Cévennes: le Markassos, squat éphémère au Marquaires

En juillet 2024, pendant 10 jours a lieu une occupation dans les Cévennes au Marquaires, le Markassos. On est un « groupe » très mixte de personnes traversées par des idées anti-autoritaires, anti-racistes, anti-patriarcales… En plus de la nécessité d’avoir un toit, il y avait la motivation de créer un lieu pour se rencontrer, s’organiser, s’entraider, se mettre bien. Un lieu d’activité loin des logiques marchandes, des institutions, qui essaierait au maximum d’échapper au contrôle de l’État. Le Markassos est situé dans le Parc national des Cévennes, où l’essentiel de l’activité économique est touristique et où tous les logements sont accaparés par la spéculation, les résidences secondaires, les gîtes, donc vides la plupart de l’année. On squatte contre la propriété privée qui s’accapare jusqu’au moindre brin d’herbe, jusqu’au moindre caillou. Ce n’est pas seulement la question de qui possède mais aussi l’idée que tout soit possédé contre laquelle on lutte. Il y a concrètement des dizaines de ruines, de maisons et de terrains abandonnés, « protégés » par la loi contre les personnes qui voudraient y vivre sans les posséder. La mairie est propriétaire de cette ancienne maison forestière, très isolée au bout d’une piste, dans une plantation à l’abandon, sur une commune d’une soixantaine d’habitant.e.s en Lozère. Dans cette région, tout le monde se connaît, tout le monde sait tout sur tout le monde et ça rend très visible toute anormalité, tout déplacement ou toute nouvelle personne. A tel point qu’on se demande si c’est la factrice ou les promeneurs du coin qui ont révélé l’occupation. Dans ce contexte, parmi les gens auxquels on est amené à faire face, il n’y a pas que les keufs mais aussi les fafs, les voisins vigilants, les gardes du parc, de l’ONF…

Petit historique :

Concrètement, on a amené sur place de quoi barricader, faire des meubles, pirater l’élec, constituer une cuisine de A à Z, les chiottes sèches, faire un dortoir… On a passé quelques jours en sous-marin le temps de se préparer à un premier passage des keufs, en appréhendant l’espace alentours, en bloquant les ouvertures.
Le samedi, on sort du mode sous-marin, on commence à pouvoir profiter, trouver du temps pour nous, se baigner… On fait avec notre fatigue, nos galères physiques, mentales, de sommeil dans un espace partagé, bref, on est pas des warriors. Le soir même, on fait la première soirée publique, un concert de rap, une jam et du punk 🙂 . À ce moment-là, on se repose la question de coexistence avec les autres êtres vivants sur place, dans un endroit avec si peu d’humain.e.s. Dans la maison, y a des chouettes, des chauves-souris, des loirs et encore bien plus de monde autour.
Le dimanche soir, on capte avec la radio grésillante d’une vieille bagnole les résultats des élections. Dans une période où le calendrier électoral prend toute la place, où la pression à aller mettre un petit bout de papier dans une boîte est partout, on n’a pas voté. On a pas non plus choisi d’aller en ville pour foutre le zbeul contre les élections, mais plutôt de maintenir cette occupation et de faire exister notre propre temporalité, une manière de plus de refuser l’illusion démocratique.

Le lundi matin (beurk), c’est le jour d’un passage de l’ONF et de la première visite des flics. La maison était fermée, on les attendait à la fenêtre. Ils demandent des identités, on leur donne des « noms » à grailler au cas où ils décident de lancer une procédure qui nous ferait gagner du temps. Les jours suivants, on continue à faire gaffe.
Le jeudi, 4 voitures de flics arrivent, dont certains en civil, pour déposer un « arrêté préfectoral portant mise en demeure de quitter » la maison sous 24 heures. C’est une application de la loi anti-squat Kasbarian qui rend légal depuis 2023 le fait d’expulser sans procédure judiciaire. Pris.e.s de court, on fait face à nos limites liées à l’isolement et à la fatigue. Après plein d’hésitations, on décide de partir et de se protéger en essayant de leur compliquer un peu la tâche (barricader complètement la maison et préparer une sortie par le toit, quelques petits pièges et insultes écrites partout, tenter une requête en justice pour obtenir un micro délai, sans succès). On se replie ensemble, on stocke les affaires et on essaie de prendre soin de comment on se sent les unes les autres. On repasse à la maison quelques jours après l’expulsion du vendredi, ils ont passé la semaine suivante à la murer.

Au moment de l’expulsion, on est resté.e.s isolé.e.s pour plusieurs raisons :
– On a pas bien anticipé le besoin de soutien.
– On a eu très peu de temps pour réagir à l’arrivée imminente des flics.
– Le choix de n’utiliser ni ordi ni portable dans un contexte où s’organiser largement sans ces moyens là est devenu rare.
– Le choix de ne pas composer avec des soutiens qui auraient des motivations réformistes, charitables ou autoritaires.
On voit bien que, localement, les réseaux et les liens anti-autoritaires qui ont permis des réflexes de solidarité contre les expulsions s’estompent depuis une quinzaine d’années. L’envie de ce texte a émergé dans le constat que les dynamiques de squat en Cévennes sont devenues presque invisibles. On voudrait que cette situation participe à reconstruire un réseau et une culture de solidarité, qui ne passent pas par des moyens institutionnels et pas forcément numériques. Ce ne sont pas les gens ou les expériences qui manquent pour faire chier la bonne marche de ce monde et tenter des trucs de ouf. Nous, on a kiffé faire ça…

Pensées solidaires à celleux qui tentent de s’organiser loin de toute autorité.
Crève l’État et la propriété !
Vivent les squats !

Quelques ex-occupant.e.s


Des squats en France https://radar.squat.net/fr/groups/country/FR/squated/squat
Des groupes (centres sociaux, collectifs, squats) en France https://radar.squat.net/fr/groups/country/FR
Des événements en France https://radar.squat.net/fr/events/country/FR