Calais: squat de la rue Sauvage, anatomie d’une chute

Le 2 juillet [2024], la mairie de Calais et les flics ont expulsé le squat de la rue Sauvage à Calais. Ce squat a été ouvert en février 2022 par des militant.e.s de Calais et d’un peu partout de france et d’ailleurs. Iels ont rappelé que le droit au logement est un droit pour toustes, et même pour les quelque 1500 personnes qui erraient et errent toujours dans le Calaisis, entre deux expulsions de camps de fortune par les flics, en attendant de rejoindre l’Angleterre par des moyens rendus toujours plus dangereux par la militarisation croissante de la frontière. En parallèle, un peu plus loin dans Calais, une barre d’immeuble – la tour J du Fort Nieulay – avait elle aussi été occupée. Celle-ci avait été expulsée par le RAID, déposé sur le toit de la tour en hélicoptère.

Le squat de la rue Sauvage, lui, a obtenu par le tribunal un délai de 3 ans avant expulsion. C’était en octobre 2022. Cette vieille maison bourgeoise abandonnée depuis au moins 2015 a été un refuge pour des centaines de personnes depuis son ouverture. Pourtant, dès le départ, une partie du voisinage s’est montrée non seulement hostile mais également profondément raciste et violente envers les personnes vivant dans le lieu et leurs soutiens. Injures quotidiennes, entraves au raccordement au réseau électrique, coup de fusil tiré en l’air. C’était sous le regard protecteur de la police, qui a rodé sans relâche devant la maison, quand elle n’était pas tout simplement garée au coin de la rue h24, toujours prête à contrôler les identités de qui allait et venait, à distribuer des contraventions de façon abusive à n’importe quel camion d’association qui venait prêter son soutien aux personnes vivant là. C’était aussi avec le soutien inconditionnel de la mairie de Calais (LR), et du candidat (désormais député) RN, Marc de Fleurian, qui n’ont eu de cesse d’injecter plus de haine xénophobe sur un terrain déjà bien miné. La mairie a par exemple refusé de collecter les ordures ménagères du lieu, et fait procéder au vol de ses bacs poubelles à plusieurs reprises : les nuisances hygiéniques créées étaient aussi néfastes aux habitant.e.s qu’au voisinage, ce sur quoi la mairie a joué pour monter les gens les uns contre les autres.

Début juin dernier, des militant.e.s, dont certain.e.s vivaient dans le squat, se sont mis.es à travailler sans relâche, et ce pendant plus d’un mois. Le but : retaper le lieu défraîchi et permettre d’accueillir des femmes et familles refusées par le 115 qui n’avaient pas d’autre solution d’hébergement, face au constat que cette situation était de plus en plus récurrente ces temps-ci.

Dès l’arrivée des militant.e.s dans le lieu, un groupe de voisin.e.s s’est monté la tête tout seul, menaçant sans décomplexion de ce qu’il pourrait advenir si des personnes migrantes revenaient s’installer ici. Les personnes s’impliquant dans le lieu se sont pourtant montrées fort diplomates et patientes, et ont tenté de les rassurer sur leur volonté que tout se passe bien pour tout le monde : les habitant.e.s, leurs soutiens, et le voisinage.

Le 11 juin, en plein jour et lorsque personne ne se trouvait à l’intérieur du squat, des voisin.e.s se sont introduit.e.s dans le domicile en brisant la chaîne qui fermait l’accès au lieu avec une pince. Iels ont renversé des meubles, cassé des fenêtres, renversé du liquide vaisselle par terre. Iels étaient accompagné.e.s par Charles Piquet, journaliste au torchon local Nord Littoral, qui s’est régalé en filmant les lieux avant de publier la vidéo dans un article prétendant que le squat était vide. Le lieu était pourtant toujours protégé par la décision de justice comme étant le domicile de plusieurs personnes : le fait que les personnes soient parfois de sortie n’y change rien, avoir un domicile n’empêche pas de sortir faire ses courses ou d’être en déplacement quelques jours !

La même nuit, des graffs ultra racistes ont été tagués à l’arrière de la maison : « A bas la tyrannie migratoir ! pour mon terroir », « Leave or burn » (partez ou brûlez), « Fin à l’hypocrisie gauchiste ! Pour la France anticonformiste ».

Le 13 juin, le cadenas permettant l’accès au lieu a été glué, et des inscriptions écrites sur le portail : « Bardella <3 » et « Vive la France aux Français ».

Le 14 juin, les services techniques de la Ville se sont présentés, prêts à murer les lieux. Pas de chance, des personnes se trouvaient à l’intérieur. Des flics municipaux se sont donc autorisés à entrer sans permission et ont tenté de dégager les personnes présentes, qui ont refusé de partir. Les keufs ont alors affiché un arrêté municipal « d’interdiction d’accès et d’habitation », habituellement utilisé sur des bâtiments vides considérés comme dangereux. L’arrêté se base sur la vidéo publiée par le journaliste et le « témoignage des riverains » (qui pour rappel, se sont tou.te.s introduit.e.s par effraction) pour affirmer que le lieu est vide et dangereux. Le plan était tout simplement de murer les lieux et de céder à la pression d’une partie du voisinage hyper-raciste et violente.

Malgré tout, les choses ont suivi leur cours au squat, espace de vie commune entre les militant.e.s et les femmes et familles qui y trouvaient refuge : soirées de soutien chouettes, réus et goûters partagés.

Le 27 juin, une des proprios s’est pointée et a affirmé que la cour d’appel avait révoqué l’octroi du délai de 3 ans. Elle a dit vouloir récupérer la maison bien que n’ayant aucun projet dans l’immédiat, a prétendu ne pas souhaiter envoyer les keufs afin que les choses se passent « sans violence » (comme d’habitude avec les bourgeois.es et leur définition de la violence : des keufs qui expulsent physiquement c’est violent, mais des familles qui dorment dehors, y a pas de problème). Sa proposition était donc que les habitant.e.s partent d’elleux-mêmes, sans quoi elle devrait envoyer un huissier livrer un commandement de quitter les lieux. Après cette visite éclair, plus de nouvelles, pas de passage d’huissier. Donc pas de risque d’expulsion.

Le 2 juillet, au milieu de l’après-midi, alors qu’une personne non-francophone se trouvait seule dans le lieu, les flics municipaux et les services techniques de la ville ont fait leur retour en grande pompe. Philippe Mignonet, l’infâme adjoint à la sécurité de la ville de Calais, avec ses 0% de prérogative de puissance publique, a ordonné à la femme de partir, comme il l’assume fièrement dans un article de Nord Littoral. C’est sur la base de l’arrêté d’interdiction d’accès et d’habitation (et non pas de la décision de la cour d’appel), qui ne permet en aucun cas d’expulser le bâtiment visé, que les services techniques ont procédé au murage total de toute la maison, ainsi que du portail. Allez, encore un bâtiment muré à Calais !

Mais attention ! Il ne s’agit pas d’une expulsion, non, non ! Comme cela a été expliqué par les toutous de la mumu aux personnes spectatrices de leur expulsion, dépitées : il n’y avait personne à l’intérieur quand ils sont arrivés (gros mytho, juste la personne a été intimidée, menacée d’être emmenée au comico puis dégagée, selon son témoignage), le bâtiment était vide, ce n’est donc pas une expulsion. Il s’agit d’un tour de passe-passe d’une malhonnêteté sans nom : s’il n’y a personne à l’intérieur, personne n’est expulsé, alors aucun diagnostic social n’est rendu nécessaire, pas besoin d’une décision de justice ou d’une autorisation de la préfecture pour procéder à une expulsion, et tout simplement : on mure ! Pourtant, rappelons-le : qu’il y ait quelqu’un ou pas à un instant T dans le lieu, ça n’en restait pas moins un domicile (nulle part la définition d’un domicile n’implique une présence 24h/24 dans les lieux).

Toutes les affaires qui se trouvaient à l’intérieur ont été volées et emmenées dans une recyclerie pour une part (mais jamais retrouvées a posteriori). Pour le reste, un type en costard a indiqué qu’il faudrait appeler la sous-préfecture (qui à ce jour reste muette comme une carpe !), sans donner aucune garantie de restitution des biens. Bah oui, comme il n’y avait personne dans le bât’, ce ne sont les affaires de personne donc elles peuvent être volées sans être rendues !

Sauf que la maison était toujours protégée par la décision du tribunal accordant les 3 ans de délai avant expulsion puisqu’aucun huissier n’était venu notifier le contraire (ce qui aurait alors entamé un délai de 2 mois avant de devoir effectivement quitter les lieux). La mairie de Calais a donc procédé à une expulsion qui n’en dit pas son nom, qui est parfaitement illégale et parfaitement dégueulasse. Elle a outrepassé les tribunaux et s’est arrogé une nouvelle prérogative extra-judiciaire. Cela intervient dans un contexte électoral où la mairie LR essayait de faire réélire le député LR face au candidat RN (élu) et de prouver que son parti aussi savait se montrer autoritaire et raciste !

Mission accomplie, et ça a fait bien plaisir aux voisins qui s’en sont donné à cœur joie d’asséner à une personne présente en soutien lors de l’expulsion et qui parlait français avec un accent : « toi t’es pas française, après les élections tu ne pourras plus être là !», devant les flics, tranquilles.

A Calais, les expulsions illégales avec vol d’effets personnels sont quasi-quotidiennes puisque l’État et les flics continuent inlassablement leur harcèlement des personnes migrantes bloquées à la frontière, ainsi que, par ricochet, des personnes et assos qui essaient d’être solidaires envers elles.

Face à la politique des expulsions de bâtiments, de terrains vagues, face à la politique des bâtiments murés et des murs de barbelés hissés toujours plus haut, toujours plus tranchants, restons solidaires ! Ne nous laissons pas amadouer par une majorité soi-disant de gauche à l’Assemblée (qui, à Calais, a appelé à soutenir le député LR proche de la maire, dont les pratiques sont depuis longtemps similaires à celle du RN), la lutte contre l’extrême droite ne se passe pas dans les urnes mais dans la rue, dans nos espaces d’autonomie, alors continuons à les défendre et à les faire vivre !

[Publié le 12 juillet 2024 sur Indymedia-Lille.]