L’ancien aéroport d’Athènes, abandonné depuis 2001, est devenu un terrain d’expérimentations sociales et écologiques : dispensaire et épicerie solidaires, jardin autogéré, oliveraie « participative » de plus de 2 000 arbres ont trouvé refuge sur cet immense espace. Mais l’État grec vient de vendre le terrain à un promoteur immobilier. Dont le projet de luxueuse zone touristique est incompatible avec les alternatives qui ont fleuri. Devront-elles céder la place à une résidence pour nouveaux riches ?
L’ancien aéroport d’Athènes est coincé entre mer et montage. Niché parmi des quartiers résidentiels du sud de l’agglomération, il a été abandonné en mars 2001 au profit d’un aéroport plus grand et neuf installé sur la plaine fertile du Nord de la ville. Ce terrain de 623 hectares a également servi aux Jeux Olympiques de 2004. Sur cet espace, aujourd’hui entouré de barbelés et gardé par des entreprises de sécurité, se construisent depuis plusieurs années les résistances et les initiatives d’une ville en crise.
Elliniko est un filet, comme on dit en grec pour qualifier un terrain convoité. Malgré cela, « les installations sportives, les bâtiments construits à l’occasion des Jeux Olympiques de 2004 et même des hangars construits pour accueillir des expositions, ont été sciemment laissées à l’abandon par les différents gouvernements », déplore Nikos Belavilas, professeur émérite d’urbanisme à l’Ecole Polytechnique. Les pouvoirs publics avaient pourtant promis qu’un parc « métropolitain » devait voir le jour sur cette immense friche.
Les raisons ne manquent pas : la capitale grecque est une ville tentaculaire qui compte près de la moitié de la population grecque (entre 4 et 5 millions d’habitants). Elle fut construite suite à l’énorme exode rural d’après-guerre. « Athènes compte le moins d’espaces verts par habitant au mètre carré en Europe », indique Natassa Tsironi, architecte et militante de l’Initiative pour un parc métropolitain à Elliniko. Mais, les uns après les autres, les différents gouvernements ont repoussé la réalisation de ce « poumon vert » d’Athènes, en aiguisant la convoitise des promoteurs.
Liquidation des biens publics, bradés au plus offrant
Dans le but d’augmenter ses recettes, l’État grec cherchait à se séparer des terres de Elliniko : plus de 600 hectares, avec 480 bâtiments, sans oublier la plage, le port de plaisance et les antiquités qui s’y trouvent. Le tout pour moins d’un milliard d’euros. « L’équivalent de la vente de 100 à 300 villas luxueuses avec vue sur mer », note Nikos Belavilas lors d’une réunion publique en faveur du parc métropolitain. Mais la vente de l’ancien aéroport d’Athènes à Spyros Latsis, plus grande fortune grecque, par le biais d’une « caisse des dénationalisations », nommée Taiped, s’inscrit dans un processus plus large. Pour rembourser les intérêts d’une dette jugée illégitime par une grande partie de la population grecque [1], la Troïka (Commission européenne, FMI et banque centrale européenne) oblige à vendre le patrimoine du pays (lire notre enquête).
« Le gouvernement et les promoteurs immobiliers souhaitent la construction d’une riviera pour accueillir les nouveaux riches de ce monde », s’insurge Panos Totsikas, militant et urbaniste. « Ils rêvent de milliers de logements privés, de centres commerciaux et de casinos, d’hôtels de luxe et de ports de plaisance pour les yachts. » Un sort qui n’est pas réservé uniquement à Elliniko : désormais 60 km de littoral, du cap Sounion au port d’Éleusine, sont concernés. Selon Michalis Mbourgos, ingénieur et militant écologiste, on ne peut pas comprendre ce processus sans le lier aux attaques contre les droits sociaux : « L’objectif des investisseurs est de maximiser les profits : sans réglementation et compensation environnementale, l’exploitation de certaines ressources dévient profitable. A cela il faut ajouter la baisse du coût d’une main d’œuvre très qualifiée ».
Résistances, d’Elliniko à Notre-Dame-des-Landes
Pour les résistants d’Elliniko et les quatre mairies limitrophes qui s’opposent à ce projet, les arguments ne manquent pas. Ils craignent un impact défavorable sur l’économie fragile du quartier, sur le marché immobilier qui pourrait s’effondrer comme en Espagne, ou sur l’environnement terrestre et marin déjà fortement impacté par l’urbanisation. Certains économistes inquiets face à l’ampleur du projet gouvernemental, évoquent aussi le problème de la dette qui risque d’augmenter quand l’État devra assumer les investissements colossaux nécessaires pour l’achèvement de cette riviera athénienne.
Mais pour Natassa Tsironi, riveraine, présente à Notre-Dame-des-Landes lors du Forum européen des grands projets inutiles, il ne faut pas céder à la propagande gouvernementale : « C’est toujours la même chose, que ce soit à Notre-Dame-des-Landes, à Iérissos [lieu d’une importante lutte contre des mines d’or dans le nord de la Grèce, ndlr] ou à Elliniko : on nous sert l’argument de l’emploi. Pour quelques postes précaires, mal payés et incertains, nous devrions accepter de détruire les emplois déjà existants, et de sacrifier les communs gratuits et accessibles à tous… Après, il ne nous restera rien ! »
Alternatives agricoles et sociales
Plusieurs structures de solidarité ont trouvé refuge sur cet immense espace. Le dispensaire « métropolitain » de santé et l’épicerie solidaire tentent de combler provisoirement les besoins sanitaires et alimentaires d’une population de plus en plus pauvre. Un peu plus loin, on découvre une oliveraie qui compte plus de 2 000 arbres plantés et arrosés avec le soutien de la mairie, des citoyens et des écoles des communes limitrophes. « Le but est d’occuper les terres autrement, et d’impliquer les riverains, explique Panos Totsikas. On espère pouvoir recommencer à planter des arbres, mais on manque de terres, les entreprises de sécurité nous mettent des bâtons dans les roues ».
Le « Jardin autogéré de Elliniko » que l’on découvre près d’une ancienne base militaire américaine, est encore plus ambitieux. « Nous avons voulu occuper les terres et leur donner une nouvelle fonction. Les cultiver pour retrouver nos racines paysannes. Et plus d’autonomie économique et alimentaire dans la vie citadine, dans le cadre de l’économie sociale et solidaire », explique Kostas, qui est au potager presque tous les jours. L’expérience est frappante : en poussant la porte d’entrée, c’est dans un petit paradis de légumes que l’on entre. « Ici nous travaillons sans hybrides. Enfin on essaye ! La tomate vient de l’Attique, c’est une variété d’ici, elle est très bonne et productive ».
Sur cette ancienne friche de 2 500 m2, les différentes variétés et espèces cultivées côtoient la flore sauvage et les gravats : de l’ail des ours, des herbes aromatiques, des carottes et des aubergines, des haricots verts et quelques épis de maïs. Tester les méthodes alternatives, « cela va de soi, cela fait partie du même projet politique. On fait de l’agroécologie, on teste l’empaillage et les variétés locales, sans engrais et sans pesticides », affirme Panagiota Maltezou, porte-parole du jardin autogéré et agronome de formation.
Construire un espace vert, lieu de rencontre et de créativité
Cultiver la terre, même en ville, semble être un casse-tête. Accueillir des animaux pour avoir du bon fumier, trouver des semences et des plants fiables, installer des ruches… « Il faut que quelqu’un s’en occupe tous les jours », avoue Kostas. Mais faire « paysan sans terres et sans débouché » n’est pas dans ses projets, malgré ses trois années de chômage. La situation est devenue compliquée, dans un pays où la formation et le conseil agricole se désintègrent, où le gouvernement oriente les nouveaux agriculteurs vers des projets sans lendemain, et où les circuits de proximité restent peu fiables.
Dans un ultime effort pour convaincre les pouvoirs publics, le collectif des habitants a commandité auprès d’un laboratoire de recherche de l’Ecole Polytechnique une étude pour évaluer la faisabilité du « parc métropolitain ». Avec un coût d’investissement très faible, financé par les revenus de certaines installations existantes, le parc métropolitain pourrait ouvrir ses portes immédiatement, et dans dix ou vingt ans être complètement fonctionnel.
L’idée : conserver et améliorer les installations existantes, y implanter des musées, des théâtres, des lieux artistiques et des centres de formation et de recherche, en valorisant les bâtiments administratifs existants et les équipements sportifs. Évidemment, l’objectif est d’augmenter les espaces verts arborés, et d’accueillir des cultures en privilégiant des variétés locales, et en renonçant à toute nouvelle construction. 400 000 mètres carrés sont en effet déjà bâtis dans Elliniko. Le parc, gratuit, serait un lieu de rencontre et devrait attirer plusieurs milliers de visiteurs. Lors d’une journée de présentation de ce projet, tout le monde avouait avec amertume que la seule chose qui empêchait la réalisation de ce parc était le manque de volonté politique. Les résistants vont devoir désormais affronter un nouveau problème : le promoteur immobilier grec Lamda Development vient d’acquérir un tiers des surfaces d’Elliniko et la totalité des parts de la société gestionnaire.
Roxanne Mitralias
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[Publié le 10 avril par Basta!]