous ces potes qui disaient « vouloir venir pour aider, que la zad c’est un tout, que y’a pas moyen d’abandonner le quartier à Saint-Jean, qu’on aimerait bien faire des trucs avec vous, qu’on passera vous voir, que vous avez besoin de quoi, que j’te ramènerai ceci et cela, etc. » en fait vous parlez bien et on y croit quand c’est dit, mais en fait vous étiez où au final ? Nous connaissons les distances et le temps nécessaire pour rejoindre l’extrême ouest, nous le faisions tous les jours ou presque pour aller défendre le centre et l’est, c’est pas tant la mer à boire si on s’en donne les moyens et le temps. Et ça je ne peux pas le cacher, c’est une source de tristesse et frustration au moins égale sinon supérieure à toutes ces embrouilles de voisinage relatées dans ce texte.

Le but n’est pas de faire un listing (d’ailleurs incomplet faute de papier) des p’tites crasses, dysfonctionnements et guéguerres de quartier, pas que, mais aussi de démontrer comment à une échelle palpable et concrète qu’est celle d’un quartier et de ses habitant-es, comment ces manipulations et p’tites techniques de la part de certain-es peuvent avoir un écho et des similitudes avec des schémas plus grands. Comment cela peut refléter le fonctionnement plus vaste et global d’une organisation, dans des stratégies politique, que ce soit sur la zad et/ou ailleurs. Qu’illes se nomment appelistes, tikkuniens, communistes ou même communards, ou bien même qu’ils réfutent et dénigrent tous ces qualificatifs (on sait plus trop comment les nommer en vrai), on n’est pas sans savoir que ce genre de conflictualités se passent aussi ailleurs, dans d’autres villes, sur d’autres terrains…

Nous ne sommes pas des victimes et refusons d’être « les dommages collatéraux » du grand plan et des p’tites histoires de gens qui ne pensent qu’à leurs gueules !

Un habitant de l’extrême ouest

La bataille de l’ouest… Cernées de tous côtés !

Publié le lundi 28 mai 2018 sur ZadNadir.

Suite au récit des personnes qui ont perdu leurs maisons ce vendredi 18 mai 2018, un sentiment de colère monumental ne me quitte plus. J’ai eu l’envie d’écrire ce texte, afin de visibiliser la violence qu’illes ont subi durant cette morbide journée. Tant de la part des flics et par la destruction de leurs maisons que de la part de HGJHFK[*].

Je ne feras pas un historique complet relatant les mauvaises relations entre HGJHFK et leur voisinage, cela me ferait perdre beaucoup trop de temps. Je veux juste noter que depuis le début des expulsions, les divergences politiques et l’omerta de HGJHFK concernant les stratégies de défense du quartier n’ont fait que renforcer ce sentiment de méfiance et d’absence totale de confiance. Le fait de quitter les guets et de réouvrir les barricades, qu’illes tenaient, sans prendre la peine d’en informer le quartier, le jeudi 17 mai, en est un exemple parmi tant d’autres.

Je souhaite plutôt me concentrer sur la journée du vendredi 18, jour de l’expulsion et de la destruction de trois lieux de l’ouest. Elle a été marquée par deux événements particulièrement choquants.

Les flics sont arrivés à 6h, tout a été extrêmement rapide. Ils ont commencé par attaquer la Freuzière, puis les flics se sont attaqués à la barricade Déchet’, qui fermait l’accès à la Pré-Fight, la Mogette Cosmique et la Tarte. L’isolement des copaines était tel qu’illes se sont rapidement retrouvées au carrefour de HGJHFK. Les keufs étant en train de faire une « inspection visuelle » à HGJHFK, presque tout le quartier s’est retrouvé nassé à cet endroit. A 7h08, les flics attendaient les pelleteuses pour la destruction des caravanes de la Freuzière et de la cabane de la Tarte. Quelque temps plus tard, ils faisaient brûler la Pré-Fight, bien loin des journalistes.

Mais la violence subie lors de cette journée ne s’est pas arrêtée là. C’est d’ailleurs à partir de ce moment du récit des copaines que j’ai commencé à vriller. J’ai alors immédiatement pris papier et crayon dans le but d’éviter toute transformation et mauvaises interprétations de ma part. L’accueil et la violence des propos tenus par les personnes de HGJHFK aux copaines venues se réfugier sont inqualifiables. Je vais tenter d’en faire une liste (non exhaustive), afin que vous puissiez vous en rendre compte par vous-même :
– « Nan mais ne restez pas là au milieu du carrefour, vous allez attirer les flics, ça serait mieux si vous partiez »
– « Nan mais vous n’avez pas d’eau ? Fallait penser à en prendre ! »
(Heureusement que les copaines ont réussi à prendre dans la fuite un bidon au camping)
– « Nen mais là, on n’a pas grand-chose pour vous héberger »
– Quelqu’une de la médic’ vient demander du pain à la cabane et se fait dégager : « Mais va falloir nous laisser tranquille, nous laisser de l’espace et arrêter de nous dépouiller. » En entendant des bruits de machines, une copaine demande aux personnes qui sont sur la terrasse en hauteur « Tu vois ce qui se passe à la cabane ? » « Mais quelle cabane ? » (Je vous laisse imaginer le ton) « Ben la tarte ! »
– « Ok, vous venez vous réfugier chez nous, mais vous nous laissez faire, vous vous mettez dans un coin, et vous la fermez »
(bien entendu, je ne parle pas là d’un coin dans la cabane, mais plutôt dans un champ plus loin en plein soleil).
– « Mais allez-y là ! Les flics sont peut-être pas par ici, ça serait bien que vous y alliez pour vous casser »
– « Vous voyez, vous n’avez pas de soutien, faudrait peut-être vous poser des questions sur vos stratégies »
(Ce qu’il faut préciser, c’est que les quelques personnes qui ont essayé de venir à l’ouest, se sont arrêtées à HGJHFK pour demander leur chemin, on leur a répondu que ce n’était pas la peine, ce n’était pas l’envie du quartier qu’il y ait du monde).

La situation était tellement oppressante, qu’illes ont eu l’étrange sentiment que si les keufs se faisaient plus insistants, ils allaient se faire balancer. Illes ont finalement réussi à s’échapper de cette nasse, vers 12h/13h, afin de se mettre en sécurité, et de trouver un accueil plus chaleureux ailleurs.

L’ « appel » de HGJHFK : « Au secours on est nassées, on a besoin de soutien finalement, et puis on fait un grand banquet (spécialité appeliste n’est-ce pas), et une lecture de Damasio, avec des journalistes, pour montrer comme on est oppressées, prenez vos CNI pour (vous auto-ficher) passer les lignes de keufs » a fini d’achever les copaines déjà bien abattues par cette matinée hallucinante.

Illes remercient malgré tout l’équipe médic présente là-bas, qui leur ont apporté pain, Nutella, pâte de cacahuète et tous leurs soutiens. Heureusement !

En fin de journée, une fois les keufs enfin partis de l’ouest, les copaines sont retournées sur les terrains vagues laissés par les pelleteuses. Nous pouvons tous imaginer à quel point l’émotion qui les a submergé à ce moment était forte. Elle s’est largement intensifiée, lorsqu’il a fallu retourner à la caravane médic de HGJHFK, rechercher les quelques affaires qu’illes avaient réussi à sauver. Retraverser ces tablées de gens aux regards méprisants, dans un silence de mort, a été pour certain-es l’humiliation ultime de la journée.

Sur le chemin du retour, des copaines se sont alors mises à chanter « Le brin d’herbe » de Brigitte Fontaine. Puis l’écœurement grandissant, il y a eu des « Merci pour l’accueil, le café et le soutien de ce matin » des plus sarcastiques. Ça s’est terminé en « collabo », « traitre »… et j’en passe, mais vous voyez le ton. Je regrette amèrement les insultes à caractère sexiste, putophobe qui sont sorties de la bouche de certaines personnes. En aucun cas cette situation était préméditée. Je conçois que cette petite partie de lâchage de pression, de colère et de rancœur n’était pas des plus futées, et que l’alcool n’a pas aidé à rendre la situation intelligente.

Ce que je ne conçois pas, c’est l’arrivée en courant d’une vingtaine ou trentaine de personnes venant de HGJHFK, cagoulées, armées de matraques, pieds de biche, barres de fer, gazeuses, cagettes remplies de canettes vides… Il me semblait pourtant que ces équipements étaient destinés aux keufs, ou aux fachos, et non à des copaines en plein désarroi.

Je vous laisse imaginer l’attitude viriliste et dominante de ces personnes qui, visiblement, ont été dans l’incapacité totale d’apprécier la situation à sa juste valeur ni de manifester, depuis le début de la journée, ou même de la présence policière sur zone d’ailleurs, la moindre empathie. En même temps, je suis plus écœurée que surprise, puisque finalement la seule stratégie que je leur connais, c’est celle de la domination, l’autoritarisme primaire et la peur.

S’en sont suivis quelques échanges bien épicés, à base d’intimidation, allant de : « non mais ça va de quoi tu te plains, t’es pas la première personne à qui ça arrive », « oui bah moi j’ai été en taule », à : « toi là ! Tu fais quoi là ! Tu fais quoi ici ! ». Ah j’oubliais les coups de lattes aux potes qui essayaient de baisser les barres de fer…

Finalement, les quelques « cagoulées » venant de HGJHFK qui ont commencé à comprendre la situation, sont, petit à petit, retournées chez elleux. Les plus récalcitrantes (pas tous des habitants de longue date d’ailleurs) ont fini également par faire demi-tour sur la demande des quelques habitantes de HGJHFK qui ont daigné discuter pour comprendre et apaiser les tensions. Ah enfin une attitude intelligente, je commençais à ne plus y croire !

Des habitantes de HGJHFK, et des « expulsée de la matinée » ont continué la discussion à un coin de table du hameau pour tenter de crever un abcès déjà bien trop gros. La violence ne s’est malheureusement pas arrêtée puisque là encore, des gens attablées se sont encore permises de leur demander de dégager. Afin d’être la plus juste possible, je trouve important de préciser que la situation vécue dans la matinée ne venait pas de tous. En effet, suite à cette discussion, quelques habitantes de HGJHFK ont été désolées et choquées de ce que les copaines avaient subi.

Je me demande tout de même, HGJHFK (et autres qui se reconnaitront dans ces pratiques), si vous avez oublié vos valeurs de solidarité, de volonté de Commune et tutti quanti. Si c’est le cas, à quoi doit-on s’attendre encore de votre part dans les jours et les mois à venir ?

Cette colère ne me quitte plus, à cause de cette journée, mais aussi car il me semblait pourtant que sur la zad, nous défendions, entre autres, les refus de rentrer dans les cases que l’État nous impose. Il me semblait que nous défendions la solidarité et l’entraide face à l’oppression de l’État de droit. Non seulement nous sommes en plein dedans (merci les fifiches de la zazad), mais en plus celleux qui les refusent se font totalement écraser de l’intérieur. Mais quand est-ce que vous allez comprendre que vous jouez le jeu de l’État en accentuant les divisions internes (entre autres) ! Ou peut-être que je me trompe complétement sur ce qu’est une zone « hors contrôle » ? Que peut-être le seul objectif de certains groupes, dominants sur cette zone, c’est seulement de se faire son petit cocon privé quitte à détruire tout sur son passage ? Mais vous savez, il y a plein de fermes à louer ou à acheter pas chères partout ailleurs. C’est parce que c’est plus facile ici que vous venez tout détruire ?

Comme l’a dit très justement une amie : « Le cancer est né dans le poumon de la Zad » et je ne vous en remercie pas. Je suis certes épuisée de devoir me battre à la fois contre l’État policier et capitaliste, contre ces groupes qui s’inscrivent dans les mêmes logiques tout en faisant semblant de partager nos valeurs, et contre les fachos qui prennent de plus en plus de place… La liste des oppresseurs s’allonge de jour en jour… Mais je reste déterminée, et refuse de laisser passer ces actions dignes des actions fascistes.

Je ne signerai pas ce texte par peur de finir dans un (voire deux) coffre(s).

Bien à vous.

Une révoltée.

PS : Dans le but d’éviter toute forme de rumeur, et afin de valider l’exactitude des propos entendus dans la matinée, ce texte a été lu et relu par les personnes ayant subi cette violence. Le texte dans son entièreté provient de ma propre initiative.

[*] HGJHFK : lieu anonymisé pour le “politiquement correct” et afin de continuer à se voiler la face quant aux divisions internes qui existent depuis déjà bien trop longtemps.