Amsterdam : des squatters gagnent leur procès !

En décembre 2024, un groupe de squatters a décidé d’emménager dans un immeuble de bureaux vacant au sud-est d’Amsterdam. Le propriétaire, une société d’investissement immobilier liée à la tristement célèbre Blackstone, n’est pas content, les affronte au tribunal et perd.

L’ancien centre de données de Verizon était vide depuis un peu plus d’un an. Actuellement détenu par une société d’investissement immobilier appelée Loonie Propco, nous y reviendrons plus tard. L’immeuble est situé dans un quartier qui va être réaménagé, c’est-à-dire boboïsé, urbanisé, gentrifié. Bien sûr, nous ne sommes pas contre la construction de logements, nous avons juste des doutes sur le nombre de logements à prix abordables. (1)
Les plans en sont encore à leurs débuts, donc pour la parcelle en question, il pourrait s’écouler quelques années avant qu’ils ne commencent les travaux. La démolition est certainement ce qui se passera.

L’assignation à comparaître

Quelques semaines après l’arrivée des squatters, et lorsque les travailleurs de la société immobilière sont revenus de leurs vacances de Noël, une assignation à comparaître a été envoyée aux squatters. En bref, les arguments du propriétaire étaient les suivants :
– le bâtiment n’est pratiquement pas habitable car il n’y a pas d’électricité.
– le bâtiment n’est légalement pas habitable car le plan de zonage est bureau et industrie.
– Les squatters créent une situation dangereuse, iels pourraient mettre le feu au bâtiment parce qu’iels ont froid !
– Le propriétaire s’engage à fournir un logement aux habitant-es de la ville et à contribuer à mettre fin à la crise du logement ! Les squatters, cependant, empêchent ces nobles objectifs en vivant dans le bâtiment vide.

Le propriétaire

La société Loonie Propco est détenue par Mariaan Kennedy (2), Hendrik de Wit (3) et Steven Charles Shadbolt (4). Quelques recherches à la Chambre de Commerce et sur internet ont révélé un lien avec Blackstone, un énorme fonds d’investissement spécialisé dans l’immobilier, qui spécule et gagne de l’argent sur le besoin fondamental des gens d’avoir un logement. Il y a quelque temps, ils ont fait la une des journaux parce qu’il a été révélé qu’ils ne payaient pas d’impôts pour l’énorme quantité de logements qu’ils possèdent aux Pays-Bas (5), ce qui a même conduit à des discussion au Parlement. (6) On dit souvent que les squatters sont des parasites, essayant de s’échapper de la société en vivant gratuitement. Ces entreprises sont les vrais parasites, amassant des millions sur le dos de tout le monde. Elles ont un mépris total des droits humains fondamentaux. (7)(8)

Le procès

Le 18 mars, les squatters ont fait face au propriétaire devant le tribunal. Le dossier du côté du propriétaire était faible. Ils ont admis que le bâtiment n’allait plus être utilisé jusqu’à sa démolition, estimée en 2027. Aucune preuve de discussions avec la municipalité n’a été fournie, ni aucune demande de permis. La raison avancée par le propriétaire pour ne pas avoir loué temporairement le bâtiment en gardiennage (non pas que nous aimerions encourager la lutte contre les squats), seraient les coûts de rebranchement de l’électricité, 170.000 euros. La vérité, c’est qu’ils n’en avaient probablement rien à foutre et n’ont même pas vraiment imaginé cette possibilité.
Il y avait quelques points sur les normes de sécurité, contre les incendies, mais les squatters avait organisé une inspection indépendante qui a montré au juge qu’iels prenaient effectivement ces normes au sérieux ; nous partagerons les points exacts et les étapes prises avec une KSU (KraakSpreekUur, service d’assistance au squat) locale au cas où quelqu’un-e voudrait en savoir plus. Autre point, le propriétaire a prétendu qu’il avait besoin d’accéder au bâtiment pour faire diverses études avant de le démolir. Les squatters avaient dit au propriétaire dès le début qu’ils étaient ouverts pour discuter, mais le propriétaire a refusé de rentrer en contact. Au cas où le verdict n’apparaîtrait pas sur rechtspraak. nl , nous partagerons également le verdict complet avec nos KSU locales pour ceux et celles qui sont intéressé-es.

Le résultat

Une semaine après le procès, le propriétaire, se rendant probablement compte qu’il risquait de perdre, a fait une tentative désespérée pour faire partir les squatters. L’avocat du propriétaire a envoyé une lettre à la personne qui a porté l’affaire en justice sous son nom et lui a promis qu’elle ferait tout ce qu’elle pouvait pour la rendre financièrement responsable de tous les dommages qui ont été causés à l’immeuble et de tous les dommages qui pourraient survenir à l’avenir, avec pour point final de faire une réclamation de 12 millions d’euros, au cas où le bâtiment brûlerait.
Les squatters ont deux semaines pour partir volontairement. Après une rapide consultation avec l’avocat, les squatters ont réalisé qu’il s’agissait de pure intimidation. Tout d’abord, il est étrange de réclamer des dommages et intérêts avant même d’avoir pu évaluer s’il y a eu le moindre dommage. Quelques exemples des supposés dommages seraient des vis dans les murs pour fixer les détecteurs de fumée et d’autres mesures de sécurité. Deuxièmement, le bâtiment va être démoli, donc il n’aurait évidemment pas d’importance s’il y a des dommages mineurs sur la peinture des murs. Troisièmement, poursuivre quelqu’un pour tous les dommages qui pourraient hypothétiquement survenir à un bâtiment à un moment donné dans l’avenir ne semble pas avoir beaucoup de sens.
Le propriétaire a également réussi à faire en sorte que l’un des employés de l’immeuble de bureaux voisin (qu’ils possèdent également) soit leur espion privé. Ils ont déjà avancé des affirmations aléatoires de groupes de squatters se réunissant dans leur cafétéria, vidant les réfrigérateurs et prenant des douches. Heureusement, le juge n’a même pas prêté attention à ces histoires infondées et les a ignorées. En tant que bon voisin, notre petit mouchard est prêt à sauter sur le téléphone dès qu’il voit quelque chose qui sort de l’ordinaire. L’autre jour, alors que les squatters sécurisaient la barrière automatique qui donne accès au terrain, nous l’avons surpris en train d’appeler immédiatement le propriétaire pour leur dire que nous détruisions leur propriété. Détail amusant : c’était en fait des employés du bureau qui sont venus s’amuser avec la barrière automatique après un de leurs vendredis après-midi alcoolisés. Le propriétaire les a-t-il envoyés? Nous ne savons pas, mais nous n’en serions pas surpris-es.

Le verdict

Deux semaines plus tard, le 1er avril, les squatters apprirent qu’iels avaient gagné le procès ! Le juge a donné raison aux squatters sur tous les points, à commencer par le fait qu’une expulsion n’est justifiée que lorsque le propriétaire peut prouver qu’il a des plans immédiats. Le propriétaire n’a pu étayer aucune de leurs affirmations. Le juge les a donc rejetés. Pour ceux et celles qui seraient intéressé-es par le verdict complet, allez visiter la KSU Oost à Joe’s Garage.

Les conséquences

Comme il est d’usage, la partie perdante d’une procédure civile doit payer les frais. Lorsque l’avocate des squatters, Juanita van Lunen, a décidé de demander l’argent à Loonie Propco, elle a obtenu une réponse plutôt étrange. Ils ont refusé de payer parce qu’ils ont toujours l’intention de poursuivre les squatters en justice pour les dommages. Ils sont convaincus qu’ils gagneront cette affaire et que les dommages seront supérieurs aux frais de justice de l’affaire civile. Nos seigneurs de l’immobilier montrent une fois de plus qu’ils ne se soucient pas de la loi si c’est eux qui doivent y obéir. Ils peuvent s’attendre à la visite d’un huissier et éventuellement à une saisie s’ils ne paient pas.

La deuxième assignation

Quelques semaines après avoir perdu au civil, le propriétaire a décidé de continuer à harceler. Il y a quelques jours, les squatters ont reçu une nouvelle assignation, une « bodemprocedure » (ndlr: une procédure qui prendra des mois voire plus). Le propriétaire poursuit les squatters en justice pour tous les dommages supposés qui ont été causés à l’immeuble. Les dommages qu’ils mentionnent sont bizarres : quelques vis dans le mur et quelques améliorations mineures au niveau sécurité. Le bâtiment va être démoli, il ne sera donc plus jamais utilisé. Ils veulent aussi de l’argent pour leurs frais juridiques qu’ils ont eux-mêmes entraîné. Ils ont décidé de poursuivre les squatters en justice et ont perdu. Il semble ridicule de réclamer ces coûts aux squatters.


Les services d’assistance au squat aux Pays-Bas: https://radar.squat.net/fr/groups/country/NL/country/NL/topic/spreekuur-ksu
Des squats aux Pays-Bas: https://radar.squat.net/fr/groups/country/NL/squated/squat
Des groupes (centres sociaux, collectifs, squats) aux Pays-Bas: https://radar.squat.net/fr/groups/country/NL
Des événements aux Pays-Bas: https://radar.squat.net/fr/events/country/NL


(1) https://www.amsterdam.nl/projecten/muyskenkwartier/
(2) https://www.revantage.com/europe/luxembourg-amsterdam/team/mariaan-kennedy/
(3) https://www.linkedin.com/in/heindewit/
(4) https://www.linkedin.com/in/scs1966/
(5) https://www.volkskrant.nl/nieuws-achtergrond/omstreden-huizenopkoper-bla…
(6) https://zoek.officielebekendmakingen.nl/kv-tk-2021Z16525.html
(7) https://www.volkskrant.nl/economie/baas-van-durfinvesteerder-blackstone-harkt-inkomen-van-1-miljard-dollar-bijeen~bd000250f/
(8) https://www.volkskrant.nl/economie/met-dank-aan-blackstone-ging-de-huur-in-deze-straat-van-500-naar-2-500-euro-zelfs-de-expat-vindt-het-duur~bd86e23e/