Calais: les expulsions s’enchaînent, les associations dénoncent un “cycle infernal”

Un nouveau camp de migrants a été démantelé jeudi matin dans le bois de Dubrulle, près de la zone industrielle des Dunes à Calais. Les associations dénoncent le “cycle infernal” d’une politique “de plus en plus répressive” qui pousse les exilés du nord de la France à se cacher, au risque de les fragiliser davantage.

“Avec l’arrivée de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, la situation est encore pire qu’avant à Calais”. Siloé, coordinatrice de l’association Utopia 56 à Calais, assiste, désabusée aux démantèlements quotidiens des camps de migrants de cette ville du nord de la France. “Il y en a toujours eu mais les choses se sont accentuées ces dernières semaines”, abonde Elise du collectif Human rights observers (HBO), jointe par InfoMigrants. “Les autorités mettent en place une politique plus répressive dont le seul but est de ‘protéger la frontière’ comme ils disent”, continue la militante.

Jeudi 30 juillet, un nouveau démantèlement a eu lieu dans la zone industrielle des Dunes, dans le bois Dubrulle, où vivaient au moins 300 migrants – c’était déjà là que le 10 juillet, un camp d’environ 500 personnes avaient été évacuées “violemment” selon les associations. Dès 7h du matin jeudi, un important dispositif policier a encerclé le campement mais la plupart des habitants avait quitté les lieux quelques heures plus tôt. D’après le quotidien local La voix du nord qui cite la préfecture, seules 70 personnes présentes dans le camp ont été évacuées et envoyées dans des centres d’accueil de la région. “Beaucoup sont partis hier soir quand ils ont su qu’il y aurait une nouvelle évacuation car ils ne veulent pas aller dans les centres”, signale à InfoMigrants Siloé.

Dans la foulée, un autre camp, dans le quartier du Virval a lui aussi été démantelé. “Au total, 127 personnes ont été prises en charge et transportées vers des centres d’accueil et d’hébergement dans le Pas-de-Calais. Et 26 d’entre elles [familles et mineurs] ont été orientées vers des centres d’hébergement et de réadaptation sociale”, indique la préfecture dans un communiqué. Deux migrants ont quant à eux été transférés en centre de rétention administrative (CRA).

“Politique d’invisibilisation”

Les autorités ont également annoncé jeudi que “la ville envisage de clôturer les lieux, notamment la route de Gravelines”, près de la zone industrielle des Dunes afin d’empêcher toute reformation de camp sur le terrain. Depuis plusieurs mois déjà, des kilomètres de grilles et de barbelés sont installés autour du site. Une seule portion restait accessible, le bois Dubrulle, où les migrants s’étaient réinstallés après le démantèlement du 10 juillet.

À force de se faire chasser de leurs lieux de vie, “ils ne savent plus où aller”, rapporte Jacky Verhaegen du Secours catholique, contacté par InfoMigrants. “Cette politique d’invisibilisation nous inquiète car les migrants se dispersent et ont ainsi de moins en moins accès aux services des associations. Ils se cachent et sont de fait de plus en plus fragilisés”, continue le militant qui réclame inlassablement “une structure d’État pour accueillir les migrants”.

Résultat : de nombreux migrants se rapprochent du centre-ville de Calais ou se déplacent un peu plus loin, dans la ville de Coquelles. “Il y a effectivement de plus en plus de migrants dans le secteur”, assure à La voix du nord Olivier Desfachelles, directeur général des services de la ville de Coquelles.

“Les migrants sont épuisés”

“Il y a la volonté claire de l’État de ne pas créer de ‘point de fixation’ particulièrement à cet endroit”, explique en outre Jacky Verhaegen . À tel point que les distributions de nourriture organisées depuis deux ans par l’association La vie active, mandatée par l’État, ne passe plus par la rue des Huttes, à proximité de la zone industrielle des Dunes, depuis le 10 juillet, tout comme les navettes pour accéder aux douches.

“Les migrants sont épuisés physiquement et psychologiquement”, alerte Elise de HBO qui parle de “cycle infernal à Calais”. “Ils en ont marre de se faire expulser tous les matins”, renchérit Siloé qui ajoute : “Certains ne se sont pas lavés depuis trois semaines, d’autres nous racontent que depuis le temps qu’ils sont là ils ont fait le tour des centres d’accueil de la région et que les conditions de vie n’y sont pas bonnes, d’autres encore ont peur des violences policières”.

“Tout cela est fatiguant”, souffle Elise. Selon les associations, environ 1 200 migrants vivent en ce moment à Calais. “Ces personnes sont là, arrêtons de faire comme si elles n’existaient pas”, insiste la bénévole de HBO.


Evacuations des campements du bois Dubrulle et de l’hôpital

Il ne restait qu’une centaine d’exilés à l’arrivée de la police ce matin au Bois Dubrulle, déserté de ses occupants. Refusant d’être éloignés de force, marqués par la violence de l’expulsion du 10 juillet dernier, une majorité d’occupant.e.s a préféré « s’auto-expulser » et sauver de la destruction leurs duvets, leurs tentes et leurs effets personnels.

Les exilés encore présents, désorientés et hagards ont été poussés dans des cars par un imposant dispositif policier (11 cars de CRS, renforcés de quelques cars de gendarmerie mobile) venu encercler les huit hectares du bois.

Selon les associations, hier encore, ce sont plus de 800 personnes qui s’abritaient dans ce lieu malgré l’absence d’eau et de sanitaires. Parmi elles une quarantaine de femmes, dont certaines enceintes, et une dizaine d’enfants en bas âge. Indistinctement ces personnes ont été frappées par cette nouvelle évacuation forcée, désorientées et résignées face à la précarité de leurs conditions de vie.

Les personnes ont alors cherché à se réfugier ailleurs, beaucoup sont allés à proximité de l’hôpital de Calais et de campements existants. Mais la police a poursuivi le démantèlement des lieux de vie du bois Dubrulle par une expulsion des habitants de la zone de l’hôpital, exacerbant encore les bouleversements générés par l’instabilité. Trois bus ont donc quitté Calais en direction des CAES, mais de nombreuses personnes restent en errance dans les rues et les parcs du centre ville.

L’évacuation du 10 juillet et la visite du ministre de l’intérieur le 12 ont marqué la suppression des services vitaux tels que l’accès à l’eau, à la nourriture, à l’hygiène et aux soins, qui n’ont pas été rétablis depuis. Pourtant le nombre de personnes exilées sur le territoire Calaisien n’a pas diminué malgré les dispersions successives. Les personnes reviennent et reviendront.

30 juillet 2020.


Menace d’expulsion et anticipation

Mercredi 29 Juillet : comme il y a trois semaines, un arrêté d’expulsion vient d’être placardé au bois Dubrulle (voir ordonnance ci-dessous), on peut donc s’attendre à une nouvelle destruction de campements dès demain matin.

La menace d’une évacuation circule parmi les exilé.e.s qui anticipent : certains déplacent déjà leurs tentes et s’installent le long des routes. L’attente est presque aussi violente que l’expulsion elle même, elle maintient la tension et le stress : la plupart des personnes ne dorment plus, se réveillent chaque nuit.

Ce harcèlement intense est une stratégie visant à épuiser les exilés qui sont déjà fatigués, poussés à bout physiquement et mentalement. Les privations de nourriture, d’eau, d’hygiène (beaucoup de personnes n’ont pas pu se laver ni changer de vêtements depuis plusieurs semaines) et de sommeil affectent leur santé et favorisent l’apparition de maladies.

On peut donc facilement imaginer le peu d’attrait que constituent les bus gérés par cette même autorité, qui les prive déjà de leurs droits fondamentaux et de leur dignité.


Attention ! Risques de traitements inhumains et dégradants

15 jours après la séquence médiatique autour de la venue de Gerald Darmanin et de son homologue Britannique Priti Patel, les exile.e.s sont de retour à Calais.

Si au moins 500 personnes ont été éloignées de force, la plupart sont revenues ou bien ne sont jamais parties. Les Centres d’Accueil et d’Examen des Situations (CAES) – structures présentées par les autorités comme “LA solution” pour délocaliser les personnes – servent avant tout à donner l’illusion d’opportunités administratives.
Mais les personnes y étant emmenées de force, elles ne s’y sentent pas en confiance ni en sécurité pour prendre des décisions importantes pour elles, et reviennent donc systématiquement dans les jungles de Calais et Grande Synthe.

Chassées des précédents lieux depuis la « grande expulsion » mise en scène pour la visite des ministres, la situation est aujourd’hui sordide, indigne.
Plusieurs centaines de personnes se voient nier l’accès aux ressources primaires que sont l’accès à l’eau et à des sanitaires décents. Des distributions d’eau sur certains lieux de vie notamment la zone industrielle des Dunes ont cessé et les latrines ne sont plus accessibles, ni les navettes pour les douches. Certaines rapportent ne pas avoir pu prendre de douches depuis plusieurs jours voire plusieurs semaines.

Pareille situation s’était déjà produite en juillet 2017 et 2018, les associations avaient saisi la justice. Le Conseil d’État avait alors confirmé que « l’absence de latrines, de points d’eau potable et de douches dans ce secteur révèlent une carence de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité des personnes présentes dans les campements » ce qui avait obligé l’état et la mairie de Calais à mettre en place un minima de services.

Par ailleurs les destructions de campements se poursuivent à raison de plusieurs fois par semaine, les rendant extrêmement précaires, les tentes et sacs de couchages étant toujours en nombre insuffisant. tttt

Ces actions ne font pas pour autant disparaître les personnes du territoire, mais les place dans des conditions de survie déshumanisantes, affectant leur état de santé physique et mentale. Cette traque est la seule stratégie adoptée par l’état français depuis 30 ans, quitte à s’asseoir sur les droits humains les plus élémentaires.

Ou peut-être que les autorités ne considèrent simplement pas ces personnes comme appartenant encore au genre humain ?


Les sans papiers en France: https://radar.squat.net/fr/groups/country/FR/topic/sans-papiers
Des squats en France: https://radar.squat.net/fr/groups/country/FR/squated/squat
Des groupes en France: https://radar.squat.net/fr/groups/country/FR
Groups (collectives, social centres, squats) in France: https://radar.squat.net/en/groups/country/FR
Des événements en France: https://radar.squat.net/fr/events/country/FR


Texte de Leslie Carretero publié le 30 juillet 2020 sur InfoMigrants: https://www.infomigrants.net/fr/post/26350/migrants-a-calais-les-evacuations-s-enchainent-les-associations-denoncent-un-cycle-infernal
Textes publiés par Passeurs d’hospitalités ~ des exilés à Calais:
– le 30 juillet 2020 https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2020/07/30/evacuations-des-campements-du-bois-dubrulle-et-de-lhopital/
– le 29 juillet 2020 https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2020/07/29/menace-dexpulsion-et-anticipation/
– le 27 juillet 2020 https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2020/07/27/attention-risques-de-traitements-inhumains-et-degradants/