Pays-Bas: La guerre des squats aura bien lieu.
Depuis quelques mois, les relations entre les autorités et les tenants du mouvement alternatif se sont durcies. Après plusieurs évacuations musclées, l’attention se focalise autour de Vrankrijk, symbole de la contre-culture amstellodamienne.
Vrankrijk est au coeur du mouvement des squatteurs. Ce bâtiment orné de beaux graffitis, situé Spuistraat, à Amsterdam, accueille depuis dix-huit ans déjà des autonomes, des sans-abri, des clandestins et des squatteurs. C’est un lieu pour boire une bière et faire de la « politique extraparlementaire », ou encore préparer des manifestations contre le Sommet européen d’Amsterdam [en juin 1997], mener des actions contre les évacuations, organiser des mouvements de protestation. Les squatteurs ont la ferme intention de créer des ennuis à la municipalité – « l’ennemi », d’après un récent tract. La police, elle, qualifie Vrankrijk de « centre commando », une appellation très exagérée selon les squatteurs, mais tout à fait révélatrice du regard que les forces de l’ordre portent sur eux. Les squatteurs sont particuli?rement remontés contre une formalité qui a pris les dimensions d’une affaire politique et d’une question de principe, chaque partie craignant de perdre la face. Dans l’immeuble Vrankrijk se trouve un bar-discoth?que qui n’a pas de licence d’exploitation, ce que la municipalité ne tol?re plus. Mais les squatteurs ne veulent pas se soumettre ? cette obligation, arguant qu’elle donnerait le droit ? la police d’entrer ? tout moment pour se livrer ? des contrôles. Et ils estiment que la préparation d’actions, l’aide aux clandestins ou les projets d’occupation d’immeubles s’en trouveraient alors compromis. Pour eux, si la municipalité fait tant d’histoires, ce n’est pas qu’une question de licence. « Vrankrijk dérange les autorités. Elles veulent nous réduire au silence. Il faudrait ?tre fou pour les aider ? mettre en place notre propre syst?me de répression, en laissant la police mettre les pieds ici », explique Mirjam, une squatteuse. On est dans l’impasse. C’est le premier défi ? relever pour le nouveau maire socialiste d’Amsterdam, Job Cohen, la plupart des partis présents au conseil municipal estimant que la tolérance vis-?-vis de Vrankrijk a assez duré. Mais, pour les squatteurs, il s’agit d’ « un enculage de mouches officiel », dans la mesure o? tout s’est toujours bien passé depuis dix-huit ans avec les habitants du quartier. La question de la licence n’est d’ailleurs qu’un prétexte, et non une cause. Celle-ci est plutôt liée ? une série d’expulsions, ? la volonté de pousser le mouvement de squatteurs dans ses derniers retranchements, ? la mentalité de grand nettoyage du conseil municipal et ? la dégradation des relations entre les squatteurs et les autorités. La police entend montrer qui est le chef. Quant aux squatteurs, ils ne veulent pas perdre du terrain. Le mouvement des squatteurs se trouve en effet dans « une situation délicate, et il est de plus en plus marginalisé », explique Eric Duivenvoorden, auteur d’ Een voet tussen de deur – Geschiedenis van de kraakbeweging 1964-1999 [Un pied dans l’entrebâillement de la porte – Histoire du mouvement des squatteurs 1964-1999, éd. Arbeiderspers, Amsterdam, 2000]. DÉSORMAIS, LA POLICE EXPULSE SANS PRÉVENIR
D’apr?s lui, plusieurs raisons sont ? l’origine d’un recul du mouvement qui ne représente plus qu’environ 500 personnes ? Amsterdam et ? peu pr?s un millier ? l’échelle du pays. Non seulement la législation est plus sév?re, ce qui rend le squat difficile, mais le marché de l’immobilier est si dynamique qu’il y a de moins en moins d’immeubles vides. En outre, compte tenu du temps limité qui est imparti aux étudiants boursiers pour faire leurs études, de l’amélioration du marché de l’emploi et du recul de l’idéalisme, les étudiants et les jeunes sont de moins en moins nombreux ? faire « le choix extr?me d’?tre squatteur ? plein temps », explique l’auteur. A cela vient s’ajouter, dit Ivo, chargé des nouveaux arrivants ? Vrankrijk, qu’ « on ne peut pas supporter la police ». Une chose est certaine : l’atmosph?re s’est définitivement gâtée, de l’avis de tous les squatteurs, apr?s les émeutes et l’évacuation du Kalenderpanden [un des autres bastions alternatifs d’Amsterdam], ? la fin du mois d’octobre dernier. Leur slogan ? l’époque était : « Kalenderpanden, le tournant ». Les squatteurs d’Amsterdam ne sont pas les seuls ? se heurter ? la police. Récemment, la fortification Brullend Breekijzer, sur le Lutherse Burgwal, ? La Haye, a été évacuée. Juste avant, le rez-de-chaussée de la Zwarte Madonna, de l’avis général le bâtiment le plus laid de La Haye, a été évacué apr?s une br?ve action menée par les squatteurs, la police y faisant intervenir de nombreux gardes mobiles. Ces évacuations témoignent d’un changement de climat. « Avant, c’était plus bon enfant. D’ailleurs on nous prévenait avant une expulsion », explique l’un des squatteurs de La Haye. La police ne le fait plus. L’espace Cineac, ? Amsterdam, a été évacué sans avertissement, le Brullend Breekijzer, ? La Haye, aussi. Conclusion : depuis le Kalenderpanden, la police ne prévient plus, et un équipement lourd est mis en place pour briser toute résistance. « Cette résistance se comprend. Lorsqu’un mouvement est menacé, les vieilles idéologies triomphent », estime, M. Duivenvoorden. En dehors des expulsions, les municipalités tentent de neutraliser le mouvement des squatteurs par ce qui s’appelle la « politique des pépini?res » – des endroits réglementés qui servent de refuges en ville. Mais, tandis que l’ancien maire socialiste d’Amsterdam, Schelto Patijn, parlait de « créer les bonnes conditions pour qu’une culture alternative se développe », beaucoup de squatteurs ont décroché, craignant d’?tre récupérés par le syst?me. Selon M. Duivenvoorden, « le mouvement est en proie ? des querelles intestines. Certains veulent accepter la légalisation de Vrankrijk. Mais ils n’ont pas le dessus face aux squatteurs qui souhaitent justement rester en marge de la société. On a l? une contre-culture qui se replie derri?re les barricades. » Reste leur éternel slogan : « Le squat continue, Vrankrijk restera. »
Yasha Lange
NRC HANDELSBLAD / Courrier International / 08/02/2001, Numero 536
http://www.vrankrijk.org
http://www.kalenderpanden.nl/
http://squat.net/cineak/
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