Tôt ce lundi matin, près de 500 gendarmes ont attaqué au gaz lacrymogène la Zad du Moulin. Citoyens, élus, zadistes étaient là, pour témoigner du refus du projet d’autoroute de la firme Vinci. Reporterre était présent et raconte.
- Kolbsheim (Bas-Rhin), reportage
Le tocsin a sonné à 5 heures du matin dans le village de Kolbsheim (Bas-Rhin). Zadistes et habitants des villages environnants se sont levés pour rejoindre les barricades. À la lisière de la forêt, les opposants au projet de grand contournement ouest (GCO) — une autoroute que veut construire la société Vinci — ont alors fait face à une centaine de gendarmes mobiles. Les forces de l’ordre chargent après deux sommations sommaires. Ils éteignent un tas de pneus enflammés et tirent les premières grenades lacrymogènes. Une villageoise apeurée fuit en criant : « On ne veut pas de violence, on est pacifiste. »
Les forces de l’ordre progressent rapidement le long de la départementale 93. Au milieu de la forêt, à quelques mètres de l’entrée de la Zad, un militant d’Europe Écologie Les Verts s’avance vers les gendarmes. Il est bientôt suivi du maire de Kolbsheim, Dany Karcher, et de l’édile écologiste de Schiltigheim, Danielle Dambach. Face au secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin, Yves Séguy, ils demandent que soit mis fin à l’intervention et argumentent. Mais Yves Séguy n’accorde aucune importance aux deux recours actuels de l’association Alsace Nature. L’un d’eux porte sur l’aménagement du viaduc de Kolbsheim.
Les esprits s’échauffent. De nouvelles sommations sont prononcées. Puis une nouvelle charge. Dans un nuage de lacrymogène, plusieurs personnes tombent, dont la maire de Schiltigheim. Interrogée peu après, elle évoque le travail de la députée bas-rhinoise, Martine Wonner (LREM) : « Elle pèse de tout son poids pour que le nouveau ministre de l’Écologie accorde un moratoire sur ce projet. »
Pendant ce temps, les forces de l’ordre ont investi la Zad du Moulin. La préfecture de police évoque 515 personnes mobilisées. La résistance pacifique des opposants au GCO prend fin. Une jeune femme, volontairement attachée à un arbre, voit ses chaînes sciées par les gendarmes. Ceux-ci empêchent les journalistes de prendre des photos malgré la présentation d’une carte de presse.
Sur la route départementale, les gendarmes continuent de repousser les citoyens hors de la forêt. Parmi eux, une habitante de Kolbsheim, 89 ans, avance péniblement à l’aide de son déambulateur. Derrière elle, des gendarmes la poussent avec des boucliers à rejoindre le village.
Élisabeth, 61 ans, est terrifiée par la violence de l’intervention. Les larmes aux yeux, canne à la main, elle regarde la forêt de Kolbsheim : « Cette forêt, je m’y baladais quand j’étais jeune… » Une soixantaine de personnes se rassemblent devant la mairie. À 7h30, les cloches sonnaient toujours l’alerte.
Les prémisses du grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg remontent aux années 1970. Ce projet d’autoroute payante de 24 kilomètres a été déclaré d’utilité publique en janvier 2008 pour 10 ans. La rocade a pour but de faciliter le transport en camion du nord au sud de l’Europe, ce qui permettrait de délester l’autoroute gratuite de l’A35, qui coupe Strasbourg en deux. Le projet avait été annulé par le gouvernement Ayrault-Hollande juste après sa prise de fonction en 2012, avant d’être relancé fin 2013, sous la pression des pouvoirs économiques locaux, de la droite locale. Le maire de Strasbourg Roland Ries (PS), jusqu’alors opposé, avait alors retourné sa veste, devenant favorable, malgré ses engagements électoraux.
Le contrat de concession de 54 ans signé début 2016 avec Arcos, filiale de Vinci, prévoit un allongement automatique de l’utilité publique du projet. Mais l’opposition n’a pas cessé. Dans la campagne alsacienne, une opposition continue se fait entendre par des marches, manifestations, construction de cabanes et festivals. Pour les opposants, le GCO ne règle pas les problèmes d’engorgement qui se manifestent vers Strasbourg le matin et pour en repartir le soir (150.000 véhicules/jour contre 165.000 sur la partie la plus chargée en 2016).
En juillet 2017, quelques occupants se sont installés dans la forêt de Kolbsheim, un point névralgique au milieu du tracé, entre deux villages et un château inscrit aux monuments historiques.
Malgré les avis négatifs officiels relatifs aux compensations environnementales d’instances étatiques (Conseil national de protection de la nature, agence de la biodiversité, autorité environnementale) et l’avis défavorable des deux enquêtes publiques qui en résultent à l’été 2018, le préfet a validé le projet fin août, en signant les arrêtés autorisant les travaux.
Guillaume Krempp
[Publié le 10 septembre 2018 sur Reporterre.]