« Priorité au logement ! » (dixit le maire Alain Millot, dans une interview au Bien Public ce même 1er septembre 2014): pour 500 000 euros, la mairie saccage une maison vide aux Lentillères.
En ce lundi matin du 1er septembre, nous nous sommes réuni-e-s à une bonne trentaine pour prendre le petit-déjeuner dès 7h30 devant la maison du 10 rue Amiral Pierre, dans le quartier libre des Lentillères.
Alerté-e-s par la présence d’un tractopelle devant la batisse depuis quelques jours, nous refusions de le voir venir détruire des murs qui pourraient regorger d’âmes et de vies. Vide depuis plusieurs mois après avoir été loué à l’équipe locale de hockey sur glace, la demeure appartient à la mairie et aucun projet n’y est prévu avant 2018. Elle avait été rachetée 5 ans auparavant pour 500 000 euros. Depuis le départ des sportifs, une société de sécurité privée venait régulièrement vérifier que personne ne venait s’installer là. Visiblement, cela n’était pas suffisant puisque l’entreprise Vigot fut commanditée pour détruire la maison.
Café, croissants, thé sont là pour accueillir les ouvriers ce lundi matin. Pris de court, ils sont d’abord agacés en constatant que les vitres de leur grosse machine avaient été précédemment décorée de couleurs plus chatoyantes que celles d’origine. Qu’à cela ne tienne, ils démontent eux-mêmes une partie du matériel et commencent à faire bouger les grandes dents du tractopelle. Au bout de quelques secondes, diverses personnes montent sur le bras de l’engin, qui provoque une réaction bienheureuse à l’occupant de la cabine : s’arrêter, boire un café, discuter. Peut-être que le désir de briser des murs qui pourraient servir ne l’habite finalement pas tant que ça. Son collègue, par contre, part se défouler avec un pied de biche, histoire de démonter l’intérieur de la maison, à la main, à l’ancienne. Au même moment, un camion-benne déplacé pour emporter les gravats est stoppé par quelques poubelles en travers de la route un peu plus bas dans la rue.
Puis, c’est le bal des arrivées.
Tout d’abord, la patronne de l’entreprise se pointe, nous livre quelques banalités sur le fait qu’il faut bien travailler pour vivre et qu’elle exécute une commande. Elle ordonne à ses ouvriers de continuer la destruction de la maison tandis que des gens sont montés sur la pelle ; ceux-ci s’arrêtent, fort heureusement, pour ne pas risquer de blesser gravement quelqu’un.
Ensuite, un policier en civil armé de son talkie. Pour l’anecdote, moment d’inquiétude quand il s’aperçoit que ses larbins tentant de monter dans les appartements de l’immeuble voisin pour nous prendre en photo se sont faits mettre dehors par une dame du quartier. On voit aussi passer l’adjoint à la tranquillité publique de la mairie de Dijon, venu constater que le chantier était bel et bien bloqué.
Enfin, vers 11h30 l’armada policière en tenue anti-émeutes, gazeuses et matraques à la main. Quelques rapides échauffourées plus tard, nous nous retrouvons avec un blessé, la cheville enflée suite à un coup de matraque. Mais fort heureusement, la pelleteuse s’était arrêtée juste avant la charge après seulement quelques minutes de fonctionnement. Après inspection, le conducteur semble découvrir que le réservoir avait été saboté ! Les flics sont ensuite restés sur place pour garder tout ça. Ensuite, la machine remise en route après quelques réparations n’a laissé au soir qu’un maigre pan de mur.
Dans la presse locale, la Mairie justifie la destruction de la maison en avançant qu’il y aurait présence d’amiante… Excuse opportune puisqu’elle la louait depuis plusieurs années aux hockeyeurs professionnels locaux. Ce matin les ouvriers de l’entreprise Vigot n’avaient de toute façon ni équipement adapté, ni consigne de destruction particulière. Par ailleurs la Mairie ne disposait même pas d’un permis de démolir.
Pour rappel, en 2010, la municipalité avait fait expulser les occupant-e-s d’une villa, puis démoli cette grande maison, qu’elle venait de racheter – elle aussi – pour 500 000 euros. Deux ans plus tard, elle venait creuser des trous béants pour empêcher l’installation d’une ferme maraîchère. Depuis, le Jardin des Maraîchers et un parc de quartier, accueillant amphitéâtre, bâteau-pirate et terrain de pétanque ont remplacé ces saccages municipaux. En 2013, la mairie mettait 150 demandeur-se-s d’asile à la rue en expulsant un grand bâtiment rue Bertillon. Depuis, celles et ceux-ci ont réinvesti l’ancien pôle emploi situé rue René Coty.
La municipalité a montré ce matin une fois de plus qu’elle ne veut laisser aucune place à la vie de quartier – jardins, habitats, marchés et autres activités – qui se développe depuis plusieurs années sur les Lentillères. Au-delà et partout à Dijon, nous nous opposons aux politiques d’urbanisme en cours, ainsi qu’aux expulsions des précaires et maisons vides. Pour résoudre les problèmes de logement accessible à tous et toutes, nous rappelons qu’il y a plusieurs milliers de logements laissés vides dans l’agglomération dijonnaise. Cette idée a en tout cas traversé l’esprit de nombreux voisin-e-s rencontrés devant les ruines de la maison au cours de cette journée.
Des habitant-e-s et jardinier-e-s des Lentillères
[Publié le 4 septembre 2014 sur le site du Jardin des Maraîchers.]