Dijon: Les Tanneries de février 1998 à mai 2001 – bilan provisoire et perspectives

Ci-dessous, un texte distribué sous la forme d’un 4-pages par l’espace autogéré des Tanneries, faisant le point sur presque 3 ans de projets, d’activités et d’experiences, ainsi que sur les objectifs que se donnent celles et ceux qui l’animent. Note : Une version mise en forme de ce document est disponible au format PDF sur le site oueb de maloka (http://chez.com/maloka).

L’espace autogéré des Tanneries
Un centre alternatif de vie et d’activité politique, sociale et culturelle à Dijon

De février 1998 à mai 2001 – bilan provisoire et perspectives

« La nécessité nourrit l’ingéniosité »… et la combativité !

« Un espace collectif en opposition aux rapports de profit, de pouvoir et de consommation. Un espace d’expérimentation qui ne se contente pas d’être en réaction au système dominant, mais se veut un lieu de création et de mise en pratique. »

Les Tanneries vivent depuis un moment déjà. Il nous a semblé qu’il était temps de faire un bilan de la situation, en commençant par une petite présentation du projet et de sa situation actuelle. Ce texte est donc certainement un peu long et lourd. Néanmoins, si les Tanneries vous questionnent, il vaut peut-être le coup d’être parcouru…

Prologue

Les Tanneries sont nées pour beaucoup des désirs de personnes qui avaient en commun de vouloir vivre à Dijon ce qui les avaient tant enthousiasmées dans les expériences d’espaces « libres » découverts au cours de leurs voyages et rencontres, qui souhaitaient ne pas se contenter de rêver mais voulaient construire, partager leurs luttes et leurs idées.

Le 30 octobre 1998, les anciens locaux administratifs des Tanneries (situés 13 et 15 boulevard de Chicago) laissés à l’abandon par la municipalité depuis 1995, sont occupés par un collectif d’individu-e-s et d’associations dijonnaises. Pour y vivre d’une part, mais aussi pour mettre à disposition un espace de création, indépendant de l’état et du marché capitaliste.

Depuis, plein d’idées et d’envies s’entremêlent…

Agir sur la question du logement et de la propriété privée

A travers l’occupation, le collectif entend alors dénoncer la spéculation immobilière, les loyers trop élevés, l’impuissance des individu-e-s isolé-e-s face aux pouvoirs publics et aux services sociaux. Face à la multitude de bâtiments vides à Dijon, il nous semble légitime d’investir cet espace inoccupé depuis bon nombre d’années et dont personne ne fait rien. Ses caractéristiques nous permettent de mettre en œuvre notre projet de vie collective, de faire revivre un habitat laissé à l’abandon, et de le transformer en lieu d’activités.
De manière plus approfondie, cette démarche s’inscrit dans une remise en cause de l’idée de propriété privée et de la logique d’accumulation des richesses. En effet, nous pensons que les biens matériels en ce monde devraient être à la disposition des personnes selon leurs besoins, de manière égalitaire. Nous pensons que ces biens ne devraient pas être accumulés par quelques-uns, qui n’en ont d’autre usage que celui d’accroître leur richesse et leur pouvoir. Contre la propriété privée, nous prônons la « propriété d’usage ».

Proposer un espace de création et de diffusion indépendantes

Prisonnière des institutions, dépendante des subventions de l’état ou soumise aux exigences commerciales, la création laisse de moins en moins de place aux alternatives. A Dijon, de nombreux-ses artistes, comédien-ne-s, musicien-ne-s ne souhaitant pas se vendre n’ont nulle part où s’exprimer et montrer leurs travaux au public. Les Tanneries se devaient donc d’être un espace où puissent « exploser » les manifestations « artistiques » autres que celles de la culture de consommation, du star-system ou de la télévision. Un espace qui soutienne tous les réseaux « Do It Yourself » (« fais le par toi-même ! »). Des réseaux où solidarité et débrouille rendent la création et la diffusion accessibles à tou-te-s. Outre la volonté de réunir des acteurs et actrices de différents domaines, notre objectif est de montrer que la création peut fusionner avec la vie quotidienne, le social ou le politique.

Concilier engagement militant et vie au quotidien

Il nous semble important de concilier lieu d’habitation et espace d’activité : nous ne sommes pas les premiers à penser que le personnel et le politique sont intimement liés et que pour espérer changer le monde, il faut aussi se changer soi-même. Le politique peut ne pas être un domaine austère et inaccessible. Pour nous, « la politique » n’est pas seulement la gestion de la vie économique et sociale par les grands de ce monde, mais surtout une manière d’appréhender tous les domaines de la vie : des relations interpersonnelles aux loisirs, de notre rapport à l’environnement à la manière dont nous mangeons, de la manière dont nous effectuons nos trajets quotidiens aux relations que nous entretenons par notre consommation avec des populations habitant de l’autre coté de la planète. Un concert, un sourire, une rencontre peuvent être aussi « politiques » que des milliers de personnes qui bloquent l’ouverture du sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce.
Nous basons donc la cohérence de notre démarche politique et personnelle sur la volonté de ne pas couper l’action militante de la vie. Cela nous différencie radicalement de tous les politiciens idéologues qui prêchent le changement, critiquent en théorie la consommation, la pollution de la planète ou les rapports de domination sans chercher à s’en dégager dans leur pratique.
En somme, il s’agit de créer une structure où puissent se développer notre épanouissement individuel, un mode de vie en accord avec notre éthique et notre volonté d’agir sur le monde.

Par le biais du squat, être moins esclave du travail salarié

Nous sommes pour la plupart destiné-e-s à passer le plus clair de notre vie à travailler, au profit d’une entreprise ou d’un patron. Le plus souvent pour faire face à tous les besoins financiers auxquels la société cherche à nous contraindre. Nous considérons le travail salarié comme une des aliénations majeures imposées par le capitalisme, et voulons choisir librement des activités variées qui nous appartiennent.
La nécessité de payer son loyer est un des facteurs importants qui entraînent la dépendance vis-à-vis d’un travail à temps plein. Le squat, en abolissant le loyer et en permettant de partager les ressources peut réduire énormément cette dépendance et ainsi permettre de dégager du temps libre. A l’heure actuelle, nos alternatives sont néanmoins bien insuffisantes pour pouvoir totalement nous affranchir du besoin d’argent et nous continuons donc pour beaucoup à bosser à temps partiel ou par intermittence.

Vivre autrement et créer des alternatives locales face aux pouvoirs en place

Notre choix de vie collective nous amène à développer des notions de solidarité, de dynamique de groupe, d’échange de savoirs et de compétences. Nous voulons faire les choses nous-mêmes et ne pas rester passif-ve-s : récupérer plutôt que gaspiller, réparer nous-mêmes plutôt que jeter ou faire appel à des « professionnels », créer plutôt qu’acheter, participer plutôt que payer, communiquer plutôt que regarder la télé, faire les choses ensemble plutôt qu’aller s’enfermer chacun-e chez soi, s’enrichir de savoirs et pratiques dans des domaines tant « physiques » qu' »intellectuels » plutôt que dépendre de spécialistes. Les Tanneries, comme d’autres espaces repris à la logique capitaliste et marchande, sont un endroit où l’argent et la compétition sociale perdent de leur importance. Un espace où l’on se réapproprie son temps de vie, sa capacité à penser, à agir, à transmettre une information autre que celle que les médias nous balancent selon les règles de la pensée unique et du marché mondial. Nous nous efforçons par ailleurs d’analyser et de combattre les attitudes sexistes, racistes, âgistes ou homo/lesbophobes qui peuvent se retrouver à l’extérieur du lieu comme en son sein…

Le système capitaliste ne fonctionne que par l’exploitation et le profit. A l’instar de beaucoup d’autres squats, nous expérimentons d’autres modes de fonctionnement plutôt que d’attendre une « révolution » qui viendrait miraculeusement tout changer du jour au lendemain. Cependant, vivre et penser autrement est une recherche continue, et non pas quelque chose qui vient d’un coup parce que l’on a décidé de s’étiqueter militant-e ou révolutionnaire.
Nous pensons que des espace de liberté repris au système peuvent contribuer à mettre en place des sociétés libres, basées sur l’épanouissement des êtres qui les constituent. Ils peuvent faire la preuve par l’exemple de la viabilité d’autres modes d’organisation, et nous permettent de proposer dès aujourd’hui autre chose. En ce sens, Ils sont une action positive et complémentaire des luttes sociales auxquels nous pouvons participer. Qu’il s’agisse d’offensives contre les politiques menées par l’état ou les multinationales, d’agir contre l’agriculture industrielle, contre la voiture ou l’industrie pétrolière, de s’attaquer au contrôle social et à la répression, de solidarité Nord-Sud, d’aide aux prisonnier-e-s, de remise en cause du système patriarcal, de lutte dans les lieux de travail, écoles ou facs contre l’exploitation et la marchandisation…

Bien-sûr, pour représenter un contre-pouvoir plus efficace, pour ne pas rester une alternative isolée mais réellement construire un autre monde, il faudrait pouvoir mettre en place des structures autogérées à tous les niveaux (alimentation, éducation, santé ou transports…) et multiplier les liens et les échanges. Nous en sommes certes loin, mais il nous semble important de garder ces objectifs en tête et de chercher à créer dès aujourd’hui la réalité dans laquelle nous voudrions vivre. Nous espérons pouvoir continuer à contribuer à cela dans le futur…

Vous et nous ?

Les Tanneries ne sont pas une petite bulle fermée face au monde, mais s’efforcent d’être une structure ouverte à celles et ceux qui souhaitent rêver, s’exprimer, créer. Même si cela peut sembler un peu contradictoire avec tout ce beau discours théorique, nous voulons ne pas agir en idéologues ou en donneurs de leçons fermés sur une vision dogmatique du monde… Nous voudrions pouvoir réfléchir et discuter à partir des expériences et idées de chacun-e.

Par ailleurs, il est indéniable que notre mode de vie est quelque peu différent des réalités quotidiennes que connaissent un grand nombre de personnes. Nous sommes conscient-e-s des incompréhensions réciproques que cette situation peut entraîner et du risque de s’enfermer dans un ghetto alternatif « conscientisé ». Nous ne voulons pourtant pas nous couper du reste des gens et agir dans notre coin sans plus comprendre les réalités de notre société. Nous n’échappons pas à une bonne partie des faits et idées que nous remettons en cause dans le monde actuel. Alors même si notre monde paraît un peu intimidant ou trop marginal, espérons qu’une bonne volonté commune d’aller au devant des autres, sans les juger à priori, nous permettra de mener des aventures ensemble et de créer des liens qui cassent ces barrières.

Fonctionnement et implication dans le lieu

Ce lieu fonctionne sur un principe d’autogestion. Chacune et chacun participe à l’organisation et à la gestion de la vie de tous les jours par le biais de réunions régulières, d’assemblées générales (A.G) mensuelles. Ces A.G. sont ouvertes à toute personne se sentant concernée et désirant s’impliquer dans le lieu d’une manière ou d’une autre. Quelques changements sont intervenus en septembre afin de mieux structurer notre fonctionnement non-hiérarchique et parfois merveilleusement bordélique, par la mise en place de groupes de travail.

Lutte menée contre l’expulsion

Notre projet a logiquement déplu aux pouvoirs en place qui ont cherché à y mettre fin de diverses manières au cours des trois dernières années. Ils ont successivement caché leur peur de voir se développer une structure revendicative et échappant à leur contrôle sous une série de faux prétextes que nous avons démonté un à un. Nous avons réagi par une série de manifestations, tables de presse dans la rue, journées portes-ouvertes et autres actions largement soutenues. Autant d’initiatives qui eurent le mérite d’informer un grand nombre de personnes de notre démarche et d’instaurer un rapport de force suffisant pour nous maintenir dans les lieux. Dans ce contexte, un « dialogue » s’est établi avec la municipalité, propriétaire des lieux. Si une telle démarche peut paraître quelque peu contradictoire avec notre volonté d’autonomie et de lutte contre les institutions dirigeantes, il nous a alors semblé intéressant de privilégier la possibilité d’inscrire notre projet dans le long terme, pour en tirer au final plus que ce vers quoi la seule confrontation nous aurait probablement mené (l’expulsion). Cependant, il est important de préciser que les Tanneries restent indépendantes et ne sont soumises à aucun « contrat » restreignant leur liberté. Si la signature d’un « bail précaire » avec la mairie reste envisageable, cela ne doit en aucun cas agir sur la nature de nos activités et de notre engagement.
La sécurité étant un problème évidemment important pour nous, nous avons réalisé des travaux considérables, de manière autonome, sans aucune subvention (que nous avons toujours refusées). Alors que les travaux de mise aux normes du bâtiment touchaient à leur fin, un incendie criminel a ravagé la toiture de notre partie d’habitation dans la nuit du 16 au 17 juin. La mairie en a aussitôt profité pour briser les négociations en cours, alors sur le point d’aboutir, pour demander notre expulsion au Tribunal. Il s’ensuivit un long bras de fer qui dura tout l’été et au bout duquel la mairie, une nouvelle fois découragée par notre ténacité et par le large soutien manifesté, finit par abandonner l’expulsion.

Situation actuelle

Après une période difficile – suite à l’incendie -, les activités publiques ont repris dans une grande salle qui s’est définitivement mise en place. Nous avons dû par ailleurs consacrer beaucoup d’énergie à l’occupation et à l’aménagement de nouveaux locaux d’habitation (désormais situés au 17 – dans les locaux voisins de ceux que nous occupions). Si nous sommes toujours là et que l’on risque maintenant d’y rester un moment, c’est parce qu’on a été soutenu de toutes sortes de façons par plein de chouettes personnes, localement et partout en France (et donc merci !). En effet, sans la solidarité, et même avec la meilleure volonté du monde, on ne serait pas arrivé à grand chose.

Bilan ?

Un certain nombre de choses positives, mais aussi encore beaucoup de chemin à parcourir… on l’espère avec vous !
Après 3 ans d’occupation, nous pensons être parvenu-e-s à concrétiser une bonne partie de nos projets, à vivre un paquet de choses assez magiques (et bien-sûr d’autres assez dures parfois) et sommes en mesure de tirer un bilan positif de notre action. En effet, ce lieu est rapidement devenu un centre d’activités important, à une échelle locale et plus encore. Les ateliers créés ont permis à de nombreux-ses individu-e-s de s’exprimer sous des formes multiples et dans la gratuité (peinture murale, cinéma, labo photo, sérigraphie, cirque, locaux de répétition, bibliothèque, atelier de percussions, réparation de vélo) et de se produire ou d’exposer. Nous avons à notre actif plus de deux cent manifestations publiques : théâtre, chanson, débats, cinéma indépendant, cirque, expositions…
Face aux mammouths de la culture abreuvés de subventions, nous avons prouvé qu’il était possible de proposer une programmation riche sans quémander un sous aux institutions.

Les formes de gestion collective et la place primordiale laissée à l’initiative personnelle ont apporté une expérience stimulante. Celle-ci a permis à un certain nombre de visiteurs et de visiteuses de s’impliquer activement sans se cantonner au rôle de consommateur passif que réserve la culture institutionnelle ou commerciale. Le lieu a été aussi l’occasion d’échanges et de diffusion d’idées importants, et a permis la mise en place de nombreuses actions politiques, dont les Tanneries ont servi de support (préparation logistiques des manifestations de Davos contre le Forum Economique Mondial, nombreuses campagnes et manifestations locales, etc.).

Toutes ces impressions positives ne doivent pas cacher les nombreuses insatisfactions et difficultés que nous rencontrons quotidiennement pour nous organiser en autogestion, développer une participation plus active et plus égalitaire d’un grand nombre de personnes, maintenir nos projets et les développer. Une somme de remises en cause et de questionnements constants nous aident, nous l’espérons, à progresser. L’important à l’heure actuelle, alors que notre situation commence à gagner en stabilité, est de conserver la dynamique d’ouverture sur des pratiques, cultures et visions variées, ainsi que sur de nouveaux projets d’activités, tout en approfondissant les principes d’autogestion qui sont à la base du projet.

Les Tanneries et le mouvement « intersquat » local et au-delà

Malgré les tentatives d’expulsion répétées de la mairie et un incendie, nous sommes toujours là. C’est selon nous la preuve qu’il est possible de se battre victorieusement face aux institutions et qu’un squat d’activité en France n’est pas forcément condamné à la précarité, au court terme et aux expulsions… pour peu que l’on résiste ! Nous manifestons ici notre solidarité avec tou-te-s celles et ceux qui ouvrent des squats et doivent faire face à la répression des propriétaires, des pouvoirs locaux, de l’état, des flics et de la justice.
Un réseau « itersquat » s’est récemment créé à Dijon pour visibiliser notre présence en tant que mouvement politique d' »espaces occupés », échanger et agir de manière solidaire. Participent notamment à ce réseau « le Pamplemousse » et « la Courdémone ».

Cet été… reconstruction de la partie incendiée et nouvel appel à soutien !

Il manque à l’heure actuelle cruellement de structures autogérées solides qui puissent permettre de renforcer nos mouvements de remise en cause du système. Un lieu comme les Tanneries représente donc un énorme potentiel pour nous. Il s’agit donc d’en tirer profit. Aussi sommes-nous décidé-e-s à lancer un grand chantier au mois de juillet pour reconstruire la toiture du 13-15. Notre ancien lieu d’habitation deviendrait un nouveau pôle d’activités, avec des bureaux, une bibliothèque, un centre informatique, une salle d’archives, un lieu confortable pour des rencontres et colloques… Bref, de belles choses et de grands travaux.

Nous lançons donc un nouvel appel à la solidarité, à venir aux Tanneries en juillet pour nous aider à reconstruire et à accomplir divers travaux (des personnes qualifiées seront présentes et aucune compétence spécifique n’est requise, ce sera aussi le moment d’apprendre). Il est possible de loger sur place et nous souhaitons en profiter pour proposer des discussions et ateliers. Par ailleurs, il va aussi nous falloir financer ces travaux (on ne peut pas tout trouver ou faire gratuitement). Nous en estimons actuellement dans un premier temps le coût à environ 30000 Francs. Toutes les solutions sont les bienvenues, notamment des soirées de soutien ou souscriptions individuelles (par chèque à l’ordre de Maloka, à l’adresse des Tanneries).

…on attend vos idées pour le reste.

Mai 2001

Espace autogéré des Tanneries
13-15-17, bd de Chicago
21000 Dijon, FRANCE
+0033-3-80-666-481
tanneries [at] free [point] fr

les kikiEs des Tanneries