Mardi 20 janvier 2015 : rendu de justice, 24h pour se trouver un bout de trottoir.
Quand la solidarité, la lutte contre l’endoctrinement agonisent à Montpellier.
UTOPIA 001, c’était le rêve de pouvoir construire un projet entre précarisés, travailleurs sans domicile, familles réfugiées, étudiants. Le but étant de pouvoir prendre soin les uns des autres, de se former, s’informer, et subvenir solidairement à nos besoins fondamentaux : Un accès au logement, à la santé, à l’alimentation, à la culture, à un travail.
Les hébergements d’urgences sont saturés, en incapacité structurelle de prendre en compte des gens qui devraient rentrer dans leurs dispositifs ; qui souhaitent s’en sortir ensemble avec le soutien de la société civile. « Pour ne pas crever, garder notre dignité et faire notre devoir de citoyen ». Accès à la langue française, échange des savoirs, des expériences, des pratiques : tant de choses qui amènent des gens de tous horizons à se comprendre. Mais aussi interagir et réussir à exercer leurs responsabilités citoyennes.
L’expérience d’UTOPIA 001 avait pourtant démontré l’intérêt de telles pratiques, et espaces de vies. Nous étions dans les locaux de l’ordre des avocats, ce que nous pouvions y faire participait à sauver des vies.
UTOPIA 002 – Dans les locaux de l’ancienne Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales, située au 85 avenue d’Assas. Nous, les 80 personnes rejetées à la rue le 23 octobre 2014, à l’approche de la trêve hivernale (1er novembre – 31 mars). Après avoir passé un mois d’errance auprès de notre réseau d’une nuit sur l’autre, à droite ou à gauche. C’est un nouveau départ. Les cours de langue reprennent, des répétitions, des ateliers, pourquoi pas des cours d’écriture, certains envisagent même de raccrocher avec des formations diplômantes. On était en survie, on essaie à nouveau de s’en sortir, de nouveau ensemble.
De plus, c’est un bâtiment public, on ne gêne personne. Comme à notre habitude, nous avons sympathisé avec les habitants du quartier. Confrontés à la justice, nous sommes encore naïfs, on s’imagine que celle-ci est équitable. Et que du fait de notre précarité, on nous laisserait le temps pour pouvoir nous défendre. Premièrement d’avoir droit à un procès juste (pendant les fêtes, donc des avocats en vacances). Préparer correctement une défense. Produire 35 dossiers juridiques justifiant de la situation de chacun par 10 degrés à l’intérieur des murs de la DDASS est un vrai challenge. Malgré cela, nous restions naïfs, se disant quand même qu’on se ferait pas foutre dehors durant les mois de janvier/février…
Finalement comme pour le Très Très Grand Cœur expulsé le 25 janvier 2012, les choses n’avancent pas… Le TTGC aujourd’hui toujours vide et muré.
Les populations précarisées et marginalisées aujourd’hui, subissent toujours plus d’insultes et d’amalgames. Quand on bosse 39h par semaine, qu’on n’atteint pas le Smic, qu’on soit : sans domicile fixe, mal-logés, ou en insécurité permanente nous sommes toujours victimes de la stigmatisation, des préjugés et de l’indifférence. Parfois tout à la fois, voila le courage quotidien et l’effort permanent qui nous est demandé ! Et ce, en gardant la tête baissée, s’il vous plaît !
On a participé à la manifestation du choc, puis à celle contre l’islamophobie, vous l’avez compris nous sommes de tous les combats, contre toutes les formes de discrimination et d’exclusion. Nous avons eu à rencontrer pleins de gens, bien intentionnés ou pas !
Mardi 20 janvier 2015, rendu de justice, on a 24h pour se trouver un bout de trottoir.
Ensuite, les larmes, le sang, l’abandon, la faim, la maladie de nouveau (la dernière expulsion avait entraîné une épidémie de gale). Promis, on va essayer de continuer à vous aimer, vous les gens qui dites comprendre et soutenir, qui par votre action ou inaction vont à nouveau permettre un drame. On va sans doute encore perdre des camarades, trop malades pour continuer, trop déçus pour croire encore en notre société ou trop en colère pour vous comprendre.
Relayez, informez, enquêtez. Nous montons sur l’échafaud à nouveau car nous essayons de vivre en prenant soin les uns des autres. Nous montons sur l’échafaud à nouveau car on rend visible les carences de l’Etat. Nous montons sur l’échafaud à nouveau car on veut rester digne, la tête droite. Nous montons sur l’échafaud à nouveau car des précaires qui se forment, s’organisent, qui sollicitent de l’aide, créent des associations d’entraide, ça dérange…
Nos alternatives pour la suite :
Quel logement pour les travailleurs hébergés chez nous qui ne peuvent pas réunir les sommes d’argent pour prétendre, prétendre à un logement aujourd’hui ?
Ou les étudiants qui n’ont pas les parents derrière eux, avec ou sans travail en plus de leurs études ?
Ou ces jeunes, venus chercher un projet, animer leurs envies et qui ont trouvé un cadre respectueux, et de non-violence ?
Ces personnes, qui ont lancé des démarches d’accès à la santé, à leurs droits, à un logement, parce qu’ils avaient pu se reposer en sécurité, prendre le temps pour une fois de pouvoir accomplir ces démarches sans une épée de Damoclès au-dessus de la tête ?
Comment va-t-on manger demain ? Comment va-t-on survivre demain ?
Cette bataille pour la responsabilisation, l’émancipation et l’accès à l’autonomie des gens exclus et précarisés est encore une fois condamnée à subir l’incapacité des pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités face à la situation alarmante du mal-logement en France. Certains vont de nouveau devoir demander la charité. D’autres ne pourront plus s’organiser pour récupérer de la nourriture, ou mutualiser pour subvenir à leurs besoins ; ne pourront plus se former pour créer des associations productrices d’emploi. Et ceux qui ne peuvent accepter le regard de celui qui donne, ils voleront, feront une activité illégale pour subvenir à leurs besoins ou mourront de faim et on les retrouvera et on les pleurera comme des martyrs.
Nous avons été jugés, sans pouvoir nous défendre de manière équitable comme le prévoit l’article 6 de la CEDH. Nous n’avons pu avoir le temps de préparer un argumentaire, ni de conclusions qui puissent être portés par un avocat. Il est fait état de l’urgence pour nous faire libérer les lieux. Quand on sait que ce bâtiment est l’ancienne Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales laissé à l’abandon depuis 7 ans, on ne voit pas vraiment où se situe l’urgence d’une telle décision dans la période hivernale dans laquelle nous sommes…
De nouveau, pour avoir montré les incohérences de nos dispositifs d’urgences sociales ; pour avoir rendu existantes des personnes invisibles de ces mêmes dispositifs. Pour avoir montré au grand jour l’abandon qualifié de bâtiments appartenant aux collectivités territoriales… Pour avoir tenté d’interpeller sur ce sujet l’ensemble des pouvoirs publics en charge de ces questions… Pour avoir réussi à apporter un cadre apaisant et continu à des populations marginalisées et exclues… Pour avoir redonné de l’espoir à des personnes qui n’y croyaient plus ; on nous traite en criminels… Où donc la justice s’exprime-t-elle ?