St-Ouen (93): “Ils n’ont même pas pu récupérer leurs affaires”

Le squat de Saint-Ouen, en région parisienne, a été évacué dans la matinée du mercredi 19 janvier. Une cinquantaine de migrants, principalement Soudanais, ont été jetés à la rue, sans propositions de mise à l’abri, et sans avoir pu récupérer leurs effets personnels. Une opération jugée “illégale” par les militants et les associations.

Moins de 15 jours après leur installation, la cinquantaine d’occupants du squat de Saint-Ouen, en région parisienne, ont été délogés mercredi 19 janvier par les forces de l’ordre. Vers 10h30, des équipes de la police nationale et de la police municipale, accompagnées d’un service de sécurité privée, ont investi le bâtiment.

“Ils ont brisé le cadenas [accroché au grillage de l’entrée, ndlr], cassé une fenêtre et fait sortir les personnes par là”, explique à InfoMigrants Paul Alauzy, responsable des maraudes de Médecins du monde (MdM), s’appuyant sur les témoignages des migrants. L’humanitaire, qui est arrivé sur les lieux en début d’après-midi, devait intervenir le même jour dans le squat pour effectuer une évaluation médicale des exilés.

“Rentrez dans votre pays”

“Quand je suis arrivé aux abords du squat aux alentours de 14h, j’ai tenté de négocier avec les policiers. Les habitants n’ont même pas pu récupérer leurs affaires”, continue Paul Alauzy. Pris au dépourvu, les migrants, pour la plupart originaires du Soudan, n’ont pas eu le temps de prendre leur sac. Beaucoup n’ont donc plus accès à leurs documents, comme les papiers médicaux ou administratifs. “Il y a toute leur vie à l’intérieur”, souffle le responsable de MdM.

Ali, un Soudanais de 47 ans en contact avec InfoMigrants, est dévasté. “J’ai perdu mes effets personnels lors de cette opération. On est restés près du bâtiment pendant des heures, jusqu’à tard le soir, mais la sécurité n’a pas voulu nous laisser entrer”, raconte-t-il. En guise de réponse, les migrants ont reçu du gaz lacrymogène pour évacuer la zone.

Les lieux sont désormais gardés par des vigiles et des chiens. Jeudi matin, le propriétaire de la structure a commencé à murer les locaux, avec les affaires des habitants à l’intérieur, d’après Camille*, un militant qui épaulait les exilés depuis leur installation, joint par InfoMigrants.

“C’est consternant. On assiste à une séquence outrageuse. On aimerait que la France réponde à ses promesses de droits de l’Homme”, peste Paul Alauzy. Des injures racistes, comme “Rentrez chez vous” ou “Rentrez dans votre pays”, auraient également été prononcées par les forces de l’ordre un peu plus tôt dans la journée. “Certains ont mis leur main sur leur arme de service et les ont brandies pour les intimider”, rapporte-t-il.

Évacuation “illégale”

Pour les militants, cette évacuation, en plus d’être violente, est illégale. “Rien n’a été fait dans le respect de la loi”, insiste Camille. Un constat partagé par le député de Seine-Saint-Denis de la France insoumise, Éric Coquerel, présent mercredi devant le squat. Selon ce dernier, aucun ordre d’expulsion n’a été délivré et aucune décision de justice n’a validé cette opération.

Une source policière anonyme rétorque de son côté à l’AFP qu’il “n’y a eu aucune évacuation”, mais une visite d’un expert mandaté pour “constater la dangerosité du site”. Il est entré dans le squat avec les forces de l’ordre, et “les gens sont partis d’eux-mêmes”.

Contactée par InfoMigrants, la préfecture de région ne “souhaite pas communiquer” sur cette affaire. La mairie de Saint-Ouen n’a pas non plus répondu à nos sollicitations.

Cette version des autorités est formellement contestée par les occupants. “La police est entrée de force et a évacué tout le monde. Nous n’avons pas eu le choix”, assure Ali. MdM parle d’un “tissu de mensonges”.

Les militants vont porter plainte contre les méthodes employées et demandent la réintégration des exilés dans les locaux.

Après cette évacuation, les exilés se sont retrouvés à la rue. Aucune mise à l’abri ne leur a été proposée. “On est avec des gens qui étaient à l’abri et qui sont désormais dehors en plein hiver”, déplore Éric Coquerel. Certains migrants ont été accueillis chez des particuliers ou orientés vers d’autres squats. Ali, quant à lui, a passé la nuit sur un trottoir de porte de la Villette, dans le nord de Paris.

Leslie Carretero

*Le prénom a été modifié a la demande de l’intéressé.

[Publié le 20 janvier 2022 sur InfoMigrants.]