Suite à l’intervention massive de la police la semaine dernière sur le campus de l’Université Libérale de Bruxelles (ULB), les autorités de celle-ci ont envoyé un mail à tout le personnel justifiant leur attitude en nous présentant comme des criminels. Suit la réponse argumentée de certains professeurs…
[un-e étudiant-e de l’ULB]
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1) Email recteur.
From : ulb-autorites [at] ulb [point] ac [point] be
Subject : Mesures suite aux actes délictueux récents commis sur nos campus
Date : 18 December 2004 04:05:28 GMT+01:00
To : ids [at] ulb [point] ac [point] be
Cher(e) Collègue,
Le Bureau de lUniversité réuni en séance extraordinaire ce 17 décembre a pris connaissance des actes délictueux qui ont amené les forces de lordre à intervenir sur nos campus ces derniers jours.
Effractions, déprédations, perturbations des cours, coups et blessures ont été condamnés sévèrement par le Bureau. Vu lurgence, lappel aux forces de lordre était indispensable.
Le Bureau a aussi constaté que lUniversité était la cible dactions émanant dun mouvement sattaquant au système démocratique (« La démocratie est lennemie », « Que crève le monde »).
Certains tracts annonçant des opérations « coup de poing » visant à la « déstabilisation du système », le Bureau a formé en son sein un comité chargé de prendre toutes les mesures appropriées pour permettre le déroulement normal de lenseignement et de la recherche et le fonctionnement démocratique de nos institutions.
Nous vous invitons à nous signaler toute perturbation dont vous pourriez être lobjet au 02 650 26 14.
Soyez assur(é)e, Cher(e) Collègue, de notre volonté de défendre nos valeurs et recevez lexpression de nos sentiments le meilleurs.
Jean-Louis VANHERWEGHEM Président du Conseil dadministration de lULB
Pierre DE MARET Recteur de lULB
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2) Réponse profs
Monsieur le Président, Monsieur le Recteur,
Nous venons de recevoir votre message intitulé « Mesures suite aux actes délictueux récents sur nos campus », et nous craignons quil ne reflète quune vision unilatérale des événements liés à linitiative étudiante du foyer autogéré. Nous avons été surpris par labsence de tout fait précis corroborant les dénonciations dont cette initiative est lobjet, dénonciations qui justifient apparemment une mobilisation de la communauté universitaire allant jusquà ce qui peut sapparenter à un véritable appel à la délation.
Inquiets de la tournure des événements, nous avons collecté des compléments dinformation, dune part auprès de membres du CA, dautre part auprès des étudiants qui avaient occupé le foyer. Ces informations sont contradictoires et il existe apparemment plusieurs lectures possibles des derniers événements. La situation nous semble suffisamment grave pour imposer que chacun ait accès aux différentes sources dinformation, et nous vous demandons donc de communiquer le présent message aux destinataires de votre courriel du 18 décembre, ainsi quà lensemble de la communauté universitaire.
Tout dabord, nous ne trouvons aucune trace, dans votre message, de la motivation initiale de loccupation du foyer : cette initiative répondait au constat que les plans de rénovation des cités ne prévoient aucun espace public (non commercialisé, non consommable) de rencontre, déchange, et de convivialité. Ceci mérite dêtre rappelé et il serait utile que le Conseil dAdministration corrige cet oubli, si lUniversité désire continuer à remplir une de ses fonctions essentielles : être un espace ouvert à tous ceux qui désirent sinformer, échanger des savoirs et dialoguer. Cette fonction est importante, non seulement pour les étudiants, mais pour linstitution dans son ensemble.
Dans votre message, linitiative du foyer autogéré est décrite comme un mouvement anti-démocratique, qui nhésite pas à recourir à leffraction, à la violence (coups et blessures) et à la déprédation, dans le seul but de déstabiliser le système.
Les étudiants du foyer ne se reconnaissent pas dans cette description. Daprès leurs témoignages (confirmés par quelques enseignants et chercheurs qui ont été en contact avec eux durant les deux mois de loccupation), le mouvement se voulait au contraire une expérience de démocratie participative : les décisions sy prenaient de façon transparente, au sein dassemblées générales quotidiennes. Ces témoignages nous font penser quil sagissait dune initiative sans aucun danger pour linstitution, et même salutaire, dans la mesure où elle développait, chez ces étudiants, certaines valeurs dont nous avons pris lhabitude de nous targuer : participation, autonomie, esprit critique, curiosité, ouverture à la connaissance, soif de dialogue,… Les craintes que vous exprimez dans votre message nous semblent donc démesurées : pensez-vous réellement que cette poignée détudiants ait lintention ou la capacité de « déstabiliser le système », de sattaquer à la démocratie, et de faire « crever le monde » ? Ceci ne correspond ni à lobjectif (maintenir à lULB un espace public de rencontre et de dialogue) ni à létat desprit (démocratie participative, invitation de tous à participer aux assemblées générales) exprimés dans la plupart des documents diffusés par ce groupe.
Les extraits de tracts que vous avez communiqués émanent vraisemblablement dindividus isolés et sont loin de refléter le mouvement dans son ensemble. Après quelques recherches, nous avons pu obtenir le communiqué doù sont extraites certaines des citations de votre courriel. Dune part, les étudiants du foyer nous assurent que ce texte ne provient pas de leur groupe. Dautre part, les termes « déstabilisation du système » sont extraits de la phrase suivante : « Plus globalement, elles [ces opérations] doivent êtres vues comme un esquisse de déstabilisation du système de répressions, de criminalisation et de privatisations auquel nous faisons face. ». Indépendamment de ce quon peut penser de ce texte, le fait de tronquer la fin de la phrase en trahit indéniablement le sens. Nous sommes surpris que vous nous présentiez ainsi des « morceaux choisis » extraits de leur contexte et ne permettant pas den apprécier le sens. La globalisation de laccusation au départ de slogans mis en épingle, damalgames et de citations tronquées, nous rappelle des pratiques qui nont jamais fait partie des traditions de notre maison.
Par ailleurs, la réponse de linstitution nous semble disproportionnée, maladroite et inadéquate. Le CA a investi de pouvoirs spéciaux une cellule de crise dont lactivité, jusquà présent a essentiellement consisté à appeler les forces de police sur le campus. Cette politique sécuritaire a visiblement eu pour effet damplifier le conflit plutôt que de le résoudre. Le recours systématique à la police était-il nécessaire ? Se justifiait-il par un danger pour linstitution ou pour certains de ses membres ? Etait-il indispensable dentamer des poursuites judiciaires contre certains étudiants du mouvement (notamment, un procès pour « vol délectricité » contre les organisateurs dun concert) ? Luniversité ne dispose-t-elle daucun moyen pour régler ce genre de divergences de façon interne et pacifique ?
Certes, ce mouvement a enfreint certains règlements de luniversité : occupation des locaux, bris du cadenas quon y avait apposé, organisation de conférences et de concerts sans en demander lautorisation. Certes, suite aux expulsions et aux interventions policières, on a assisté à un durcissement des positions et le dialogue est devenu de plus en plus difficile.
Cependant, daprès les étudiants, certaines accusations (coups et blessures, déprédations) sont exagérées ou erronées. On ne leur a pas encore laissé loccasion de se défendre à ce propos. Des représentants de ce mouvement ont introduit, la semaine passée, une demande pour envoyer à la communauté universitaire un message dinformation (description de linitiative du foyer et témoignages concernant les interventions policières sur le campus), ceci leur a été refusé. Pourquoi ?
Il nous semble indigne des principes dont se prévaut notre université daccuser collectivement un groupe détudiants sur base de quelques actes isolés, sans leur donner les moyens de faire connaître leur propre version des faits. Une telle politique reviendrait à criminaliser un mouvement dont les revendications sont essentiellement politiques et dont les pratiques sont non-violentes.
Il est important que la lumière soit faite sur les événements dans leur ensemble, en collectant les témoignages des différentes parties. Nous pensons quune université digne de ce nom devrait faire appel à la raison et au dialogue, plutôt quà la force, pour gérer ce différend.
Soyez assurés, Monsieur le Président, Monsieur le Recteur, de notre volonté de défendre les valeurs que vous invoquez (libre examen, analyse critique des sources dinformation, ouverture au dialogue) et recevez lexpression de nos sentiments les meilleurs.
Jacques van Helden, Jean-Claude Grégoire, Marcelle Stroobants, Isabelle Stengers, Mateo Alaluf, Anne Morelli
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