Vendredi 30 novembre avait lieu le procès du squat de la CPAM de Chenôve, ouvert début octobre pour accueillir des exilés expulsés de leur ancienne maison pendant l’été. En jeu : l’obtention ou non d’un délai avant l’expulsion.
Vendredi matin, 9h, il pleut. Devant le tribunal, il y a une quarantaine de personnes venues de la CPAM, et une vingtaine de personnes en soutien. Les responsables de la sécurité du tribunal sont déjà un peu blasés. Avant même que tout ne commence, il y a un bouchon, le temps de faire passer tout le monde au portique de contrôle électronique.
Pendant ce temps-là, venu des Lentillères en vélo, un marché pirate s’organise devant le tribunal. Avec des banderoles, des choux et des blettes et presque un air de fête.
Une fois tous les contrôles effectués, on entre dans la salle, petite et moche au fin fond du tribunal.
La juge, son assistante et la greffière procèdent à un appel sans fin des quarante personnes, leur demandant systématiquement d’épeler leur nom. On peut noter qu’il n’y a aucune traduction prévue, rien qui ne prenne en compte que certaines personnes ne parlent pas français. C’est à dire qu’on va à une audience d’une quarantaine de personnes non-francophones et que toute l’institution judiciaire n’en a rien à foutre de s’ils comprennent la langue ou non.
On ne fait pas des barbecues
L’avocat de la SEM (Société Est Métropole) prend la parole en premier. Il est fier de lui, à demander sans honte et sans relâche une expulsion, la plus rapide possible. Son but est que la juge fasse fi de la trêve hivernale. Car, « Madame la juge, vous avez la possibilité de réduire ou supprimer ce délai, s’il y a eu une voie de fait ». Il plaide cette expulsion, qui a besoin d’être rapide, car il va y avoir l’installation d’une crèche. Ah oui, le coup de la crèche, bien sûr. Et même si « on va sûrement vous dire de l’autre côté de la barre qu’expulser, c’est affreux » surjoue t-il avec un mauvais air cynique.
Puis, il explique comment ça marche les preuves, les 48h de flagrance et l’utilisation de Facebook. Il s’est bien renseigné, c’est presque drôle. Alors, voilà comment ça se passe :
« Vous avez des sites sur internet avec des guides juridiques pour les occupants sans droits ni titres ».
« Vous avez des individus qui ne sont pas des migrants, qui entrent dans la bâtiment, qui prennent une photo, commandent une pizza ».
Pour conclure par : « Ils ne font pas un barbecue dans la cour, ils se tiennent discrets ».
Une règle d’or à écrire au dessus de son lit : NE PAS FAIRE DE BARBECUES DANS LA COUR, SE TENIR DISCRET.
Vous êtes végétariens ? Encore mieux.
À la question, « qui a pu le premier forcer la porte d’accès des locaux », afin de déterminer s’il y a une voie de fait ou non, pas de réponse. Parce qu’aujourd’hui, « la question est claire. » Il n’y a plus besoin d’effraction, ou d’entrée forcée dans les lieux pour constituer une voie de fait. Suffit d’y être.
Il y a toujours des moments de distorsion de la réalité, en général sur des faits très précis. Parole contre parole, il affirme sans ciller que « La police n’a pas pu protéger l’huissier venu constater ». On a envie de répondre que si, que nous, la police on l’a vu enjamber les grilles de la CPAM, avec l’huissière, commettant avec allégresse une violation de domicile.
Il terminera sa plaidoirie d’une dizaine de minutes en parlant de l’histoire des squats dijonnais de demandeurs d’asile. Notamment, « ce dossier de l’avenue de Stalingrad qui a fait couler beaucoup d’encre ». Alors, il se met à citer, éhontément, ce honteux communiqué de presse de la préfecture et du procureur répondant au dépôt de plainte suite à l’expulsion illégale du bâtiment. « L’état a mis en place des structures d’accueil, il faut qu’ils se donnent la peine d’y aller. » Et il continue, « il ne faudrait pas que des considérations idéologiques poussent les gens à ne pas aller dans les structures de l’état, préférant faire des déclarations politiques, idéologiques et des communiqués de presse ».
Bref, cette pauvre société SEM a besoin de récupérer ce bâtiment pour une crèche. Et les 80 personnes qui sont dans ce bâtiments l’ont bien cherché, à ne pas avoir de logement. Alors que l’état propose par exemple des chambres d’hôtel pour une nuit maximum. Belle solution de relogement. Et pire, ces personnes pourraient avoir des idées politiques. Merci Madame la juge. Il se rassoit. Ça fait du bien quand ça s’arrête.
De l’autre côté vous avez qui ??
C’est au tour de Dominique Clémang d’entrer en scène.
Avant toute chose, s’il n’y a plus de CPAM, « les gens seraient dans des tentes, sur le trottoir. Mais c’est peut-être ce que le préfet souhaite ». Bim, dans les dents. Et elle revient sur Stalingrad et les conneries débitées par l’autre avant. Notamment sur le fait qu’il ne s’appuie que sur le communiqué du procureur et du préfet et « même si c’est le préfet et le procureur, ce n’est pas une parole d’évangile, et surtout que c’est faux ».
La SEM a voulu « profiter du même privilège qu’a eu l’armée » (en effet, le bâtiment de Stalingrad appartenait à l’armée), pour expulser au plus vite. Mais c’est râpé. D’ailleurs, elle veut « obtenir jurisprudence pour faire avancer le droit tant que ce ne sont pas des robots qui rendent des décisions de justice ».
Un à un, elle démonte les arguments de l’avocat. Coup droit, uppercut et coup de pied final.
La crèche : « Dans le PV de police du 7 octobre, le bâtiment devait être donné en location, puis finalement, ce contrat n’a jamais été signé. Il l’était le 7, et finalement, le 12 octobre, il ne l’était plus. Il n’était donc pas question de faire une crèche mais de vendre des locaux à 1 million 8, de faire une opération financière. Bon. »
Le coup de la cour d’appel de Lyon : « Lyon, c’est pas encore gravé dans le marbre ».
Le seul point où ils sont d’accord « On va pas se battre 20 ans pour savoir s’il y a une voie de fait ou pas ».
Les « Guides juridiques d’Internet » : « Si tout le monde avait un toit, il n’y aurait pas besoin de guide ».
L’axe principal de la plaidoirie est un axe spatial : qui on a et de quel côté. D’un côté, on a une grosse société, « qui est devenue privée pour des raisons que l’on peut imaginer » et de l’autre, des hommes, qui, sans ce bâtiment seraient à la rue. Et avoir un toit, c’est un droit essentiel.
Clémang appuie sur ce que c’est aussi, la CPAM. « Un réseau social extrêmement important ». En citant le curé de paroisse de Chenôve qui a des très bons liens avec les habitants de la CPAM, ou en parlant des médecins, des possibilités de soins, des cours de français qui ont lieu là-bas, ou des voisins qui témoignent sans cesse de la solidarité, c’est en effet, un lieu qui fait maintenant partie de Chenôve, qui est redevenu vivant, habité, au lieu d’être vide et sans âme.
« Vous avez des êtres humains qui seront à la rue et de l’autre côté, une société qui récupèrera son bien dans 2 ou 3 ans ». C’est aussi à une histoire que Clémang fait appel. Depuis l’Ecole des Greffes en 2012, jusqu’au XXL, expulsé en juillet. Une histoire où on préfère murer des bâtiments plutôt que de les laisser vivre. L’école des greffes a été murée suite à l’expulsion en 2012 et ça ne fait que quelques mois qu’il y a un projet réel le concernant. Le XXL a été muré cet été. Ça fait 5 mois, rien ne se passe.
« Tous les lieux qui ont été expulsés sont resté vides. Ils ont été murés. C’est un grand projet pour l’humanité. »
Le rendu du jugement sera le 7 janvier. Preuve qu’il n’a y pas non plus d’urgence pour la juge, un bon signe. Et la CPAM ne sera pas murée. Sûrement parce qu’il y aura trop de barbecue dans la cour pour la venue de l’été.
Squat de la CPAM
https://squ.at/r/7c59
Les sans papiers https://radar.squat.net/fr/groups/topic/sans-papiers
Des squats à Dijon https://radar.squat.net/fr/groups/city/dijon/squated/squat
Des squats expulsés à Dijon https://radar.squat.net/fr/groups/city/dijon/field_active/1/squated/evicted
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Dijoncter le 01/12/2018 https://dijoncter.info/proces-du-squat-des-exiles-de-la-cpam-compte-rendu-de-l-audience-706