Dolorès est rayonnante, devant la mairie d’Aubervilliers, en ce jeudi 10 mars: «J’ai sauté de joie quand j’ai su qu’on avait gagné. Surtout que si nous on arrive à gagner, ça veut dire que d’autres peuvent aussi.» La veille, le 9 mars, une décision de justice a ordonné l’arrêt des travaux de la piscine d’entraînement pour les Jeux olympiques prévue au fort d’Aubervilliers. Le projet a impliqué la destruction d’un demi-hectare de jardins familiaux, et a provoqué une forte mobilisation à partir de juillet 2020 (lire nos articles ici, ici, ici et ici, et notre reportage dans la revue Replica). Après des mois d’occupation et une lutte menée sur tous les fronts, les jardinier·es et leurs soutiens ne peuvent pas s’empêcher d’exprimer leur joie. Ivan, architecte et membre de la première heure du collectif de défense, est clair: «Ils vont avoir du mal à réaliser le projet tel qu’il est, à temps pour les Jeux Olympiques». Ce jeudi 10 mars, le collectif avait un rendez-vous avec la maire d’Aubervilliers, Karine Franclet, pour lui demander l’arrêt des travaux et un changement de plans. «La justice a été plus rapide que le rendez-vous» dit Ivan en souriant. «Et la maire a annulé ce dernier. Elle ne veut visiblement pas prendre de décisions avec nous». Le collectif de défense des Jardins est à l’origine, avec d’autres luttes écologiques du 93, de la «marche pour le climat du 93», qui s’est tenue le 13 mars et qui avait comme objectif de demander l’arrêt des travaux. Elle est devenue une marche festive pour célébrer cette victoire juridique inattendue. Retour sur cette semaine décisive pour une lutte locale aux enjeux globaux.
LES RÉSULTATS D’UNE LUTTE ACHARNÉE
La décision de justice est d’autant plus importante qu’elle tombe après celle du 10 février dernier. La Cour Administrative d’Appel (CAA) de Paris avait délibéré sur le Plan Local d’Urbanisme Intercommunal (PLUi), en ce qui concerne les Jardins d’Aubervilliers. La CAA affirmait que les travaux pour la piscine et pour la gare de la ligne 15 du métro (prévue pour 2030) auraient dû se limiter au «strict nécessaire» et qu’en aucun cas ce qui reste des jardins aurait pu être objet de construction. Les travaux avaient pourtant continué, en l’absence d’une décision de justice qui en forcerait l’arrêt. Celle-ci est finalement tombée le 9 mars, décrétant la fin presque certaine du projet de centre aquatique tel qu’il existait jusqu’à présent. Mais les questions restent nombreuses: la décision du 10 février ne définit pas en effet ce qu’elle entend par «strict nécessaire», et renvoie à une nécessité de re-définir le PLUi. «Il faut qu’on reste vigilants» se préoccupe Dolorès: «Il faudra une grosse mobilisation dans la consultation publique sur le PLUi, c’est un grand enjeu».
Pour les constructeurs, certainement, le temps court. «Ils ont déjà perdu 8 mois, entre l’occupation et les retards accumulés à cause de l’amiante» rappelle Ivan. «Là, ils vont perdre encore au moins 4 mois seulement pour revoir le PLUi. Ça serait du jamais vu qu’ils arrivent à faire une piscine de ces dimensions en moins de deux ans.»
Le lundi 14 mars, suite à tous ces événements et à la manifestation, la mairie d’Aubervilliers et Plaine Commune ont publié un communiqué de presse dans lequel ils affirment vouloir s’aligner sur la décision de justice. Ils utilisent des mots sibyllins, mais laissent entendre que le projet sera revu, pour ne conserver que «tout ce qui est en lien nécessaire avec les bassins olympiques» selon les mots de la décision de justice du 10 février. Une victoire, certes, mais qui laisse, là encore, beaucoup de questions ouvertes: cela signifie-t-il que la mairie et Plaine Commune renoncent au solarium, la partie de projet qui est à l’origine de la destruction des jardins? Dans ce cas, vont-ils reconstituer les jardins détruits? La mairie, contactée pour la rédaction de cet article, dit ne pas pouvoir donner plus de détails sur le changement de projet pour le moment.
Les questions financières sont tout aussi pressantes. Dans le communiqué de presse publié par le collectif des Jardins, elles sont vite résumées: «Le budget de la réalisation de la piscine et de sa maintenance seront revus à la baisse? Le projet restera-t-il soumis au régime du partenariat privé-public?.» La participation des JO au budget de la piscine à hauteur de 10 millions d’euros (sur les 33,6 au total) est également en question. Anne Hidalgo semble vouloir évacuer le problème, et interrogée dans l’émission Face aux Indés, elle se démarque: «Le projet de piscine à Aubervilliers n’est pas un sujet directement lié aux JO […] jamais il n’a été demandé dans les JO, c’est la maire d’Aubervilliers qui porte ce projet là […] le projet des JO 2024 est un projet écolo.» Une position difficile à tenir, compte tenu des 10 millions d’euros que la SOLIDEO, dont Anne Hidalgo est présidente, mis dans la piscine. La SOLIDEO, contactée à ce sujet, n’a pas répondu à nos questions.
L’AVENIR VIRE AU VERT
Face à ces nombreuses questions, le collectif n’arrête pas sa mobilisation. Le 13 mars, une manifestation a rassemblé plusieurs centaines de personnes et plusieurs collectifs de luttes locales du 93. Cette «marche du climat du 93» avait pour but de montrer les effets désastreux des (non) politiques publiques pour les quartiers populaires et les départements les plus défavorisés. La marche rassemblait des collectifs tels que le Comité Pour le Triangle de Gonesse (CPTG, à l’origine l’année dernière de la première ZAD d’Île-de-France), le Mouvement National des Luttes écologistes du 93 (MNLE 93), le collectif Notre Parc N’est Pas à Vendre (en défense du parc de la Courneuve, intéressé par un projet lié aux JO), Saccage 2024. Malgré la pluie, les participant·es étaient bien déterminé·es et l’ambiance plutôt joyeuse. Une tentative, échouée grâce aux bons soins de la police, de démonter la palissade du chantier, s’est transformée en sit-in improvisé, pendant lequel des bombes à graines ont été lancées dans l’enceinte des travaux. Le cortège s’est ensuite rendu, parmi les chants et les slogans, devant la mairie d’Aubervilliers, où a été déposé un tas de fumier.
Le collectif de défense se réjouit du résultat de sa lutte: «c‘est une réelle victoire pour le collectif qui prouve que la lutte paie, même quand les travaux ont déjà commencé et que d’aucun·e·s annonçaient déjà les jardins perdus.» Maintenant, iels ne peuvent pas s’empêcher de penser à l’avenir: «on peut s’imaginer récupérer cette partie des jardins, et en faire un projet ouvert, du commun!» rêve Dolorès. «J’aimerais aussi que le reste des jardins, l’association (qui gère les parcelles des Jardins Ouvriers des Vertus, NdA), ça bouge, que ça s’ouvre et que ça accueille du monde». Tout semblerait possible, à condition que les terres soient vraiment reconstituées et qu’elles soient cédées au collectif. Deux grosses conditions, qui permettent de rêver mais pas encore de se mettre en pantoufles. Dans tous les cas, une perspective qui enthousiasme celles et ceux qui ont partagé cette lutte: «Là c’est pas fini, mais quand ça sera fini, je vais continuer à lutter. La vie est plus belle dans la lutte.»
Pour une information livrée en toute transparence, l’auteur de cet article est engagé depuis longtemps dans le collectif de défense des jardins d’Aubervilliers.
Giovanni Simone
[Publié le 17 mars 2022 sur La Mule.]