Interview d’un membre de Squat!net

Le 1er mars 2017, zz., membre de Squat!net, a répondu par email à une demande d’interview faite par une étudiante parisienne. Nous en faisons profiter tout le monde ici…

– Comment fonctionne votre collectif ?

Squat!net existe depuis la seconde moitié des années 1990. C’est un collectif international, basé principalement en Europe (mais qui couvre des infos de partout dans le monde). Il fonctionne horizontalement, c’est-à-dire sans chef, sans hiérarchie. On est éparpillé-e-s dans plusieurs pays, et au sein d’un même pays (par exemple la France), éparpillé-e-s dans plusieurs villes. Donc on ne fait pas vraiment de réunions toutes les semaines… Aussi, parmi nous, certain-e-s sont concentré-e-s sur la maintenance technique des sites et du serveur, tandis que d’autres sont impliqué-e-s uniquement sur la production d’infos, écrivant ou relayant des textes sur le site. Rares sont celles et ceux qui cumulent les deux fonctions (mais il y en a), même si théoriquement ce serait mieux.

– Comment définiriez-vous le squat ?

Comme il est écrit dans « Le Squat de A à Z » :

« Squatter, c’est occuper un bâtiment abandonné sans avoir demandé l’autorisation à son « propriétaire ». C’est, de fait, ne pas payer de loyer à des proprios qui possèdent plus d’un logement quand nous n’en possédons aucun. Squatter, c’est critiquer en actes un système qui veut que les riches continuent de s’enrichir sur le dos des pauvres. Squatter, c’est aussi habiter au sens plein du terme : c’est être libre et responsable dans son lieu de vie. C’est pouvoir y faire ce que l’on veut sans se référer à un proprio qui de toute façon n’y vit pas (…). Chaque squat est différent. Le quotidien dépend largement des contextes politique, socio-économique, juridique, inter-relationnel, etc., mais tout squat est « politique », dans la mesure où il bouleverse, même parfois involontairement, l’ordre social et la propriété privée. »

L’intro du « Le Squat de A à Z » en dit plus, tu peux la lire en entier si tu veux.

– Des réquisitions de logements avaient été annoncées en 2012 par Cécile Duflot, certains élus PCF demandaient une taxe sur les logements vacants… que pensez-vous de ces mesures et des réponses apportées par les instances politiques à la question des logements vides ?

On ne croit pas du tout en la politique institutionnelle, en la politique de « parti » et de gouvernement. Dans un système étatique-capitaliste, il n’y a rien à attendre des lois et des droits, qui n’existent que pour maintenir le pouvoir établi.

L’exemple du « droit au logement » est très parlant: malgré les « droits » qui existent, ils sont plus que secondaires en comparaison du « droit à la propriété privée ». Dans tous les cas, les « acquis sociaux » sont (presque ?) toujours le fait de rapports de force entre le pouvoir et la colère sociale.

– Paris est-elle une ville particulièrement propice au squat ? Les logements vides y sont-ils nombreux et y a-t-il des différences particulières à squatter dans une grande ville ?

Paris est une ville très répressive en matière de squat. Il y a beaucoup d’expulsions immédiates, sans procédure juridique préalable. Autrement dit, beaucoup d’expulsions illégales.

Pourtant, d’après des chiffres officiels[1] relativement récents, il y aurait rien qu’à Paris intra-muros près de 200 000 logements vides. Assez pour loger toutes les personnes qui dorment dehors en France (au nombre de 141 500 selon la Fondation Abbé Pierre).

En France, il y aurait, toujours la Fondation Abbé Pierre, près de 700 000 personnes en grande difficulté pour se loger (en plus des 141 500 qui dorment dehors, 411 000 qui dorment à droite à gauche sans avoir de logement à soi). Mais sur le territoire de France métropolitaine, il y aurait d’après l’INSEE 2 880 000 logements vides (oui, près de 3 millions de logements vides !).

Ce constat n’est pas nouveau, mais il montre bien l’absurdité et la dégueulasserie du système capitaliste, un système profondément injuste, qui existe grâce aux injustices sociales puisqu’il repose sur elles, il s’en nourrit.

Autrement, il y a des avantages et des inconvénients différents à squatter dans une grande ville ou à la campagne. Selon les contextes, beaucoup de choses changent sur la pratique et la facilité ou non à squatter. Mais bon, ça serait trop long à détailler ici…

– Les squatteurs appartiennent-ils à une catégorie de population en particulier ? Y a-t-il beaucoup de SDF ?

Comme dit précédemment, il y a en France environ 141 500 personnes qui dorment dehors, les SDF les plus dans la merde. En plus de ceux-celles-là, environ 411 000 qui dorment à droite à gauche sans avoir de logement à soi. Ça fait beaucoup de monde, et je suis incapable d’en dresser un profil sociologique. Mais bon, il est évident que pour la très très grande majorité ce sont des gens qui sont dans une détresse socio-économique très grande…

À vrai dire, je ne sais même pas si les personnes sans-papiers sont comptabilisées dans ces chiffres-là. En tout cas, les personnes sans-papiers qui vivent dehors ont le désavantage d’avoir accès encore plus difficilement au travail et au logement que les personnes françaises ou bénéficiaires de papiers en règle.

Donc parmi les squatteur-euse-s on trouvera principalement des gens en grosse galère au niveau socio-économique. Et dans une moindre mesure, des gens qui squattent pour affirmer des idées, des luttes (parmi lesquel-le-s un bon nombre d’anarchistes, d’autonomes – dont plusieurs textes sont relayés sur Squat!net), tout en trouvant des solutions à leurs galères personnelles (je le précise car la plupart du temps la démarche politique du squat n’exclut pas la question sociale du logement). Il y a aussi un certain nombre de squats d’artistes, où certains logent également. Une démarche beaucoup plus controversée car généralement pas solidaire du tout des autres squatteur-euse-s[2].

– Comment ça se passe quand un propriétaire revient ou souhaite vous expulser ?

Alors déjà, il n’y a quasiment jamais « un propriétaire qui revient » car la quasi totalité des squats concernent des logements vides : leurs propriétaires n’y habitent pas, il ne s’agit jamais de leurs domiciles.

Cependant, ils en sont légalement « propriétaires » donc sont en droit d’en demander l’expulsion. Normalement, cela implique une procédure juridique d’expulsion, donc un procès au tribunal d’instance (c’est tout expliqué dans « Le squat de A à Z »).

Mais parfois, trop souvent, des expulsions ont lieu au mépris même des lois pourtant décidées par les politiciens et magistrats qui représentent ce système, c’est-à-dire des expulsions sans procédure juridique préalable, sans décision du tribunal ou quoi. C’est aussi pour cela que « Le squat de A à Z » existe, pour que chacun-e puisse se défendre face au rouleau-compresseur de la propriété privée.

– Comment justifieriez-vous le squat à quelqu’un qui est contre ?

Les raisons sont basiquement expliquées dans l’intro du « Squat de A à Z ».

Pour le dire vite, le système de la propriété privée est profondément injuste. Des gens sont propriétaires de plusieurs logements, d’autres d’aucun. Beaucoup de gens payent des loyers à des propriétaires (privés ou « publics ») qui sont pratiquement toujours plus riches que les personnes qui leur payent un loyer. D’un point de vue social, au regard du fameux « Liberté, Egalité, Fraternité », c’est un non-sens total.

Bref, squatter n’est pas seulement une nécessité sociale, c’est aussi un geste politique sensé.

Notes:
[1] Lire par exemple: « Pourquoi le nombre des logements vacants explose depuis 10 ans avec +45% entre 2005 et 2015 » sur leblogpatrimoine.com, « Paris: Un trop plein de logements vides ou sous-occupés dans la capitale? » dans 20 Minutes, « 11 millions de logements vides en Europe selon une enquête du Guardian » sur huffingtonpost.fr, « Les chiffres du mal-logement en 2014 » sur fondation-abbe-pierre.fr, « Six chiffres clés sur le mal-logement en France » dans Le Monde et « Mal logement : le nombre de SDF a augmenté de 50 % en trois ans » dans Le Monde.
[2] Plusieurs articles à ce propos sont archivés au mot-clé « artistes » sur fr.squat.net (et c’est loin d’être exhaustif…). Lire aussi « Interface ou Intersquat, une histoire de chartes » et « Des Squatteureuses d’un peu partout et d’ailleurs s’invitent… aux rencontres internationales mondaines sur les Nouveaux Territoires de l’Art à la Friche Belle de mai, Marseille » (14-15-16 février 2002).

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