Le 8 novembre 2003, des anarchistes de Rovereto (une petite ville du nord de l’Italie dans la province du Trentino) ont réoccupé pour la troisième fois un hangar vide, le Bocciodromo occupato. Il s’en sont fait expulser le 14 novembre [2003], les 9 personnes personnes présentes envoyées en prison (les 7 hommes à Bolzano, province de l’Alto Adige, les deux femmes à Vérone). Le procureur a requis jusqu’à trois ans de prison pour « vol aggravé d’énergie électrique » et « occupation illégale » le 17 novembre. Deux ont été acquittés, 6 condamnés à 6 mois avec sursis et un à 8 mois (parce que « récidiviste »). Miroslav Bogunovic est resté en prison une semaine supplèmentaire parce que les flics l’accusent en plus de « vol aggravé » parce qu’il aurait, la veille de l’expulsion, dérobé la disquette d’un photographe local (Fulvio Fiorini) venu photographier les lieux. Il est en attente de la fixation d’une date de procès et interdit de séjour à Rovereto.
Le nouveau préfet du Trentino, Francesco Colucci (célèbre pour sa gestion du G8 à Gênes [juillet 2001] où il était en fonction) fait son bonhomme de chemin : outre l’expulsion du lieu, la condamnation des 7 personnes puis la détention prolongée d’un compagnon à présent en attente de procès, 16 personnes venues faire un coucou bruyant à Bolzano aux emprisonnés ont recu une interdiction de séjour dans cette ville de deux ans, un compagnon espagnol condamné pour cette occupation a recu une interdiction de séjour à vie de toute l’Italie, et au moins quatre interdictions de séjour et transit à Rovereto (où se trouve la gare, mais aussi les centres administratifs et surtout leurs affinités) pour trois ans ont été notifiées aux anarchistes du coin qui vivent dans les petits villages des alentours et n’ont pas leur résidence administrative dans cette ville.
On trouvera ci-dessous une traduction de l’italien des différents textes des compagnons anarchistes de Rovereto et Trento (voir aussi sur le site de Tout le monde dehors ! http://toutmondehors.free.fr/italie/archital.html).
Tract de réoccupation du Bocciodromo occupato, début novembre 2003
Nous sommes revenus. Malgré les expulsions et la répression, malgré la tentative de criminalisation, nous sommes de nouveau là, au Bocciodromo.
Nous sommes revenus parce que la répression fait moins peur que l’horreur de ce monde, est moins mortelle que la pollution et le bétonnage, que les organismes génétiquement modifiés, elle fait moins peur que l’idée de ne pouvoir rien faire pour changer tout cela.
Tous les jours, au nom de l’argent et du pouvoir, des milliers de personnes sont tuées, enfermées et torturées, on déforeste et on empoisonne. Ceux qui le font, ce sont la police, l’armée, les usines, les automobiles et tous les produits de l’industrialisation, ce sont les lois qui permettent des tragédies comme celle de Lampedusa. C’est ce que nous appelons, nous, le terrorisme, celui que pratiquent les Etats et les multinationales de l’économie (il n’existe pas de différence entre eux), et ceux qui nient cela sont des crétins ou des hypocrites qui marchent dans ce monde pourri, sur la vie de merde qui enserre les autres.
L’occupation est un des modes que nous avons trouvé pour réussir à arracher un espace où nous pouvons nous confronter sur ces questions, un espace qui soit réellement libre, autogéré, où recréer la socialité et la solidarité que ce monde est en train de détruire, mais aussi où nous divertir. Un lieu où chercher collectivement des solutions aux problèmes collectifs, sans le mécanisme de la délégation, où reprendre en main nos vies, parce que nous en sommes privés depuis trop longtemps.
Le propriétaire du lieu a l’intention de le démolir et il restait inutilisé jusqu’à aujourd’hui, comme des milliers d’autres. Parmi ceux-ci, il y avait également l’ex-Peterlini que nous avons occupé l’année dernière et qui a été immédiatement expulsé parce que propriété de la province, c’est-à-dire de tous, c’est-à-dire de personne, parce que PERSONNE ne peut l’utiliser (et aussi parce que la police et les pompiers, lorsqu’ils l’ont expulsé, l’ont détruit pour éviter que quelqu’un ne l’utilise), un bel exemple de bien « public ».
Comme d’habitude, le Bocciodromo sera ouvert à toute personne qui veut faire vivre ses propres idées, ses propres élans, et sera évidemment fermé à la police, aux chacals politiques et journalistiques qui participent chaque jour à construire cet état des choses.
Cherchons une voie de sortie avant qu’il ne soit trop tard.
Nous vous invitons à une assemblée publique samedi 8 novembre à 15h
Au Bocciodromo occupato, via Parteli, Rovereto Pour discuter du futur du Bocciodromo (chataignes et vin chaud)
Les occupants
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Qui sont les terroristes ?
La « guerre au terrorisme » est une arme de propagande formidable pour les Etats pour légitimer à la fois toute agression militaire à l’extérieur et en même temps tout dissensus interne. Au nom de la « lutte contre les terroristes » ont été justifiés -et c’est seulement le début- les massacres des populations afghanes et irakiennes, lutte dont l’objectif réel était et est toujours le contrôle des ressources énergétiques de ces zones. La politique est l’art de travestir les faits en changeant les mots. Alors c’est vrai, le terrorisme ce n’est pas de tuer plus d’un million de civils (uniquement en Irak). Le terrorisme, ce n’est pas contraindre des millions de personnes à vivre dans des conditions inacceptables. Le terrorisme, ce n’est pas de bétonner les forêts, éraser les montagnes, polluer l’air et aller jusqu’à vendre l’eau. Le terrorisme, ce n’est pas de continuer une recherche scientifique et technologique qui rend nos vies toujours plus artificielles, pénètre nos corps, modifie la nature de façon irréversible. Le terrorisme, ce n’est pas de frapper et torturer des manifestants [référence à Gênes], ce n’est pas d’enfermer et de déporter des êtres humains dont l’unique faute est de de n’avoir pas de papiers en règle. Tout ceci, ils l’appellent l’économie, la civilisation, le progrès, l’ordre public. Dans ce monde à l’envers, les terroristes ce sont les guérilleros irakiens, les terroristes ce sont les BR [Brigades rouges] qui tuent un économiste qui passait ses journées à étudier comment pressurer encore plus les travailleurs pour le compte des patrons. Les terroristes ce sont les gens qui s’opposent à la dévastation de l’environnement en sabotant des pylônes, des remonte-pentes, des antennes-relais de téléphones portables. Les terroristes, ce sont les compagnons et les milliers d’insurgés de ce monde qui opposent la violence à la violence policière. Mais qu’est-ce vraiment le terrorisme ?
Si le terrorisme est -selon sa définition historique- « l’usage de la violence indiscriminée à fin de conquérir, consolider ou défendre le pouvoir politique », alors les terroristes ce sont les Etats, les patrons, leurs esclaves à gage et leurs laboratoires de mort. Celui qui s’insurge, qui se rebelle -même avec violence- pour se libérer, lui et les autres, n’est pas un terroriste. Il y a un abîme qui sépare la violence révolutionnaire de celle du pouvoir. Cette dernière est toujours indiscriminée.
C’est justement pour cela que cette guerre à l’intelligence qu’ils appellent « guerre au terrorisme » (et qui en pratique signifie : moins de droit de grève, moins de possibilité de critique, plus de contrôle, plus de police, plus de prisons) ne doit pas passer. Autrement, tout dissensus réel deviendra du « soutien au terrorisme », et le terrorisme des dominants sera sans frein.
Il n’est pas surprenant que les syndicats d’Etat -dont les travailleurs ont appris à connaître leur sens de la collaboration sur leur propre dos- descendent la semaine prochaine dans la rue pour manifester « contre le terrorisme », ni qu’il y aura même à leur côté des membres du gouvernement. Les dirigeants politiques et syndicaux ont tout à perdre des lutles qui les dépassent, c’est pour cela qu’ils les difament et les répriment dès leur naissance. Ce sont les ennemis historiques de toute émancipation.
Ce qui donne la nausée, en fait, est que des travailleurs soient prêts à se rassembler derrière eux. On ne nous terrorisera pas disait une banderole syndicale après l’assassinat de Biagi. On peut faire toutes les critiques que l’on veut aux BR, à leur stalinisme, et même critiquer l’usage de la violence révolutionnaire. Mais ce qui est indigne et répugnant est d’affirmer que les BR (pour rester sur cet exemple) voulaient et veulent terroriser les travailleurs. Lesquels ? Les mêmes travailleurs qui descendaient dans la rue contre la « loi Biagi », une loi qui déteriorera encore plus leurs conditions de vie ? Les intérêts des travailleurs s’identifient-ils avec ceux des patrons et de leurs serfs ?
N’attendons pas que quelqu’un d’autre dénonce cette escroquerie. Dans un pays où les intellectuels sont parmi les plus serviles du monde, les travailleurs ne peuvent compter que sur eux-mêmes [et même dans le cas inverse !].
Que les syndicats et le gouvernement fassent eux-mêmes leurs parades répressives et anti-prolétaires. Nous avons bien d’autres morts à pleurer -au travail, dans les rues et les prisons- et bien d’autres combats à mener.
Quelques anarchistes
[tract d’appel à un débat au Bocciodromo le 14 novembre 2003, la veille de l’explosion d’une bombe tuant 19 carabiniers en Irak et en blessant une dizaine. Une banderole sur le toit du lieu occupé disait : « On récolte ce qu’on sème. Troupes hors d’Irak, forces armées hors du monde ». Le Bocciodromo a été expulsé deux jours après.]
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A propos du procès des 9 compagnons de Rovereto
Hier, 17 novembre [2003], s’est tenu à Rovereto le procès contre les 9 compagnons arretés vendredi après-midi dernier au cours de l’expulsion du Bocciodromo, un endroit réoccupé pour la troisième fois la semaine dernière. Dans un climat répressif général, un simple branchement abusif d’électricité a suffi comme prétexte pour arrêter les compagnons. Devant un tribunal blindé (au moins 150 flics selon les journaux), à partir de dix heures du matin un rassemblement de solidarité a eu lieu, auquel ont participé une cinquantaine de compagnons et amis des arrêtés. La sentence est arrivée vers 18h30 : deux des arrêtés sont acquittés, six condamnés à 6 mois de prison, un à 8 mois, tous avec sursis ce qui fait qu’ils sont sortis de prison dans la soirée. Tous, excepté Bogu, pour lequel le juge a ordonné la prison préventive suite à une autre procédure : ce compagnon est en fait accusé de « vol aggravé » [en italien « rapina aggravata »] sur la base d’une identification faite par un photographe qui travaille pour le journal Trentino. Les faits sont les suivants : le photographe en question, venu au Bocciodromo pour prendre des photos, a été dégagé fermement après qu’un compagnon l’ait invité plusieurs fois et inutilement à s’en aller, et après que nous ayons dit (et aussi à lui en particulier) et écrit mille fois que nous ne voulions pas de journalistes dans les pattes. Le « vol » consisterait en la soustraction d’une disquette (l’équivalent de la pellicule dans les appareils digitaux). Aujourd’hui, on finit en prison pour ça. D’autre part, le procureur avait demandé trois ans pour le « vol aggravé d’énergie électrique ». Les peines finalement distribuées par le juge, en tenant compte que le procès se tenait selon la procédure de « rito abbreviato » (1) (qui prévoit la réduction automatique d’un tiers de la peine), ne sont que trop parlantes.
Une fois le procès terminé, les compagnons dehors sont partis en cortège spontané vers le centre ville, où quelques interventions au mégaphone ont eu lieu. Lors de la dispersion, la place s’est remplie de flics qui ont encerclé les manifestants. Seule la présence intriguée des gens autour nous a permis de partir sans donner de papiers d’identité.
A présent commence la bataille pour libérer Bogu, et contre la presse du régime et ses photographes. Tout ceci est d’autant plus significatif que le photographe qui a fait finir Bogu en prison, Fulvio Fiorini, faisait partie dans les années 70 du groupe local Serantini et se définit aujourd’hui encore comme anarchiste. De plus, des compagnons du groupe de l’époque avaient frappé et allégé de son appareil un photographe accouru prendre les vitrines cassées d’un supermarché, lors d’une grève générale en 1976. Pour quelques uns, les temps ont vraiment changé : à présent tous les politiciens – de droite à gauche – et l’Ordre des journalistes expriment leur solidarité au photographe, « vrai anarchiste » et « citoyen exemplaire ». Quel spectacle. Nous arracherons Bogu de ce lynchage médiatique. Nous continuerons – vu que ceci a été motif réel des arrestations – à répéter que les terroristes, ce sont l’Etat et les patrons, et que les carabiniers tués en Irak n’étaient pas des héros mais bien des assassins. Nous communiquerons bientôt les initiatives prévues.
Bogu est emprisonné à Bolzano. Le salut que nous avons passé dimanche aux 7 compagnons (les compagnes étaient détenues à Vérone) et à tous les prisonniers, au pied de cette prison – avec des banderoles, des cris et des pétards -, a contribué à créer à l’intérieur une ambiance de solidarité. D’ailleurs, 16 compagnons arrêtés suite à cette initiative ont reçu après un long moment passé au commissariat, un avis d’expulsion de deux années de Bolzano pour « manifestation non autorisée » et « résistance ». La solidarité est gênante.
Voici le nom et l’adresse complète pour écrire à Bogu : Miroslav Bogunovic, casa circondariale, via Dante 28/A, 39100 Bolzano (Italie).
Rajoutons une mauvaise nouvelle. Un des compagnons arrêtés, Juan, est un espagnol qui vivait depuis un an à Rovereto. Le nouveau préfet de Trento, Colucci, déjà préfet à Gênes lors du G8, a signé un décret d’expulsion contre lui, en tant que citoyen indésirable au regard des plaintes accumulées en Italie. Nous avons écrit plusieurs fois que les frontières qui séparent le résidant d’ici de l’étranger, le « régulier » du clandestin, le membre de la communauté européenne de l’extra-communautaire disparaissent et s’amenuisent en fonction des exigences des patrons et de leur police. Cette mesure, qui risque de devenir effective d’ici quinze jours en est la confirmation.
Contre toutes les expulsions, on ne touche pas à Juanito !
Des compagnons de Rovereto et Trento
1. Procédure rapide qui se fait sur base essentiellement écrite.
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Temps de guerre
Les conditions actuelles de vie et de travail ne peuvent etre imposées que par un usage toujours plus massif de la terreur. Terreur de rester au chômage, terreur de ne pas pouvoir payer des loyers toujours plus exhorbitants, terreur de la police, terreur de la prison. Parce qu’au fond, dernière carte et ultime déesse, la répression est toujours ce qui garantit les rapports sociaux actuels. Meme lorsqu’elle s’abat sur des individus bien précis, c’est à l’ensemble de la population qu’elle adresse son message. Ceux qui pensent n’être pas concernés se trompent à son propos : face à l’indifférence, les patrons ont des prétentions toujours plus élevées (salaires encore plus bas, contrats encore plus précaires, contrôle encore plus diffus, etc.).
Un exemple en est ce qui vient d’arriver à Rovereto. Non contents d’avoir expulsé un espace occupé, d’avoir arrêté 9 personnes et d’en avoir condamné sept à 6 et 8 mois de prison ; non contents de garder en prison un anarchiste accusé d’avoir éloigné un photographe de presse d’un espace autogéré ; non contents d’avoir ordonné l’expulsion à vie de toute l’Italie pour un compagnon espagnol qui vit en ville depuis un an ; non contents d’avoir donné une interdiction de séjour de deux ans à Bolzano à 16 personnes qui ont fait un salut aux prisonniers de cette ville – l’autorité et les forces de l’ordre prennent à présent des mesures typiques du Ventennio (1). Quatre anarchistes, tous résidents de communes limitrophes (comme Isera et Villa Lagarina) se sont vus notifier une interdiction de séjour de trois années à Rovereto. Nous n’expliquerons pas ce que veut dire concrètement une telle interdiction de séjour et de transit (les attaches personnelles, travail, corvées bureaucratiques, « vie sociale », prendre le train, etc.). La police sait parfaitement que de telles mesures d’ « ordre public » tombent face à des recours administratifs. Mais ils coûtent des milliers d’euros et prennent des années. En fait, ils mettent au ban les indésirables qui ne baissent pas la tête. Dans leur caractère absolument discrétionnaire, ces mesures peuvent frapper quiconque, meme sans délit précis. Ceci nous rappelle que le sort de nombreux immigrés sans papiers enfermés et expulsés à vie sur seule décision policière s’étend à tous les individus dérangeants (pour ce qu’ils disent, les gens qu’ils fréquentent, etc.). Ceci nous rappelle que nous vivons tous dans un état d’exception permanente, que la « guerre de basse intensité au terrorisme » est partout parce que ses Ennemis – de l’Irak aux villages de la vallée d’ici (2) – sont partout : l’ennemi est toute personne qui fait obstacle, d’une façon ou d’une autre, au chemin radieux du capital, des forces armées, des pétroliers en Irak ou des constructeurs d’un incinérateur à Ischia Podetti.
Cette guerre a trouvé en Francesco Colucci, nouveau préfet de Trento, son porte-drapeau et son fonctionnaire. Déjà préfet de Gênes au cours du G8, grand responsable des coups de matraque dans les rues, de l’irruption dans l’école Diaz, des tortures à Bolzaneto, de l’assassinat de Carlo Giuliani, il s’est posé ici pour effectuer son sale boulot. La répression contre les compagnons est sa carte de visite. Aujourd’hui c’est nous qu’il frappe, mais demain ce peut etre toute personne qui s’écarte de la propagande médiatique, sur les lieux de travail ou dans les rues. Que chacun, sur son propre mode et avec ses moyens, réagisse à ce nouveau fascisme démocratique. Ne rien dire, c’est etre complice.
Nous ne subirons pas cette déclaration de guerre en baissant la tête. Aucune interdiction de séjour n’expulsera notre rage et notre joie de lutter.
Des anarchistes de Rovereto
1. Ventennio : les années 20 et 30 du régime fasciste de Mussolini.
2.
dont le nom est Vallagarina
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Colucci expulse
Fiorini fait le photographe, troquant des images contre de l’argent, il capture les instants de quelque aventure personnelle ou de la misère de tous les jours et les vend aux chacals de l’information, toujours prêts à fabriquer de nouveaux scandales.
Il y a longtemps, certains l’appelaient « compagnon », en un temps où les rues se remplissaient d’une euphorie contagieuse, dans la joie et la rage de reprendre vie et de la jeter toute entière pour faire agoniser le Capital.
Mais qu’est-ce qui a changé depuis ? Fiorini, assurément. L’infamie du Pouvoir et la volonté de l’abattre sont restées les mêmes.
Mais on sait que parfois le temps lisse le poil, et quelqu’un a substitué peu à peu au rêve de ces jours-là la certitude inoffensive d’un salaire assuré et d’une respectabilité bourgeoise.
Nous connaissons bien Mirco, il est avec nous depuis le jour où il a laissé derrière lui les tourments de la guerre et du militarisme de son pays. Nous avons occupé ensemble un hangar abandonné pour reconquérir de l’espace dans la cité des banques et des marchandises [Rovereto], pour fuir le vol que sont les loyers et garantir un toit à tous, pour que plus personne ne puisse plus exploiter, déporter, expulser, pour réinventer avec chaque femme et chaque homme sans pouvoir une manière d’être ensemble et décider de notre propre destin. Mais à la place de cette expérience, les patrons et la police ont, comme toujours, préféré les gravats. Ils ont préféré enfermer un homme fier derrière les barreaux.
Mirco Libero
Fiorini photographie, disions-nous, et, tout autour de ses photos, ses collègues préparent les expulsions à coups de calomnies, les préfets construisent les preuves pour incarcérer les gens.
Donc Fiorini expulse, Fiorini incarcère. Pour cela, les journalistes et les photographes n’étaient pas les bienvenus au Bocciodromo occupato.
Fiorini le sait, on lui a déjà dit mille fois, mais il s’est malgré tout présenté avec le despotisme des intrus et son objectif planté là. Il a pris sa photo et lorsqu’il a été invité à plusieurs reprises à dégager, il n’a pas voulu entendre raison, il a crié et glapit, insulté et provoqué avec des arguments dignes de son petit journal. Puis, insatisfait, il a cliqué une fois encore.
Il a frappé à la mauvaise porte. Pas de tabassage, pas de vol, il a été éloigné, accompagné de son appareil photographique, mais sans la carte contenant les photos volées.
Fiorini n’a pas dénoncé Mirco, comme cela sa crédibilité de « bon anarchiste » reste intacte, il a simplement pointé son doigt sur une photo face à un adjudant, justement comme il le ferait sur une des siennes.
Fiorini fait le délateur et fournit au fameux préfet Colucci, celui du massacre de l’école Diaz à Gênes, le prétexte pour expulser le lieu, arrêter 9 personnes pour rien de moins qu’un vol de quatre pics d’énergie électrique [le lieu était occupé depuis quatre jours] et maintenir Mirco au trou.
Mirco est toujours en prison, notre coeur est avec lui, avec les millions de prisonniers d’un monde pourri construit sur la répression et les gravats.
Des anarchistes de Rovereto
Fiorini incarcère
[19 novembre 2003]
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A propos d’un photographe « anarchiste »
Les faits
Jeudi 13 novembre [2003], le photographe du Trentino, Fulvio Fiorini, s’est présenté au Bocciodromo occupato pour prendre quelques photos. Les occupants ont déjà écrit mille fois sur leurs affiches et tracts que cet espace est ouvert à toute personne qui veut se confronter, mais est fermé aux partis, aux flics et aux journalistes. Ils l’ont dit mille fois dans les rues, les rassemblements et les manifestations. Certains occupants, qui le connaissent personnellement, l’avait également déjà dit à ce meme Fiorini. Malgré tout cela, et malgré un lynchage médiatique qui a atteint ces derniers mois un niveau sans précédent, Fiorini, celui qui assaisonne -meme indirectement- avec ses photos les articles contre les anarchistes, s’est présenté au Bocciodromo et a commencé à photographier sans rien demander à personne. Avec l’arrogance typique des gens de son espèce, il pense pouvoir disposer, au nom du « droit à la chronique », de la volonté de ses « sujets ». Un compagnon l’a invité à plusieurs reprises bien qu’inutilement à s’en aller, recevant en échange des insultes et l’immanquable « je fais seulement mon travail ». A ce point là, il a été éloigné sans ménagement et est reparti sans sa disquette (l’équivalent de la pellicule pour les appareils digitaux) : il n’y a pas eu de tabassage. Il a immédiatement prévenu les journalistes puis est parti à la caserne des carabiniers pour leur rendre quelque service photographique. Là, se rendant compte de n’avoir plus la disquette, il a raconté l’incident (c’est-à-dire sa version) aux carabiniers. Ceux-ci ont engagé une procédure d’office contre un compagnon. Encouragé par la presse qui parlait d’un photographe « frappé et dévalisé », les forces de la répression expulsent le lendemain le Bocciodromo et arretent les 9 compagnons présents, pour « vol aggravé d’énergie électrique ». Avec ce chef d’inculpation, 7 d’entre eux seront condamnés à 6 et 8 mois de prison trois jours après. Bénéficiant de la conditionnelle, ils sont donc ensuite sortis de prison. Un compagnon, Bogu, est à l’inverse toujours emprisonné. Fiorini, invité comme toujours et cette fois encore à photographier l’expulsion, a ensuite été appelé à la caserne pour reconnaitre son « voleur » comme étant Bogu. Et lui l’a reconnu. Le lendemain, lors d’une interview dans laquelle il affirme n’avoir pas été invité à s’en aller, mais au contraire immédiatement frappé, le photographe se vante de n’avoir dénoncé personne, et ceci sur la base de ses « principes moraux et idéologiques ». Nous, ignorant tout, avons pensé : « Beh, on doit au moins reconnaitre que celui-là a de la dignité ». Puis nous avons compris comment les choses se sont réellement passées. Effectivement, il n’a pas porté plainte (ndlr : en italien, dénoncer et porter plainte se traduisent par le meme mot) de facon formelle. Il a seulement joué à l’espion pour le compte des carabiniers puis reconnu la personne contre laquelle les militaires avaient procédé d’office. Chacun comprendra la grande différence. Surtout notre compagnon qui est encore en prison à cause de lui.
Au cours de la meme interview, Fiorini, qui se considère encore comme anarchiste, donne des leçons d’anarchisme aux occupants du Bocciodromo, qu’il définit comme des « squadristes » (1), des « fascistes » et « politiquement des cadavres ». Les politiciens -de droite et de gauche- ainsi que l’Ordre des journalistes ont exprimé leur solidarité au photographe, « vrai anarchiste » et « citoyen exemplaire ».
De l’autre coté
S’il est quelque chose qui enflamme le coeur des anarchistes, c’est bien la haine des uniformes et de la prison. Fiorini a envoyé quelqu’un en prison. Il peut se définir comme il veut, mais il n’est certainement pas anarchiste. Nous ne doutons pas que les carabiniers l’aient coincé puis fait chanter, comme ils l’ont fait de nombreuses fois contre nous. Nous n’en doutons pas, justement parce que nous savons qu’un photographe qui travaille pour les journaux ne peut se permettre d’entretenir des relations inamicales avec les forces de l’ordre : nombre de leurs services sont en fait basés sur un échange direct entre les forces de police, la rédaction et les invitations personnelles aux journalistes. Mais tout ceci ne justifie rien et devrait au contraire faire réfléchir plus avant sur la responsabilité qu’assume une personne qui choisit un tel travail. Juste pour donner un exemple : les photographes sont prévenus d’une expulsion avant qu’elle n’advienne. Ils font, pour ainsi dire, partie de l’opération. Les compagnons, eux, sont de l’autre coté, derrière le cordon de CRS. Fiorini insiste sur le fait qu’on peut rester plus ou moins honnete en faisant un travail comme le sien. Nous le savons, et son comportement par le passé l’a montré plusieurs fois, comme le savent ceux qui le connaissent depuis de nombreuses années. Mais il arrive un moment où la distinction s’amenuise toujours plus, parce que les luttes se radicalisent et que croit la répression. Il arrive un point où -face à une identification-, on doit décider si on est des hommes ou des photographes, des hommes ou des espions, des hommes ou des balances. Et l’ « anarchiste » Fiorini a choisi.
La rage face à son arrogance nous a laissé comme un gout amer en bouche. Mais aujourd’hui un compagnon est en prison, et c’est le photographe qui l’y a expédié.
Nous avions écrit à propos des carabiniers tués en Irak (2), que l’ « on récolte ce que l’on sème ». Ceci n’est pas seulement valable pour ces militaires, assassins de profession qu’aucune propagande nationaliste ne nous fera jamais appeler des héros. Ceci vaut pour chacun de nous, parce qu’on ne peut pas attribuer la responsabilité de nos actions à l’histoire, au destin ou au bouc émissaire de service. Nous n’attendons pas que l’autorité et les médias disent du bien de nous. Nous ne récitons pas le scénario des éternelles victimes. Ceux qui sont payés pour défendre ce système chercheront toujours à nous le faire payer. On est pas anticapitalistes et antiautoritaires impunément. De la meme facon, on ne travaille pas pour des journaux qui calomnient les anarchistes, sans jamais faire de signe de protestation public, et prétendre ensuite que ceux-ci t’accueillent à bras ouverts. On n’envoie pas un compagnon en prison en parlant ensuite de principes anarchistes. Nous appelons un chat un chat, et un indicateur un indicateur.
Un certain groupe Serantini
L’ironie veut que Fulvio Fiorini ait fait partie au cours des années 70 du groupe local Serantini, dont le nom est un hommage à un compagnon anarchiste battu jusqu’au sang par les CRS qui l’ont ensuite laissé crever en prison, parce qu’il s’était opposé à un rassemblement fasciste à Pise en mai 1972. Si on lit la presse de Rovereto de l’époque, on trouve contre le groupe Serantini et les « extra-parlementaires » en général les mêmes mensonges et calomnies (dont celle d’etre des squadristes et des fascistes) que l’on peut lire contre les anarchistes d’aujourd’hui. De plus, au cours d’une grève générale en mars 1976 contre la vie chère, les compagnons du groupe Serantini avaient frappé et allégé de sa pellicule un photographe surpris en train de prendre en photo les vitrines brisées d’un supermarché. Et alors, qui a changé ? Ceux du groupe Serantini de l’époque qui ont aujourd’hui des professions libérales, ou ceux qui continuent à refuser de faire carrière tout comme ils refusent les photographes des journaux ? Qui est « politiquement un cadavre » ? Ceux qui persistent dans leur inimitié éthique et pratique contre les fondements de cette société et de ses institutions, ou celui qui est défini comme un « citoyen exemplaire » par les politiciens et les journalistes. Nous, on nous appelle voyous et terroristes. Nous préférons cela.
Des anarchistes de Rovereto
1. Squadristi : nom donné aux fascistes mussoliniens qui tabassaient les gens dans la rue.
2. Le 12 novembre 2003, 19 militaires italiens sont morts dans l’explosion d’une bombe en Irak, et de nombreux autres ont été blessés, provoquant de nouvelles grand’messes autour d’un consensus nationaliste pour ces « héros morts pour la patrie ».
Encadré :
Journalistes, hors de nos vies
Le « droit de chronique et d’information »
C’est le droit de planter un objectif dans la face chacun
C’est le droit de falsifier les idées, d’effacer les contestations et la mémoire
C’est le droit de créer des « exemples » pour vendre plus
C’est le droit d’étouffer l’esprit critique sous les informations
C’est le droit de calomnier et d’isoler
C’est le droit d’avoir (et de publier) un double des papiers produits par les flics
C’est le droit de préparer le terrain à la répression
C’est le droit d’applaudir les forces de l’ordre
Un de nos compagnons est en prison pour avoir éloigné un photographe d’un espace occupé : BOGU LIBERO
Pour lui exprimer votre solidarité :
Miroslav Bogunovic
Casa circondariale
Via Dante 28/A
39100 Bolzano
Italie
(Extraits d’un opuscule publié vers le 21 novembre 2003, disponible à Adesso, CP 45, 38068 Rovereto TN)
Des anarchistes de Rovereto