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Jeudi 27 mai [2010], fourches et bêches en bataille, une soixantaine de personnes se sont réunies devant la mairie à l’appel du Potager collectif des Lentillères (Pot’Col’Le) pour soutenir les habitant-e-s de la « Villa », maison occupée depuis février 2010 rue Philippe Guignard et menacée d’expulsion par la mairie à partir du 5 juin.
Cette imposante bâtisse, dotée d’un grand jardin, avait été rachetée 500 000 euros en janvier 2010 par la mairie de Dijon, qui n’ayant aucun projet avant quelques années sur ces terrains, avait décidé d’appliquer une politique sociale en vogue, la « dévitalisation ». En d’autres termes le démantèlement du toit, tuile par tuile, afin d’empêcher toute tentative d’occupation. Laisser les maisons pourrir aux aléas météorologiques semble être devenu un réflexe de la part du maire de Dijon.
Raison de plus pour occuper le bâtiment. C’est ainsi qu’un collectif de personnes sans logis s’est rapidement mis en tête d’occuper cette maison et de réhabiliter le toit, afin de s’y installer. Un beau pied nez à l’hypocrisie socialiste. En effet, quelques mois plus tôt, le maire François Rebsamen avait formulé une proposition de loi sur les logements vacants, qui intégrait d’une part une taxe sur les logements vides, et d’autres part, la possibilité pour les maires d’exproprier les propriétaires au bout de 3 ans de vacance. [1] Schizophrénie rebsamienne ou profond foutage de gueule ?
Pour le coup, la vérité est loin d’être ailleurs… En effet, dans sa grande piété, la mairie de Dijon attaqua très rapidement les habitant-e-s, n’hésitant pas à user de calomnies pour défendre son droit de propriété : selon l’avocat de la mairie, la maison aurait été à la limite de s’écrouler, suite à plusieurs années sans toit, elle aurait également été victime d’un incendie à l’origine de la calcination et de la fragilisation du toit. La mairie demanda ainsi au tribunal l’expulsion immédiate de la « Villa », afin de protéger les habitant-e-s des risques qu’illes encouraient dans leur grande irresponsabilité. Le juge, loin d’être dupe, accorda un court délai de 2 mois aux habitant-e-s.
Le 28 mars, dans la foulée de ce verdict, un collectif de citadin-e-s et paysan-ne-s a réquisitionné d’anciennes terres maraichères laissées en friche pour y débuter un jardin collectif ouvert à toutes et à tous. Rapidement, habitant-e-s de la Villa se sont rallié-e-s au potager nouvellement initié, faisant profiter les jardinier-e-s de leur dépendance et leur espace, pour stocker les outils, permettre la préparation des semis et accueillir les réunions du collectif de jardinier-e-s erroristes. La « Villa » est ainsi rapidement devenue un espace ressource, primordial au bon fonctionnement du potager collectif.
Au delà de ces relations privilégiées avec le potager, elle est devenue un véritable lieu de rencontres, de réflexion et d’échanges conviviaux, au travers de concerts, projections, bouffes de quartiers, régulièrement organisés. Elle est pourtant menacée d’expulsion à partir du 5 juin par la ville de Dijon, ce qui correspond à la fin du délai accordé par le tribunal d’instance. Une ville de Dijon loin de voir d’un bon oeil les expériences de réappropriation et d’organisation collective, et qui préfère dévitaliser et détruire les bâtiments qu’elle rachète dans le cadre de ce type d’opération foncière, plutôt que les voir usités…
Ce jeudi 27 mai, suite à la manif interprofessionnelle, membres du potager collectif et habitant-e-s de la « Villa » se sont installé-e-s devant la mairie, afin d’expliquer la situation du jardin et de la « Villa », distribuant tracts explicatifs, jus de fruits, tisanes ou cafés aux manifestant-e-s de la manif interpro et aux passant-e-s. Vers 17h30, le groupe se dirigea prestement vers les grilles de la mairie, armé-e-s de bêches, fourches, binettes et de brouettes, n’hésitant pas à improviser une batucada sur les grilles de la mairie. Les slogans, disons-le, d’une rare qualité, ont été promptement repris en choeur par une semi-foule en délire. Rapidement alerté par ce vacarme, et probablement surpris par cette jacquerie urbaine se déroulant sous ses fenêtres, un des adjoints au maire proposa une entrevue. C’est ainsi que 3 personnes suivirent l’élu pour discuter dans son vaste bureau, au style plutôt cosy. A la sortie, pas grand chose de concret, bien sûr, si ce n’est l’organisation probable d’une entrevue avec le maire.
La mairie, par l’intermédiaire de l’Etablissement Public Foncier Local (EPFL), est en train de racheter progressivement, parcelle par parcelle, l’ensemble du quartier, en vue d’un projet « d’écoquartier ». Un écoquartier qui sera la cause du bétonnage, irréversible, de ces terres maraichères. Un écoquartier laissant la part belle à la bagnole, si l’on en croit la volonté actuelle de construire un parking aérien afin de protéger phoniquement le futur quartier des désagréments ferroviaires (en lieu et place d’une large bande de terres sauvegardées qui pourraient avoir le même intérêt d’un point de vue des nuisances sonores). Un écoquartier fait de maisons individuelles et de jardins privatifs, de rues proprettes et aseptisées, rythmé par d’incessantes migrations pendulaires, sans vie. Un écoquartier pas prêt non plus de voir le jour selon les dires de certains élus. Dans ce contexte, habitant-e-s de la « Villa » et jardinier-e-s restent déterminé-e-s a poursuivre les expérimentations sociales et agronomiques engagées sur ce bout de quartier abandonné. L’expulsion de la « Villa » constituerait un énorme gâchis, inacceptable pour de nombreux-ses Dijonnais-es, qui d’ailleurs n’hésitent pas à interpeller la mairie à ce sujet.
Ensemble, revendiquons une autre conception politique de la ville, propice aux rencontres, à l’échange, au partage de savoirs, à une conception plus autonome de nos vies, loin des délires mégalo d’attractivité économique, de sécurité, du doux rêve d’aseptisation et de contrôle social que formule régulièrement notre bon maire dans son action municipale.
Affaire a suivre, donc…
Pot’Col’Le
Note:
[1] Dijonscope, 18 novembre 2009
http://www.dijonscope.com/006185-un-rendez-vous-entre-pelles-et-rateaux