Depuis une semaine, le maire de Montreuil Patrice Bessac est salué un peu partout comme « le maire humaniste », « le maire courage » qui a réquisitionné un bâtiment vide pour y héberger des travailleurs migrants. Mais cette réquisition cache une stratégie pour détruire le foyer Bara, trier ses habitants, et pourquoi pas, gentrifier davantage le Bas Montreuil.
Mercredi 25 septembre, vers 18h, un arrêté « d’extrême urgence pour risque grave de sécurité » du maire est affiché par la police municipale sur la porte du foyer de travailleurs migrants rue Bara, Montreuil. Le foyer est dangereux, doit être vidé de ses habitants le plus tôt possible. L’arrêté arrive quelques jours après la publication d’une vidéo où on voit le maire, chemise blanche et déboutonnée, faire un tour à l’intérieur du foyer et documenter son état de délabrement. Un maire qui a l’air de s’intéresser beaucoup au sort des habitants du foyer…
Membre du PCF, élu maire depuis 2014, Bessac a à son actif plusieurs expulsions à Montreuil. Juillet 2016, les Rroms du bidonville de la Boissière sont expulsé.e.s violemment, sans solution de relogement. Après plusieurs tentatives d’occupation et des longues périodes de campement devant la mairie au cours des deux dernières années, ielles se retrouvent toujours à la rue. Janvier 2017, le local associatif Salamatane est expulsé, ses habitants squattent le trottoir jusqu’à se faire virer par les flics et le froid. Octobre 2017, c’est au tour des familles qui habitent un immeuble rue Gambetta, dans le Bas Montreuil. Les habitant.e.s, pour la plupart des familles de migrants avec enfants, se retrouvent à la rue. Ielles décident de porter plainte contre la mairie, qui est condamnée pour expulsion illégale à les reloger sous 72 heures. Bessac ne se fait pas prier : il met un beau permis de construire sur l’immeuble, fait détruire les pièces à l’intérieur, et ne propose aucune solution de relogement. Dans le même temps, des permis de construire poussent comme des fleurs partout à Montreuil, de la Boissière au Bas Montreuil. On pourrait finir par croire que rénovation urbaine et expulsions vont toujours ensemble…
Et donc, pourquoi le maire est-il aujourd’hui salué partout comme le défenseur des mal-logés ? Pourquoi a-t-il décidé enfin de réquisitionner un bâtiment, après toutes ces expulsions ?
La réquisition et l’arrêté qui vise à expulser les habitants du foyer Bara s’inscrit, en fait, dans un plan de rénovation des foyers qui est en cours depuis les années 1990. La surpopulation et la stagnation de la situation administrative de nombre des habitants des foyers sert de prétexte pour pousser à la réhabilitation de ces endroits. Sauf que souvent cette rénovation ne prend pas en compte les exigences et les envies de ceux qui habitent les foyers. Au contraire, elle se fait selon une logique très particulière qui a pour objectif la destruction du foyer tel qu’il est.
De fait, les réhabilitations achevées depuis 1990 ont amené à une réduction des espaces collectifs à l’intérieur des foyers et à un contrôle majeur de l’accès des habitants et surtout des non-habitants (c’est le cas du foyer Aftam à Noisy-le-Grand ou du foyer de Drancy). Le résultat est simple : atomisation des groupes de résidents et destruction des solidarités à l’intérieur du foyer. Le rapport entre habitants et gérant devient de plus en plus hiérarchisé et voué à l’assistance, passage symbolisé par le changement de statut légal de foyer en résidence sociale. De plus, sous prétexte de rénovation, les bailleurs peuvent se permettre d’augmenter les loyers, qui vont jusqu’à coûter 450 euros pour un studio.
Atomisation, casse des solidarités, destruction des communautés informelles, hausses de loyers… Tout cela ressemble dangereusement à de la gentrification ! Et bien oui, parce qu’en même temps que la nécessité de rénover le foyer Bara devient urgentissime, le Bas Montreuil se gentrifie, se boboïse et se blanchise (sic). De petits cafés bien sympathiques surgissent à côté d’anciens squats murés, des friches qui hébergeaient des Rroms sont transformées en bars « solaires » et petit à petit les pauvres sont refoulé.e.s aux marges de la ville. La multiculturalité est acceptée mais à condition que ce soit loin de son jardin ou dans les rayons « saveur du monde » du Franprix du coin.
Dans tout cela, l’expulsion édulcorée du foyer Bara, que Bessac essaie de présenter comme une victoire politique et humanitaire, n’est en fait que l’énième tentative du maire de cacher un peu plus loin les habitants indésirables de la ville. Parce qu’on le rappelle, le bâtiment de l’Afpa qui a été réquisitionné mercredi dernier, n’est pas adapté à héberger des personnes, car ce sont des anciens bureaux où en plus l’on a retrouvé de l’amiante. On se doute bien que le sort des habitants du foyer Bara sur le long terme ne doit pas entrer dans les préoccupations du maire. D’autant plus que Bessac est maintenant occupé à combattre sa petite guerre contre le préfet sur la peau des résidents du foyer Bara. Au fait ! Les 50 personnes (et non 150 comme s’obstine à écrire Le Parisien) qui ont décidé de déménager de la rue Bara à l’Afpa ont été séquestrées par la police envoyée par la préf pour défendre l’accès au bâtiment. Une réquisition qui ressemble plutôt à de l’enfermement.
Mais surtout, l’accès au bâtiment réquisitionné est réservé aux personnes avec des papiers. Pour les autres, qui vivent actuellement dans le foyer et sont sans-papiers, visiblement il n’y a pas de solution proposée. La réquisition de l’Afpa et l’expulsion du foyer sont donc une seule stratégie pour sortir les sans-papiers et les empêcher de rentrer dans le foyer. « Mettre fin aux conditions de vie indignes », dit Bessac. Mais cela n’est rien d’autre que du tri. Les habitants du foyer le savent bien, et sûrement ils ne remercient pas le maire pour son acte courageux : il veut se débarrasser d’eux, c’est tout.
Alors, Montreuil ville solidaire à quel prix ? Bessac, maire concerné, mais par qui et pourquoi ? Nous ne pouvons pas accepter que des manœuvres politiques et immobilières mettent en danger la vie collective de centaines d’habitants du foyer Bara. Si le foyer Bara est détruit et ses habitants relogés à l’Afpa ou dans un autre bâtiment réquisitionné, on sait très bien quel sera le sort des résidents sans-papiers, qui seront exclus du nouveau projet et laissés à la rue. En tant que personnes habitant le quartier, solidaires et complices de ceux et celles qui luttent au quotidien contre le racisme d’État, nous refusons cet humanitarisme hypocrite et opportuniste.
Le foyer est à ceux qui l’habitent !
Un toit et des papiers pour tous et toutes !
Réquisition de la mairie de Montreuil et de la maison de Bessac !
[Publié le 30 septembre 2018 sur Paris-Luttes.info.]
Nota Bene:
Le Collectif Baras est à ne pas confondre avec le foyer Bara !
Nous sommes des travailleurs migrants arrivés dans le secteur en 2012-2013. Nous n’avons jamais habité au foyer Bara.
Nous avons en revanche été à la rue, pendant plusieurs mois, sur la placette devant ce foyer situé rue Bara à Montreuil. Quand nous avons constitué notre collectif, en 2013, nous avons choisi le nom de Baras d’une part car c’est le nom du lieu où notre lutte a commencé, et de l’autre, parce qu’en bambara ce mot signifie « travailleur ».
La plupart d’entre nous travaillions en effet en Lybie, mais la guerre dans ce pays, en 2011, ne nous a pas laissé d’autre choix que de traverser la Méditerranée pour sauver nos vies. Notre lutte a pour but la régularisation, ainsi que le relogement, de tous les membres du collectif.