Turin (Italie): lettre de prisonniers de l’opération Étincelle

Lettre collective de personnes arrêtées le 7 février dernier lors de l’expulsion de l’Asilo Occupato à Turin.

Le plus beau des cadeaux

C’est arrivé souvent au fil des années que nous nous soyons laissé aller à la fantaisie, en essayant d’imaginer comment et quand aurait lieu l’expulsion de l’Asilo. Combien de flics envahiraient le quartier, combien de temps tiendraient les barricades, à quel point résisteront ceux qui seront montés sur le toit, si cela coïnciderait avec une opération répressive et quelle serait la réponse à l’extérieur.

Aujourd’hui, deux semaines après, beaucoup de réponses ont été données. Mais on n’arrive toujours pas à se faire une raison.

Peut-être parce qu’ils nous ont traînés les uns après les autres d’abord à l’isolement aux Vallette (prison de Turin), puis à la section spéciale de la prison de Ferrara. Frappés d’une enquête qui nous décrit comme étant une secte interne et cachée au plus large milieu de compagnons qui se sont organisés à l’Asilo pendant des années.

Une ordonnance dégueulasse qui a permis de sélectionner et de déformer des bouts de nos conversations intimes, politiques et amicales dans le but de soutenir leur thèse inquisitoire. Une reconstruction qui, en aucun cas, ne peut saisir la variété des tensions, idées et élans rebelles qui se sont déchaînés, à partir de ce lieu, vers le monde extérieur.

Peut-être aussi, parce que nous n’avons pas vu les blindés et les CRS fermer pendant plus d’une semaine des morceaux entiers du quartier et refoulé quiconque n’y habite pas ou ne peut pas le prouver, dans le but d’isoler complètement le désormais ex-foyer des subversifs. Peut-être parce que nous n’avons pas entendu de jour comme de nuit les ouvriers rendre la structure inaccessible, mais surtout inutilisable.

Ou peut-être parce qu’au fond ça ne nous intéresse pas. Ces derniers jours, passés ici en taule, ne se sont pas écoulés dans la nostalgie de tous les souvenirs et moments passés à l’intérieur, de ce que cela pouvait signifier pour chacun de nous, des luttes qui y sont apparues et qui ont traversé les années. Ces jours se sont écoulés plutôt avec le regret de ne pas avoir été avec vous durant ces journées, là dehors, le long de la rue qui va du centre jusqu’au quartier d’Aurora (nom du quartier de l’Asilo), aux assemblées publiques ou au bar à cuver les lacrymos.

Parce que si avec cette expulsion, certains ont perdu leur logement, un endroit où s’organiser et se confronter, beaucoup se sont sentis privés d’un bout de liberté, arrachés par la force et par une modalité marquant un point de non-retour. Une « étincelle ». Une déclaration de guerre à laquelle tout le monde s’est senti de réagir et dont les échos sont arrivés au-delà des kilomètres, des murs et des barreaux qui nous séparent.

Et cela, c’était le plus beau des cadeaux que vous pouviez nous faire: savoir que l’expulsion de l’Asilo et la réponse à cette enquête ont été l’occasion pour chacun d’exprimer son malaise, sa propre rage et sa rébellion bien au-delà des luttes et initiatives singulières de ceux qui s’organisaient avec constance là-dedans.

Et qu’importe si après, quand nous sortirons, nous ne reconnaîtrons pas l’Asilo pour ce qu’il a été, si dans les yeux de ceux qui seront là nous retrouvons le même amour et la même rage qui se respire aujourd’hui à Turin.

Il y a une espérance. Mais cette espérance n’est pas dans un Asilo occupato mais dans le cœur, l’esprit et les bras de ceux qui ont décidé.

« Les prisonniers »
Antonio, Beppe, Lorenzo et Niccolo’

Le 18 février 2019.


Mise à jour de la situation des détenu-e-s:

Suite à leur incarcération, les six compagnons de l’opération Étincelle avaient fait appel. Le 1er mars, le tribunal a rendu sa décision: l’ « association subversive » (art. 270) est tombée, deux personnes ont été libérées. Cependant, trois autres restent incarcérées pour des délits spécifiques, tandis qu’une quatrième subit une seconde procédure d’incarcération en rapport avec la perquisition menée le jour de leur arrestation.

Pour écrire aux compagnon-ne-s :

Antonio Rizzo, Via Arginone, 327 – 44122 Ferrara, Italie
Silvia Ruggieri, Via Bartolo Longo, 72 – 00156 Roma, Italie
Niccolò Blasi, Via Arginone, 327 – 44122 Ferrara, Italie
Giuseppe De Salvatore, Via Arginone, 327 – 44122 Ferrara, Italie

Pour envoyer une aide financière pour aider à soutenir la détention des compagnon-ne-s :

IBAN: IT61Y0347501605CC0011856712
ABI: 03475 CAB: 01605 BIC: INGBITD1
Giulia Merlini et Marco Pisano
Instituto Centrale Banche Popolari Italiane, c.so Europa 18 Milano – 20122 – Italia

[Traduction de l’italien, depuis Macerie. Publié le 4-5 mars 2019 sur Indymedia-Nantes.]