Le 4 février 2006 (d’où le nom de 4F), à Barcelone, la police attaque un squat de la rue Sant Pere Més Baix, dans le quartier de Santa Caterin, pour faire cesser un tapage nocturne lors d’une grosse fête ayant lieu à l’intérieur du squat. Les flics tabassent du monde dans la rue, tirent à balles réelles à trois reprises. Un flic reçoit sur la tête un pot de fleurs tombé d’une fenêtre et se retrouve dans le coma. Dans la rue, sept personnes sont arrêtées et inculpées, alors qu’étant hors du squat au moment des faits elles ne pouvaient être responsables de la chute du fameux pot de fleurs… Deux autres personnes sont arrêtées au service des urgences d’un hôpital de Barcelone situé relativement près du squat.
Sur les neuf personnes inculpées, seuls Juan, Alex et Rodrigo ont été incarcérés en détention provisoire jusqu’au procès. Les autres (Alfredo, Patricia, Jordi, Alejandro, Heike et Silvia) ont été laissé-e-s « libres », avec l’obligation de se présenter tous les quinze jours devant le tribunal et l’interdiction de quitter le pays.
Le procès s’est tenu près de deux ans plus tard, en janvier 2008. Les trois détenus ont été libérés quelques jours après le procès, lors duquel des condamnations ont été prononcées, mais bien moins lourdes que celles demandées par le proc’ (qui demandait pour les neuf inculpé-e-s entre deux et onze ans de prison). Rodrigo a été condamné à quatre ans et demi, Juan et Alex à trois ans et trois mois de prison chacun.
Plusieurs rassemblements, manifs et actions de solidarité avaient eu lieu dès le lendemain des arrestations, jusqu’à la libération des trois personnes incarcérées, début 2008, puis lors de la poursuite de la procédure.
Un recours en appel auprès du Tribunal supérieur a été effectué. Ce tribunal a augmenté le temps de prison en juin 2009 et alors que personne n’était retourné en prison, cette décision fut exécutoire. Les nouvelles condamnations étaient les suivantes: cinq ans pour Rodrigo ; trois ans, six mois et un jour pour Juan et Alex ; trois ans et trois mois pour Alfredo ; trois ans et un mois pour Patricia ; et pour les autres, aucun changement: un an de prison. Jordi, Alejandro, Heike et Silvia n’ont pas été incarcéré-e-s parce que leurs condamnations étaient inférieures à deux ans et qu’ils et elles n’avaient pas d’antécédent judiciaire.
En 2009, Alfredo, Patricia et Rodrigo ont déposé des recours en grâce, mais seul Alfredo en a bénéficié et a pu échapper à la prison.
Donc, Alex et Juan ont fait au total deux ans (2006-2008) et trois mois (de décembre 2009 à mars 2010) de prison ferme. Puis, ils ont pu sortir quelques week-ends pendant les trois mois qui suivirent (mars, avril, mai 2010) et après ils ont obtenu un régime de « semi-liberté » (autorisation de sortie le jour pour aller travailler…) pendant un an. Ils sont sortis de prison définitivement en juillet et en août 2011.
Patricia a fait deux mois de prison ferme d’octobre à décembre 2010. Puis, elle a obtenu elle aussi un régime de « semi-liberté », pendant 4 mois. Elle a travaillé comme serveuse dans une cafétéria, jusqu’à sa mort en avril 2011.
Rodrigo a presque fait les cinq ans de prison effective: deux ans de préventive (2006-2008), et presque trois ans de plus. Il a été emprisonné à nouveau de décembre 2009 jusqu’en 2012. En avril 2012, il a obtenu le régime de « semi-liberté » pendant lequel il a pu sortir pendant trois mois pour travailler au journal La Directa – une publication hebdomadaire alternative. Mais en juin 2012, un fonctionnaire visite par surprise son lieu de travail, et Rodrigo n’étant pas présent il retourna en prison jusqu’à sa libération totale en décembre 2012.
Le 26 avril 2011, Patricia se suicide. La manif du 1er mai qui suit vire à l’émeute dans des quartiers bourgeois de Barcelone, de nombreux slogans y sont scandés en mémoire de Patricia.
Depuis tout ce temps, l’état de santé du flic blessé n’a toujours pas été clairement rendu public. Nous savons qu’il a passé au moins deux mois dans un coma artificiel, à cause d’une lésion cérébrale grave, qu’il est ensuite passé par des soins dans un hôpital spécial. Aujourd’hui, il est tétraplégique et ne serait pas capable de parler ou de communiquer.
En janvier 2015, le documentaire Ciutat Morta passe à la télé en Espagne. Il revient sur l’histoire du 4F mais bien qu’il se pose en solidarité avec les inculpé-e-s/condamné-e-s, il met aussi en place un discours assez polémique qui vise à opposer les innocent-e-s condamné-e-s à tort (Patricia y est notamment présentée comme une sorte d’artiste apolitique) aux vrais méchants coupables impunis…
Il y a pourtant peu de « chances » que l’affaire soit rejugée ou revue. La première option signifierait un nouveau procès, et pour la deuxième il s’agirait d’une révision de tout ce qu’il y a déjà dans l’affaire. Les deux peuvent entraîner des conséquences (légales, économiques…) pour tou-te-s les accusé-e-s et éventuellement pour une autre personne. Une des conditions juridiques serait la présentation de nouvelles preuves à décharge, par exemple l’incrimination d’un « vrai coupable ». C’est le Ministère public qui en déciderait alors. D’une part, la mairie de Barcelone – qui a été partie civile dans l’affaire – a présenté une demande de réouverture du procès en présentant la vidéo Ciutat Morta au Ministère public, après le succès du documentaire à la télévision ; l’assemblée des députés de Catalogne a aussi envoyé une demande pour la révision des condamnations. Le Ministère public a rejeté toutes les pétitions jusqu’à maintenant, en revanche, il a demandé la révision des compte bancaires et tout ce qui concerne les biens économiques des inculpé-e-s afin de savoir s’ils/elles sont encore insolvables pour leur faire payer les frais de justice et/ou les indemnisations des policiers.
D’autre part, Gonzalo Boye Tuset, l’avocat de Rodrigo, a affirmé le 4 février 2015 avoir tous les éléments pour trouver le vrai coupable et lui a demandé publiquement (dans une émission de radio) de se présenter volontairement. Il lui a aussi rappelé que le délai de prescription du délit est en février 2016. Dans cette émission, il explique les mécanismes juridiques et leurs objectifs, qui consistent à démontrer l’innocence de Rodrigo (cela n’innocenterait pas pour autant tout le monde puisque Juan a été accusé de crier contre les flics et d’inciter à la violence, Alex d’avoir jeté une pierre sur la police, Alfredo et Patricia d’avoir attaqué un autre flic – qui leur demande une indemnisation –, les autres d’avoir lancé divers objets – des bouteilles, canettes, etc. – et ils/elles sont aussi accusé-e-s d’avoir tenté de libérer Juan pendant son arrestation). Il y a toutefois un intérêt à faire annuler la forte amende/indemnisation d’un million d’euros que Rodrigo, Alex et Juan ont été condamnés à payer à la famille du flic… Mais à quel « prix » ?
Alors que des rassemblements et manifs ont à nouveau lieu en solidarité avec les condamné-e-s du 4F, deux textes critiques sont publiés, et traduits ci-dessous de l’espagnol.
Communiqué de Juan Pintos, arrêté/incarcéré/condamné suite au montage du 4F (26 janvier 2015)
Devant tout le battage médiatique produit par la projection de « Ciutat Morta » à la télévision publique catalane, en tant que mis en examen / incarcéré / condamné par le montage policier du 4F, je crois qu’il est nécessaire que je donne mon avis par rapport à la réouverture du dossier, à la recherche de responsables et/ou coupables et à la relation avec les médias.
L’intérêt que j’ai à dire clairement ma position est dû notamment à ce qui s’est passé ces derniers jours, avec des déclarations dans les médias (de masse ou alternatifs) à propos de l’existence d’un « vrai coupable » ou de la recherche des responsables politiques/judiciaires /policiers concrets, avec leurs noms et prénoms. Ces déclarations, je ne les partage pas et pourtant plusieurs fois, par manque de rigueur ou par manipulation, elles ont été énoncées comme étant la position des « condamné-e-s du 4F ».
Je crois malheureusement que le 4F ne fait pas exception à la normalité policière et juridique, mais est une démonstration du fonctionnement normal des institutions. Les montages se répètent, avec différents protagonistes, tout le temps, que ce soit pour criminaliser un mouvement, pour justifier de nouvelles lois sécuritaires ou tout simplement pour que continue d’être rentable le réseau entreprise/prison.
Et dans cette situation, chercher les prétendu-e-s responsables du 4F c’est demander au système, qui est par définition injuste et violent, de se désigner lui-même, quelque chose qui, à mon humble avis, n’arrivera pas. Ou pire, c’est de donner l’occasion aux institutions de se défausser de leurs responsabilités, de mettre de côté les « pommes pourries » qui empêchent le fonctionnement correct et impartial de la police, de la justice et de la politique.
Faire cela, c’est ériger une fois de plus l’État en tant que garant et gardien de « ce qui est juste » et de « la vérité« , alors qu’en réalité c’est l’État lui-même qui fonctionne et se maintient grâce aux tortures, aux emprisonnements et la violence de ses forces armées. Que peut-on gagner à licencier un politique? Que peut-on gagner avec deux policiers emprisonnés? Que peut-on gagner à éloigner une juge de ses fonctions?
Je crois sincèrement que rien d’autre qu’un peu de satisfaction personnelle ne peut être obtenu, et celle-ci m’est étrangère. Quelqu’un occupera ce poste et continuera à assurer le même fonctionnement de l’institution, d’autres policiers patrouilleront dans les rues, d’autres juges dicteront des peines d’emprisonnement.
Je ne veux pas, et je n’ai pas le besoin que le même système qui nous a arrêté-e-s, torturé-e-s, jugé-e-s et condamné-e-s soit désormais légitimé en tant que garant de la vérité et de la justice. Je pense que personnaliser la responsabilité du montage qui nous a emprisonné-e-s, c’est une façon de nier la réalité du système dans lequel nous vivons, dans lequel les arrestations arbitraires, les passages à tabac et les jugements avec condamnation sont la norme plutôt que l’exception.
Je ne veux pas, et je n’ai pas le besoin de voir plus de gens en prison. Je ne veux pas échanger la possibilité d’une remise en cause radicale, peut-être moins commerciale, mais infiniment plus utile, contre plus de minutes à l’antenne, contre plus de lignes dans leurs journaux, même contre plus de promesses « d’enquête ».
Je pense qu’il est temps de relier tous les montages réalisés par l’État et de réaliser, qui ne l’a pas encore fait, que la réalité c’est que l’État (qu’il soit espagnol, catalan ou ce que vous voudrez) est responsable de tous les emprisonnements, de toutes les tortures et de toutes les humiliations subies chaque jour par un nombre impressionnant de personnes.
Opération Pandora, Alfon, Monica et Francisco, 4F, 9F, Núria, le procès de Torà, les migrant-e-s dans les CIE (centres de rétention administrative) et on pourrait continuer indéfiniment, ce ne sont pas des cas isolés; c’est le comportement d’un système criminel, et lui demander une explication c’est jouer une partie qui est perdue d’avance.
Les réponses sont dans la rue, dans l’organisation par affinité, dans le rejet pratique et quotidien des structures de pouvoir et d’abus, et pas dans les plateaux télé, dans les palais de justice ou dans la bouche du représentant de l’État.
Tant que le 4F ou n’importe quel autre cas sera vécu et présenté comme une anecdote, comme la victimisation de telle ou telle personne en particulier, il sera impossible de remettre en question l’ensemble du problème, et donc on arrivera seulement à des «solutions» partielles et fausses depuis le début qui continueront à renforcer l’État dans son rôle de médiateur, de protecteur et de gardien de la citoyenneté. Je crois que la seule façon pour que ces situations ne se répètent pas c’est de mettre de côté les egos, la victimisation et la nécessité d’une vengeance personnalisée.
Je comprends – et je ne suis pas celui qui le remettra en question – qu’il existe une variété de positions à propos du 4F. Cependant je crois qu’il est nécessaire de préciser que je ne me sens pas le moins du monde représenté dans le cheminement de ces derniers temps, du moins depuis la diffusion du film « Ciutat Morta » sur TV3.
Je pense qu’avoir connaissance de la pourriture complète et totale des institutions devrait être un outil pour que les questionnements se fassent globaux, c’est-à-dire qu’avoir la certitude que les institutions fonctionnent de cette façon devrait être le principe des approches radicales qui cherchent un changement complet au niveau social, pas une excuse pour l’inaction ou la passivité.
Ma position est crue et critique à l’égard du système en général, ce n’est pas un appel à la démission, mais à une radicalisation des pratiques quotidiennes qui existent en dehors de ces structures, à la croissance des espaces qui échappent au contrôle de l’État, et je crois qu’il est nécessaire de s’engager dans toutes les fissures du système afin de les approfondir, jusqu’à ce que la situation ne soit plus viable pour lui.
Cela dit, je ne peux que demander votre solidarité active avec toutes les personnes qui souffrent – en ce moment – de l’isolement, l’abus et l’emprisonnement pour défendre leurs idées.
La liberté pour tou-te-s ou la liberté pour personne.
Salut.
Juan Pintos, arrêté / incarcéré / condamné par le montage 4F
4F: Quand une image ne vaut pas plus que mille mots (2 février 2015)
En tant que premier collectif de soutien aux emprisonné-e-s du 4F nous voulons répondre aux arguments du film Ciutat Morta, et aux déclarations qui ont été faites au nom du 4F après la projection à la télé publique catalane TV3, le 17 janvier 2015.
Pour ceux qui n’étaient pas là, nous voulons clarifier que en tant qu’assemblé de soutien aux trois emprisonnés nous avons fonctionné dès le premier jour des faits et jusqu’à la fin du procès en 2008 et quelques personnes parmi nous ont continué le soutien jusqu’à la liberté totale d’Alex et de Juan en 2011. Nos rendons donc publique notre position en connaissance de cause.
Ce collectif de soutien aux prisonnier-e-s a toujours lutté sur une base anti-carcérale, entendue comme une dénonciation permanente du système – fondé sur l’inégalité – et de son appareil répressif, dans lequel la prison est un des outils punitifs qui tendent à maintenir et reproduire l’ordre socio-économique et politique actuel.
Le produit audiovisuel ne documente pas les faits, mais se positionne par rapport aux faits. Ce sont les auteur-e-s qui parlent à travers les témoignages, qui sont les porteurs/porteuses du message du film – à travers le scénario et le montage. Il n’a pas de réponses qui ne soient précédées d’un questionnaire – même quand il n’est pas explicite. C’est leur point de vue qui crée l’objet et pas l’inverse. Nous analyserons donc leurs prémisses idéologiques.
Ciutat Morta présente comme une lutte individuelle face à une erreur du système judiciaire ce qui a été, en réalité, une affaire politique inscrite dans la lutte anti-carcérale. L’option narrative choisie, l’exploitation médiatico-sentimentale, ne sont pas seulement sordides mais invisibilisent le contexte de criminalisation dans lequel se sont passées les arrestations et la criminalisation des collectifs libertaires et anti-répression qui se sont solidarisés avec cette affaire. En réduisant le 4F à des individus qui luttent pour établir leur innocence, on crée l’idée de la victime. Cette déformation de la réalité nie tout ce qu’on a gagné grâce à la solidarité, c’est insultant pour nous qui nous sommes impliqué-e-s directement et pour tout le soutien international qu’a connu cette lutte.
En 2006, les six inculpé-e-s qui obtinrent la liberté avec mise en examen en attente du procès choisirent de suivre le chemin marqué par la juge: à savoir ne pas se solidariser avec les trois personnes qui furent emprisonnées, ne pas prendre contact avec le collectif de soutien et choisir une défense individuelle. Durant de nombreuses années de criminalisation du mouvement squat et des « antisystèmes » nous avons toujours été traité-e-s en coupables, et nous ne faisons pas seulement référence aux prisonnier-e-s mais aussi à tou-te-s celles et ceux qui exigeaient leur liberté. Les six personnes en liberté en attente du procès ont suivi les conseils de leurs avocat-e-s et se sont dissociées de toute action collective, comme si cela n’avait rien à voir avec leur histoire ou comme si cela aurait pu leur porter préjudice. Au niveau de la représentation, ce rejet de l’appartenance au mouvement squat et ou aux idées antisystème, utilisé comme argument pour prouver l’innocence, se fait aussi sentir dans le film, au point de faire disparaître la lutte anticarcérale qui donna son soutien au 4F.
De plus, avec sa vision eurocentriste, le film valide les discours racistes et xénophobes qu’il prétend dénoncer. Il présente le racisme institutionnel des forces de l’ordre comme une anecdote paradoxale, et encore personnelle. Toujours selon Ciutat Morta, les Européen-ne-s seraient par définition blanc-he-s. Cela nous a touché-e-s profondément quand lorsque l’on parle d’un policier noir, l’attention est été mise sur l’adjectif (noir) et pas sur le substantif (policier). Tout cela se manifeste quand, après avoir porté l’attention sur sa couleur de peau, on nous le montre, pendant une éternelle minute, frappant un sac de boxe, avec toute la charge de contenu qu’implique cette syntaxe filmique. Ici, l’abus de pouvoir ne se base pas sur des questions raciales: le rapport de forces s’établit entre la police et des personnes. En insistant sur le paradoxe qu’un métis insulte un sud-américain, le film véhicule l’idée que toute personne noire est par définition étrangère, et que pour cette raison un policier noir serait moins légitime qu’un policier blanc pour insulter et/ou torturer.
Dans les deux versions de Ciutat Morta, la thèse finale c’est la Vérité: qui n’est autre que présenter un témoin qui confirmerait l’existence d’un Véritable Coupable. Cela fut répété dans la conférence de presse du 20 janvier 2015, et dans d’autres interviews (voir entre autres, en espagnol et catalan TV3 – Els Matins). Aussi, le fragment du célèbre témoin encagoulé – qui fut enlevé de la deuxième version du film, à cause des nombreuses critiques reçues après la première – a été utilisé comme bombe médiatique par les réalisateurs qui l’ont présenté en exclusivité dans l’émission de télé PuntCat de TV3. Nourrissant ainsi un peu plus le cirque médiatique.
Depuis la perspective anti-carcérale et les réseaux de solidarité dont nous faisons activement partie, la Délation comme une action et une valeur légitimes vis-à-vis de la Justice et de la Vérité, est proprement inadmissible! Ciutat Morta et tou-te-s celles et ceux qui aujourd’hui luttent pour la réouverture de l’affaire en se basant sur ce témoin-délateur sont en complète opposition avec les principes qui régissent la lutte pour la liberté des prisonnier-e-s. Jusqu’où sont-ils capables d’aller pour démontrer l’innocence, laver l’honneur et la mémoire ? Nous croyons que la réponse est dans le film quand il informe que les informations relatives au témoin ont déjà été livrées à la Justice. Une fois de plus, nous voilà dans la situation où celui qui a la parole croit pouvoir représenter tou-te-s les autres, et pire encore il se donne le droit d’engager des procédures judiciaires en leur nom. Sans même aller plus loin, on n’a pas montré à Juan Pintos le resultat final de Ciutat Morta avant de commencer sa diffusion. Mais, encore plus grave, personne ne l’a prévenu des décisions qui l’impliquent directement et avec lesquelles il n’est pas d’accord : « je crois qu’il est nécessaire de préciser que je ne me sens pas le moins du monde représenté dans le cheminement de ces derniers temps, du moins depuis la diffusion du film Ciutat Morta à TV3. »
Aucun gros succès ne nous rendra conciliant-e-s avec ce type de politique « devant le fait accompli ».
Bien que, dans les jours qui suivirent, quelques personnes corrigèrent le discours de la délation, le message de Ciutat Morta continue d’être le même, et a permis que s’ouvrent des campagnes citoyennes qui exigent la réouverture de l’affaire, en rénovant ainsi la confiance dans la Justice, qui peut-être a commis une erreur exceptionnelle il y a 9 ans. Tout ça fragilise et finit par invalider le discours sur la responsabilité du système, de ses institutions et de son appareil répressif.
Nous croyons que Ciutat Morta s’adapte bien au contexte actuel de mécontentement social en hausse et de méfiance envers les institutions. Il s’érige comme un drapeau de plus dans les luttes contre les injustices et il est repris par tou-te-s. Les politiciens et les journalistes, les mêmes qui ont soutenu le montage et la criminalisation, viennent maintenant vite se joindre à l’indignation citoyenne avec la création des comités de crise post-projection et finissent aussi par exiger la réouverture de l’affaire. Tout cela en s’appropriant le 4F avec la mesquine intention de ne pas perdre d’audience, de votes et de consommateurs.
Cela étant dit, nous voudrions que ce texte, loin de créer des polémiques, aide à approfondir les débats et ramène sur le devant de la scène les sujets exposés. Le 4F n’est pas un fait isolé, peut-être emblématique mais pas extraordinaire, c’est la norme. Que notre effort critique ne se concentre pas sur cette affaire concrète, mais plutôt sur la logique qui les engendre toutes.