Article publié le 5 octobre sur le blog Parisian Shoe Gals.
Art & Music : La Miroiterie – 88 rue de Ménilmontant – Paris 20 – Derniers concerts avant expulsion définitive
La Miroiterie est un des derniers lieux de culture populaire autogéré et alternatif à Paris. En sursis depuis 2007, depuis le rachat des murs par un groupe d’investissement, les résidents sont sous le coup d’une expulsion effective à dater du 15 octobre 2012. C’est en 1999 que s’installe au 88, rue Ménilmontant ce squart (contraction de squat et art). Sa nature même est de disparaître un jour mais depuis 13 ans, cet endroit unique a pris une place importante dans la vie du quartier et de ses habitants, âme du petit village, esprit de Ménilmontant.
Héritière de la culture underground, alternative et punk des années 80, la Miroiterie est entièrement autonome, ne dépendant d’aucun label ou d’une grosse régie de l’industrie artistique. A la fois salle de concert, galerie, atelier et lieu de vie, ce cadre unique favorise le développement d’une poétique dissidente qui s’exprime picturale, plastique, musicale sous l’impulsion de ses habitants, 30 personnes dont 12 plasticiens, 8 musiciens et 10 résidents aux vocations diverses de toutes origines France, Angleterre, Italie, Brésil, Maroc, Japon, Guatemala, Mexique…
La scène historique sur laquelle se sont produits Manu Chao, le saxophoniste David Murray, le groupe Total Chaos, est dotée d’une programmation hétéroclite, du punk en semaine aux concerts de free jazz du dimanche soir en passant par les rivages de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb. La Miroiterie, c’est un projet alternatif qui se moque des impératifs commerciaux. Cette salle de concert est accessible à tous, intimiste mais ouverte. Il s’agit d’un endroit à part auquel le visiteur accède par un passage bigarré jusqu’à une petite cour ravissante au parfum de Méditerranée, pour enfin pénétrer dans une pièce insalubre, vétuste et superbe, à l’odeur de gros rouge renversé caractéristique, dont la décoration est entièrement faite à partir de récup’, canapé éventré et fresques des résidents au mur. Ce lieu improbable, très convivial possède une aura à nulle autre pareille.
Charlotte de Jésus et Benjamin Sanz organisent tous les dimanches soirs, la Jam Session improvisation de jazz, free jazz, jazz contemporain. La première partie à 20h est réservée aux invités, musiciens à l’image des résidents des lieux, de tout horizon, musique guinéenne, Afrique de l’ouest, mélopées berbères, électro, parfois hip hop. Après une pause, démarrage de la jam vers 21h. Pas de tarif, chacun met ce qu’il souhaite dans un chapeau.
La Miroiterie a été rachetée en 2007 par un groupe de marchands de bien, Edmond Coignet, spécialistes de la vente à la découpe alors que le squat artistique y était installé depuis 8 ans, bénéficiant dès lors d’un prix d’achat très avantageux. Depuis en procès avec les résidents, plusieurs verdicts d’expulsion étaient déjà tombés mais à chaque fois avaient été repoussés en appel. Le dernier ayant cependant été confirmé, la préfecture a contacté les habitants pour leur signifier de quitter les lieux avant le 15 et demander que cela se fasse dans le calme sans opposer de résistance ni manifester.
Plus de 5 000 groupes sont montés sur la scène de la Miroiterie dont la renommée a très largement dépassée nos frontières. De nombreuses expositions et manifestations artistiques ouvertes à tous ponctuent la vie des riverains d’une animation culturelle intense. Ateliers de peinture, théâtre, danse, musique animent le quartier au quotidien comme l’initiative de Serge Fabucia, coursier brésilien, qui offre des leçons de capoeira aux enfants de Ménilmontant, 3 fois par semaine, totalement gratuitement.
Les nombreux artistes qui y demeurent défendent leur style de vie au sein de ce lieu unique d’expérimentation artistique et humaine. La mixité sociale y est totale, les origines géographiques variées mais la solidarité, le partage et la valorisation des différences sont des valeurs fortes communes à tous.
Fermer la Miroiterie, c’est amputer le quartier d’une importante part de son activité et relance les interrogations sur Paris ville musée où la seule expression artistique qui a le droit de présence est celle qui est institutionnalisée ou bien ce qui est financé comme la publicité, standardisation de l’art et de la culture afin de satisfaire une logique commerciale qui gomme les traces de la vie humaine. En se rebellant contre le système, les artistes posent de la forme libre sur de la forme imposée, autoritaire, ils prennent quelque chose à la ville qu’ils retravaillent et libèrent dans une recherche constante de revalorisation de l’espace urbain. L’art urbain notamment permet de dénoncer la gestion de l’expression artistique, en enlevant une forme oppressive et en la remplaçant par une expression de liberté.
En septembre dernier, le conseil d’arrondissement a plaidé en faveur de la sauvegarde de l’endroit reconnaissant l’importance de la Miroiterie dans la vie artistique et sociale du quartier. Mais le site n’appartient pas à la municipalité et elle ne peut pas remettre en cause les décisions des investisseurs privés qui se sont portés acquéreurs ni même du tribunal qui a validé l’avis d’expulsion. La Mairie de Paris cherche actuellement « à favoriser une issue qui permettrait au lieu de conserver une dimension culturelle ».
Même si je doute fortement qu’il y ait encore de l’espoir, une quelconque alternative juridique ou une connexion susceptible de sauver l’endroit (un milliardaire excentrique amateur de punk ?), certains ne se résignent pas et continuent à faire signer des pétitions. Voici tout de même le lien : Pétition Sauvez la Miroiterie ménacée d’expulsion
La Miroiterie – 88, rue de Ménilmontant – Paris 20e