C’est donc la même maire et la même équipe municipale qui sont reconduites pour les six années à venir. Alors que l’État semble être dans l’incapacité de faire autre chose que ce qu’il a fait ces dix dernières années – même si on peut remarquer quelques ouvertures dans le discours, la situation sur le terrain reste la même – on peut craindre le pire de ce résultat, et dès ces prochaines semaines.
Le campement de la rue Lamy, en face du lieu de distribution des repas, est déjà sous pression, trop visible, trop de tensions, trop près du port, trop de monde. Le campement au bord du Bassin de la Batellerie est aussi d’une grande visibilité, en plein centre ville (on remarquera que ces deux campements sont le résultat direct des expulsions de squats de septembre et octobre derniers). Concernant le squat du boulevard Victor Hugo, qui accueille des femmes, des enfants, des malades et des blessés, le préfet semble revenir sur l’idée de créer un lieu d’accueil pérenne et ne retenir qu’un relogement provisoire des personnes présentes dans le squat au moment de l’expulsion. Les femmes, les enfants et les autres personnes vulnérables se retrouveront à nouveau à la rue. Des procédures judiciaires sont engagées contre trois autres squats, les audiences auront lieu ce mardi.
Calais risque donc très d’être à nouveau le théâtre d’une vague d’expulsions et de chasse à l’homme, comme de multiples fois ces dix dernières années, comme une nouvelle vague d’un cycle sans fin.
C’est aux associations et aux collectifs citoyens de faire entendre une autre voix, et de proposer une autre voie. Et c’est leur responsabilité. Pour tenter de faire bouger les lignes, d’entrer dans une logique de résolution de problèmes, plutôt que de les créer et les aggraver. Face à une maire qui peut se dispenser de démagogie électorale puisqu’elle a six ans devant elle, et aux représentants d’un gouvernement qui vient d’être sanctionné par les électeurs.
Ce n’est pas gagné, Natacha Bouchart a été élue grâce aux voix de l’extrême-droite, le collectif d’extrême-droite Sauvons Calais appelle à une nouvelle manifestation anti-migrants le 13 avril, le préfet a montré à l’occasion du caillassage du squat de Coulogne que ce collectif jouissait de l’impunité dans ses actions violentes. Tous les ingrédients sont aussi réunis pour une aggravation de violence, dont Calais semble pourtant déjà saturée.
C’est donc d’autant plus essentiel de tenter une nouvelle voie.
Pour alimenter ce débat, Passeurs d’hospitalités renouvelle ses propositions pour une politique municipale d’hospitalité, diffusées avant le premier tour:
CALAIS: POUR UNE POLITIQUE MUNICIPALE D’HOSPITALITÉ
– UN CAHIER DES PASSEURS D’HOSPITALITÉS –
Presque 20 millions de passagers transitent chaque année par le port de Calais et le Tunnel sous la Manche. Parmi eux, quelques milliers restent bloqués à la frontière. Ce sont eux qu’on appelle « les migrants ». Certains relèvent d’une protection internationale, au titre de l’asile ou de la protection subsidiaire, en raison de leur parcours personnel et de la situation dans leur pays de départ, quelques-uns sont mineurs. Stoppés à la frontière britannique, certains choisissent de rester en France, d’autres persistent dans leur tentative de gagner le Royaume-uni – et finissent par y arriver, d’autres se réorientent vers une autre destination européenne ou regagnent leur pays de départ, d’autres restent là par défaut de perspectives ailleurs et de possibilité de partir. Certains sont en situation régulière en France (demandeurs d’asile, mineurs, titulaires d’un titre de séjour d’un autre État de l’Espace Schengen, ressortissants de pays dispensés de visa de court séjour dans l’Espace Schengen), d’autres pas.
Ils et elles (ce sont surtout des hommes) sont entre 150 – 200 et 400 – 500 sur le territoire du Calaisis depuis la fermeture du centre de Sangatte en 2002 (l’année 2009 fait figure d’exception par le nombre d’exilés présents). Les fluctuations du nombre de personnes présentes à un moment donné dépendent d’événements lointains, survenant dans le pays de départ ou sur la route. Leur présence est une donnée durable du territoire, qui appelle des solutions pérennes, compatibles avec le vivre ensemble que nous souhaitons dans ce bassin de vie.
La politique de contrôle des frontières ne relève pas de compétences communales ou intercommunales. L’hébergement et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile (compétence État), la protection des mineurs (compétence départementale), l’hébergement d’urgence inconditionnel (compétence État) ne relèvent pas non plus du niveau communal. Et des besoins durables doivent trouver des réponses dans le cadre du droit commun et non de dispositifs
d’exception.
Si les dispositifs de droit commun qui doivent permettre un accueil digne des exilés à Calais ne relèvent pas de la commune, celle-ci a un rôle de facilitation essentiel dans le processus de résorption des bidonvilles et des squats insalubres, et d’intégration dans la ville des exilés, de passage ou souhaitant rester.
Rendre vivables les lieux de vie
Nous avons les deux bouts d’un chemin. D’un côté la situation actuelle, caractérisée par l’extrême précarité des conditions de vie, aggravée par les expulsions à répétition et des politiques publiques de relégation, de répression et de précarisation. De l’autre, la vision de « maisons des migrants » telle que formalisée par les associations, et qui commence à rencontrer un écho de la part des pouvoirs publics . Entre les deux, il y a un chemin à construire, dont la commune ne maitrise ni la durée ni l’aboutissement, mais dont elle tient largement les prémisses et dont elle peut faciliter les étapes.
La première contradiction à dénouer est que le droit des exilés à être ici étant nié, il n’ont pas de lieu où ils aient le droit d’être, d’habiter, pendant leur séjour. Ils occupent donc par défaut des lieux qui ne leur sont pas destinés, qui sont voués à un autre usage, qui sont impropres à l’habitation, dont ils sont expulsés en raison des droits du propriétaire, de l’usage qu’on veut en faire, ou de l’inhabitabilité.
Le premier pas à faire est donc de reconnaître aux personnes le droit à rester là où elles habitent effectivement – et si cela s’avère impossible, de permettre leur déménagement vers un lieu stable pouvant les accueillir. Un inventaire des lieux de vie existants et de la possibilité ou non d’y rester est donc à faire, ainsi que des lieux d’accueil alternatifs. La commune peut intervenir en tant que propriétaire foncier, et en trouvant des arrangements avec d’autres propriétaires publics ou privés.
À partir du moment où un lieu de vie ne risque pas l’expulsion, il est possible de travailler à
le rendre habitable. Les intervention à réaliser dépendent bien entendu de chaque site. On trouvera ici http://perou-risorangis.blogspot.fr et ici http://www.perou-paris.org des exemples d’interventions sur des bidonvilles. Le ramassage des déchets, l’accès à l’eau et à l’électricité sont aussi des apports élémentaires et essentiels de la collectivité locale.
Complémentaire de l’intervention sur les lieux de vie, tout aussi nécessaire est l’accès à la
ville, aux ressources et aux services qu’elle offre.
Du bidonville à la ville
Dans la Grèce classique, l’étranger est celui qu’on accueille dans sa maison, qu’on fait asseoir, à qui on offre de quoi se restaurer et se rafraichir, puis, lorsqu’il s’est restauré et rafraichi, qu’on écoute. L’étranger est celui qui enrichit la maison par le récit qu’il fait des mondes dont il vient et qu’il a traversés.
La rencontre entre le bidonville et la ville, par laquelle celui-ci doit disparaître dans celle-là, passe aussi par une évolution du regard. Regard porté sur ces étrangers que l’on qualifie de migrants ». Mais aussi regard que Calais porte sur elle-même. Calais ville portuaire, dont le développement industriel est lié à un produit vendu à l’exportation. Calais a port aujourd’hui cerné de grilles, dont on sort par une autoroute qui évite soigneusement la ville en la contournant. Une ville en perte de dynamisme, dont le lien avec le monde, qui a fait son identité, a été sorti d’elle- même et lui tourne maintenant le dos.
Il y a donc deux questions intimement liées, celle de l’ouverture de Calais sur le monde et celle de l’accueil fait à ces étrangers présents sur son sol. Et il s’agit moins vis-à-vis de ces étrangers de mettre en place une aide sociale s’adressant à une catégorie d’exclus, que de restaurer à travers leur accueil un lien avec le monde.
S’inscrire dans le territoire
De fait les exilés sont à l’intersection de deux catégories. Celle des étrangers, nombreux parmi les presque 20 millions de personnes qui transitent par le Calaisis sur le chemin entre les Iles britanniques et le continent, dont il est souhaitable en terme de développement qu’ils s’attardent à Calais. L’adaptation de la ville à leur présence se joue en terme de langue et d’orientation dans une ville où l’on n’a pas de repères. Tout projet de ville qui intégrera l’accueil des étrangers de passage, l’accessibilité de la ville et des réponses à leurs besoins pendant leur séjour, améliorera la situation spécifique des exilés.
L’autre catégorie est celle des personnes en situation de précarité. Là encore, toute réponse à la question de leur accès à la ville, à ses services et aux réponses à leurs besoins bénéficiera aux exilés. Et cette question est indissociable d’un projet de ville et de choix de vivre ensemble.
Dans certains domaines, Calais peut bénéficier des atouts de ses handicaps. Conséquence de la crise, près de 10% des logements sont vacants, dont la moitié depuis plus d’un an. Des bâtiments à vocation économique sont également inutilisés. Autant d’espaces vacants qui peuvent répondre à des besoins ou des projets. Une partie sont la propriété d’acteurs publics. Le mode de gestion de ce parc vacant pourra éventuellement s’inspirer d’exemples d’autres pays, comme les Pays-Bas.
Bien sûr, ces espaces ne sont pas toujours disponibles ou habitables sans remise en état. Leur utilisation par exemple pour l’accueil et l’hébergement des exilés implique également d’autres coûts, équipement, personnel, fonctionnement. C’est là que doit se trouver notamment l’articulation avec les dispositifs de droit commun (accueil des demandeurs d’asile, hébergement d’urgence inconditionnel, protection de l’enfance), supposant l’allocation de budgets. Mais des compléments peuvent être recherchés, liés au caractère plus ou moins novateur des solutions qui seront mises en place, et de la dimension européenne de la question.
Ce n’est pas à la commune d’assumer la « prise en charge » des exilés sur son territoire, cela revient à des dispositifs de droit commun du ressort d’autres niveaux d’organisation administrative, principalement l’État et le département. Sachant qu’il s’agit d’assumer les conséquences de décisions qui dépassent le cadre national, à savoir que des gens se trouvent bloqués à l’entrée d’un autre pays.
Mais, depuis la création de conditions élémentaires de stabilité et de salubrité des lieux de vie, jusqu’à l’incitation et la facilitation de la la mise en œuvre des dispositifs de droit commun, en passant par l’inclusion des personnes exilées, de leur présence et de leurs besoins, dans un projet de territoire, elle a un rôle clé à jouer. Qui ne peut être qu’à l’avantage du territoire, par la baisse d’une conflictualité plaquée sur le terrain local tout d’abord, mais surtout parce que les réponses mises en œuvre en lien avec cette population particulière, mises en perspectives, bénéficieront aussi à d’autres populations, sédentaires et de passage.
La question est donc celle d’un projet de territoire au bénéfice des populations qui l’habitent de manière durable ou éphémère. Et la situation actuelle des exilés est alors le symptôme d’une panne de projet qui laisse une partie de la population sur le bord du chemin.
[Publié le 24 mars 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]