Montreuil (93): récit du squat des Roseaux face à l’application de la loi Kasbarian-Bergé

Après l’attaque au tractopelle, notre proprio a décidé de nous attaquer via la modification, par la nouvelle loi Kasbarian-Bergé, de l’article 38 de la loi DALO.
Voici le récit de notre défense.

Cet été, une certaine loi Kasbarian-Bergé a été adoptée par l’Assemblée nationale. Surfant sur le rabâchage médiatique concernant les squats, avec l’image du pauvre propriétaire qui se voit déposséder de son toit, elle criminalise encore plus les squatteurs et squatteuses et donne carte blanche aux promoteurs immobiliers.

Bien que présentée comme une “loi anti-squat”, son application pourrait largement dépasser le cas des squats pour s’appliquer à tout type d’occupation (d’usine, de terres agricoles…) et surtout criminaliser et expulser les locataires précaires.

Cette loi vient s’inscrire dans un contexte particulier, celui où les propriétaires sont toujours présentés comme victimes alors même qu’on assiste à un durcissement de la législation contre les locataires précaires, que les espaces laissés délibérément vacant sont toujours plus nombreux (plus de 3 millions de logement sont vides aujourd’hui en France et les ménages multipropriétaires possèdent les deux tiers des logements détenus par des particuliers), et qu’il y a toujours des milliers de personnes à la rue, des millions de mal logées.

Nous, habitantes et habitants du squat des Roseaux dans le bas Montreuil, après avoir fait face à une attaque au tractopelle, avons fait les frais de l’application de cette loi. Quelques jours à peine après l’adoption de la loi Kasbarian-Bergé, le propriétaire de la maison que nous occupions a contacté la préfecture pour entreprendre une procédure 38 DALO à notre encontre. Cette procédure “permet au propriétaire du logement squatté de demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux.”

En janvier 2023 (avant l’adoption de la loi Kasbarian Bergé), notre propriétaire avait déjà essayé d’avoir recours à cette procédure pour nous expulser sans passer par un ou une juge. Le préfet de la Seine Saint Denis avait alors refusé l’application de l’article 38 de la loi DALO car nous avions fourni par mail des preuves que l’occupation ne respectait pas les conditions nécessaires à l’application de la loi. La condition en question était que la maison que nous occupions, même si le propriétaire prétendait le contraire, ne constituait pas le domicile du propriétaire (qu’il soit principal, secondaire ou occasionnel). Pour prouver cela, nous avons envoyé des photos certifié de la maison vide de tout meuble ainsi que le permis de démolir et de construction concernant la maison : un immeuble de 5 étages avec local commercial au rez-de-chaussée.

Il faut savoir que la procédure 38 DALO n’est pas une procédure dite contradictoire. C’est à dire qu’il n’y a pas d’audience où nous pouvons faire valoir nos droits. Nous avons donc, par notre propre initiative, entrepris de fournir des pièces à la préfecture car nous nous doutions que le propriétaire allait entamer une telle procédure. Ce sont seulement quelques semaines plus tard (par le biais de l’huissière qui avait constaté notre occupation) que nous avons effectivement appris que le propriétaire avait entrepris une procédure 38 Dalo qui a été rejetée (grâce aux documents que nous avons spontanément fournis) par la préfecture.

A titre informatif, quand un propriétaire fait appel à l’article 38 de la loi DALO, le préfet a 48 heures pour confirmer ou rejeter la demande de mise en demeure des occupant.es. Si la mise en demeure est confirmée, un arrêté préfectoral sera affiché sur les lieux de l’occupation et en mairie. Cependant, si la mise en demeure est rejetée, la préfecture n’est pas tenue de tenir les occupant.es informé.es. Dans notre cas, c’est dans notre dossier d’assignation au tribunal de proximité que nous avons eu accès à un échange entre le propriétaire et la préfecture qui rejetait la demande de mise en demeure.

Mais voilà, la nouvelle loi Kasbarian Bergé vient “assouplir” les conditions d’application de l’article 38 de la loi DALO. Dorénavant cette procédure peut s’appliquer à tout « local à usage d’habitation », qu’il soit meublé ou non, “partout où la personne est chez elle, qu’elle y habite ou non (exception : ce qui est inhabitable comme un hangar)”. En septembre 2023 le préfet de la Seine Saint Denis a cette fois ci donné une suite favorable à la nouvelle demande du propriétaire de passer par la procédure d’expulsion 38 DALO. Un matin nous avons donc reçu la visite de plusieurs flics de Montreuil qui nous ont remis en main un avis d’expulsion sous 7 jours. (L’avis d’expulsion aurait été de 24h si la maison que nous occupons était considérée comme le domicile du propriétaire). Cette procédure bien que non contradictoire laisse la possibilité de faire un recours administratif pour faire sauter l’avis d’expulsion. Le recours en question que nous avons déposé au tribunal administratif est suspensif, c’est à dire qu’on ne pouvait pas être expulsé.es tant qu’on n’avait pas reçu le délibéré du juge. A noter que le recours est suspensif uniquement dans le cas où la maison occupée n’est pas considérée comme le domicile du propriétaire (principal, secondaire ou occasionnel).

Quelques jours à peine après avoir reçu l’avis d’expulsion, les flics de Montreuil sont passés plusieurs fois devant la maison, surement pour préparer l’expulsion. Pour être sûr de notre interprétation de la loi concernant le côté suspensif du recours, nous avons contacté à nouveau la préfecture pour l’informer que nous avions fait un recours contre cet avis d’expulsion et que pour le moment nous n’étions toujours pas expulsable. La préfecture nous a bien confirmé qu’il n’y aurait aucune expulsion avant le délibéré du tribunal administratif. L’audience devant le tribunal administratif a eu lieu trois semaines plus tard et nous avons reçu le délibéré une dizaine de jours plus tard : la juge rejetait l’application de la procédure 38 DALO car une des conditions nécessaires à son application n’était pas respectée. A savoir le fait de s’être introduit dans le domicile occupé par manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes. Une grosse partie de notre défense avait en effet consisté à démontrer que nous nous n’étions pas introduits par voie de fait quand bien même la préfecture prétendait le contraire.
Un deuxième axe de notre défense consistait à démontrer que la préfecture n’a pas respecté son engagement devant la loi de « considération de la situation personnelle et familiale de l’occupant » avant l’émission de l’avis d’expulsion.

Voici les lignes principales de notre défense devant le tribunal administratif. Cette défense a été élaborée avec l’aide de plusieurs avocat.es qui se sont beaucoup penché.es sur la loi Kasbarian. A notre connaissance, nous avons été la première application de la procédure 38 DALO dans le nouveau cadre juridique de la loi Kasbarian Bergé. Nous n’avons donc pas pu nous référer à des cas précédents pour préparer cette défense. C’est pour cela que nous souhaitons partager le travail qui a été fait à cette occasion. Voici ci-dessous le délibéré du recours devant le tribunal administratif. Si vous avez des questions supplémentaires n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse suivante :
contact-article-kasbarian@@@proton.me

Ce récit n’est qu’une application de tout ce que permet la loi Kasbarian Bergé. On a donc une pensée pour toutes les personnes qui ont fait les frais de cette nouvelle loi, notamment dans le cas de nouvelles tentatives d’ouverture.

Par ailleurs la procédure 38 DALO ne vient pas se substituer à une procédure « classique » devant le tribunal de proximité. Nous concernant, notre prochaine audience aura lieu le 12 décembre 2023 et nous appelons à nous y retrouver nombreux et nombreuses.

Squat partout !

[Publié le 22 novembre 2023 sur Paris-Luttes.info.]