Grenoble / SMH : Récit des premières réactions contre l’expulsion de La Charade

Récit des premières réactions contre l’expulsion de La Charade

Alors l’histoire commence par l’arrivée très discrète de plusieurs dizaines de flics accompagnéEs d’un galant huissier à 8 h du matin. Il faut avouer qu’ils n’ont pas eu besoin de trop forcer pour défoncer la porte tellement l’absence de barricadage était flagrante tout naïf/ves que nous étions… oui on avait vaguement cru aux promesses de la mairie communiste qui garantissait de ne pas nous expulser avant fin juillet alors que nous étions expulsables depuis mi-mai… Ouh, la menteuse, elle est pas amoureuse… Donc on fut plutôt prisES de court… mais malgré tout, on parvint à déclencher une chaîne téléphonique de solidarité… Assez rapidement une trentaine de personnes commença à s’assembler devant le portail gardé par quelques hommes-moustache en uniforme qui ne laissaient entrer personne. Pendant ce temps, les habitantEs à l’intérieur s’affairaient à rassembler leurs affaires pour les sortir tandis que des ouvriers employés à la mairie commençaient leur fameuse entreprise de scellage et murage en détruisant par ailleurs un escalier de secours en colimaçon qui se trouvait à l’extérieur. Dehors, les gens nous soutenaient en faisant le plus de bruit possible pour rendre visible le fait que des gens étaient en train de se faire expulser… Des voisinEs eurent même la chouette idée de mettre de la musique en rapport avec ce qui était en train de se passer. Ça résonnait assez fort dans le quartier, ce qui déplût beaucoup aux policiers qui, excédés par tant de subversion, décidèrent au final de couper la chansonnette… Ce qui poussa des habitantEs à l’intérieur à imiter l’acte délictueux de leurs voisinEs et à mettre à leur tour de la musique qui agace d’habitude fortement ce genre de personnes sensibles qui pratiquent l’art d’expulser des gens… A deux reprises, ces personnes avec ou sans uniforme stoppèrent brutalement le flux musical qui semblait dire des «cochoncetés» sur l’existence de la flicaille… La deuxième fois, ces personnes confisquèrent même le cordon d’alimentation…

A l’extérieur, les gens qui nous soutenaient augmentaient au fur et à mesure le dispostif de visibilisation en commençant à bloquer les voitures dans les rues qui encadrent la Charade et en expliquant ce qui était en train de se passer ― la maison se trouve située entre la grande et longue avenue Ambroise Croizat et la place du 8 mai 1962. Puis, ces personnes décidèrent d’aller rendre visite à la mairie laquelle est située à quelques centaines de mètres de la Charade sur l’avenue Croizat. L’idée de départ était d’exiger l’arrêt de l’expulsion ; illes ont dû poireauter un certain temps dans la mairie sous l’oeil vide de vigiles… Devant cette fin de non-recevoir, nos amiEs commençaient à s’impatienter sérieusement en entamant un rapport de plus en plus proche avec le mobilier de la mairie ; «Vous expulsez, on vous expulse» : commençait alors un jeu je-taime-moi-non-plus avec les vigiles vu que nos amiEs étaient déterminéEs à sortir du mobilier municipal dans la rue pour que la mairie se sente un peu plus solidaire avec les expulséEs de la Charade… Illes réussirent au final à sortir une table, des chaises et une plante pour improviser un salon sur l’avenue. La mairie voulait faire dans l’expulsion «classique»… Le mythique bulldozer apparut « évidemment » à un moment donné… ce qui incita les personnes devant la mairie à bloquer le terrible engin à mâchoires démolisseuses, lequel rebroussa chemin devant tant de détermination… pour prendre un chemin détourné afin d’atteindre le squat… il fut de nouveau bloqué devant la Charade… ce deuxième blocage fut plutôt symbolique étant donné que l’ouvrier qui conduisait l’engin le faisait sans trop de conviction ; lors du premier blocage, il prévint qu’il allait faire demi-tour pour prendre un autre chemin mais qu’il n’allait pas insister s’il était bloqué plus loin…

Entre temps, le directeur du cabinet du maire fut envoyé pour servir d’interface démocratique et accueillir la foule en colère qui réclamait plutôt de voir des zéluEs parce que c’est encore plus démocratique, héhé… Finalement, René Proby le maire en personne (qui avait toujours dédaigné nous recevoir jusque-là, déléguant à ses adjoints et autres sous-fifres la gestion du problème administratif que nous étions soi-disant à leurs yeux) accompagné de subordonnés et escorté de flics, accepta de recevoir une «délégation» … Cinq personnes pas dupes de cette farce démocratique allèrent expectorer toute leur colère à ces messieurs qui continuaient à considérer le problème d’un point de vue d’expert (« c’est une question de responsabilité juridique, d’autant que le bâtiment est insalubre, même si n’avons aucun dossier technique à vous montrer là-dessus, et de toute façon, nous avons sur ce bâtiment des projets d’aménagement concrets, certes, pas avant un certain « moyen terme » et même si aucun préavis de permis de démolir n’a été posé sur ce bâtiment… mais de toute façon, vous êtes dans l’illégalité et on a le droit de vous expulser même si on n’est pas obligé de le faire, mais vous savez, la loi, c’est plus fort que nous… et vous »)… Et lorsqu’on leur a demandé pourquoi ils n’ont pas tenu leur promesse de ne pas expulser avant fin juillet, ils ont quand même eu l’honnêteté politicienne d’avouer qu’une «promesse, ça se tient plus ou moins»… Pendant ce temps, les manifestantEs à l’extérieur de la mairie se faisaient brusquement pousser par les hommes-moustache en uniforme pour évacuer la chaussée et voilà…

Entre temps dans la maison en cours d’expulsion, certains ouvriers qui étaient chargés d’aider au déménagement et au murage prirent ouvertement conscience qu’ils participaient à un truc dégueulasse, et l’exprimèrent discrètement à notre encontre… On leur demanda alors pourquoi ils devaient se sentir obligés de participer à l’expulsion en leur mentionnant les coups de fourbes de la mairie… Du coup, certains d’entre eux décidèrent d’arrêter de travailler après s’être au préalable assurés auprès de la direction syndicale locale (CGT évidemment) sans pour autant arguer directement des raisons politiques, mais davantage des raisons de sécurité ou d’encadrement de travail. Mais enfin, c’était quand même une forme de solidarité… ce qui n’empêcha pas que le lieu se fasse évacuer et murer car tout le monde ne s’était pas montré infidèle à la mairie.

Le soutien des gens prenait aussi en compte les aspects matériels liés au déménagement de nos effets personnels et collectifs : les gens proposaient bras, véhicules, espaces de stockage, voire espaces d’hébergement… Une fois tout le monde dehors, les quelques ouvriers s’affairaient à leur entreprise d’enfermement d’une maison vouée de nouveau à l’abandon et à l’absurdité de logiques liées à la propriété privée et colorées d’une touche bureaucratiquement stalinienne. Des patrouilles de flics durent se relever et tourner pendant le reste de la journée ; un vigile fut même requis pour protéger le lieu durant la nuit.

Il était clair que ça n’allait pas s’arrêter là et que la suite de la visibilisation de notre expulsion allait s’organiser… Le squat des 400 Couverts à Grenoble nous servit (et nous sert) principalement d’espace de « retranchement » et de réconfort (merci aux gens des 400 pour leur chouette soutien)… Le besoin de réaction se faisant fortement sentir, tout le monde se revit en fin d’après-midi pour savoir comment l’assouvir. Rapidement, une proposition d’affiche et de tract se mit en oeuvre… Des équipes de collages se formèrent pour aller pointer gracieusement du doigt les contradictions d’une mairie qui oeuvre soi-disant pour le droit au logement, mais qui ne trouve que le mode répressif pour gérer les velléités qui la dépassent [cf. L’affiche se trouve en fichier joint]

Le lendemain matin (jeudi 19 juin), on profita de la grosse manifestation sur les retraites pour informer les militantEs et autres manifestantEs : à une vingtaine d’individuEs très remontéEs, nous réussîmes à visualiser le problème en remontant jusqu’au début du cortège pour installer une zone de «sensibilisation» en travers de la manif. Plusieurs caddies étaient là pour symboliser notre exil un peu forcé. Dans ces charriots, on trimbala quelques affaires qui pouvaient évoquer notre vie quotidienne (casseroles, chaises, lampe, condiments, échelle…) ainsi que des éléments de la zone de gratuité. Une grande banderole ainsi que plusieurs pancartes étaient brandies pour rappeler qu’en expulsant ce lieu, on expulsait des gens qui n’avaient pas d’autre lieu où se loger, ainsi que des activités et des expériences politiques (zone de gratuité, espace féministe, espace enfant, bibliothèque, activités gratuites et autogérées…). Un tee-shirt était même là pour tenter de manière ludique de faire un lien entre la manif et l’expulsion : sur le recto, on pouvait lire «Pif expulse les squatteurs» avec la tête du chien souriant, tandis que sur le recto «Mickey exploite les travailleurs» avec la tête de la souris souriante (explication : à une certaine période pas trop éloignée, on pouvait connaître l’obédience politique des parents en fonction du magazine auquel illes abonnaient leurs enfants : les abonnéEs à Pif-gadget dénotaient de parents plutôt communistes ; les lecteurices de Mickey-magazine faisaient dans la famille bourgeoise). Un tract fut aussi distribué [voir http://www.ainfos.ca/fr/ainfos03871.html]. Notre action permit d’interpeller plein de gens qui étaient déjà plus ou moins au courant ou non de l’expulsion, manifestant pour une grosse partie d’entre elleux soutien, dégoût, incompréhension et étonnement. Il y eut parfois quelques réactions d’énervement (soi-disant on gênait la manif ou qu’on ne s’attaquait pas à la bonne cible). Cependant pour la plupart de ces gens agacéEs, il s’agissait d’hommes-moustache du service d’ordre et/ou de militantEs communistes de (Saint-)Martin-d’Hères qui récitaient les leçons qu’on leur avait enseignées, c’est-à-dire en ressortant les habituels arguments administratifs et d’experts («c’est normal il y avait des raisons, des projets d’aménagement»), ainsi que des arguments répressifs («c’est normal, un squat c’est illégal» alors que ces gens-là s’arrogent le «droit» de critiquer un projet de loi qu’ils considèrent à juste mesure contraignant…). On pouvait aussi relever des considérations très léninistes («vous n’êtes que des sales gauchistes», vous savez, la maladie infantile du communisme ), ainsi que des arguments qu’on peut qualifier d’utilitarisme de frustration («vous êtes des parasites, vous profitez du système, vous n’avez qu’à aller travailler et vous taper des chantiers» sauf que monsieur-madame, si vous êtes là, c’est quand même pour travailler moins de ce qu’on veut vous imposer en reconnaissant que le système du travail dans une société capitaliste est basé sur l’exploitation, et si monsieur Raffarin veut changer le système des retraites, c’est pour que vous travailliez encore plus dans les chantiers)… Ces instants d’énervement étaient souvent accompagnés d’insultes virilistes, homophobes et d’en-dessous-de-la-ceinture de la part de nos amis militants PC ou proche («De toute façon, je vais te dire ce que t’es, tu n’es qu’un couillon», «Je vais te casser la gueule… puis je vais te couper les couilles», «Vous n’êtes que des pédés… je vais tous vous enfiler»)… Le communisme institutionnel : ça promet en violence sexuelle…

Notre politique de «harcèlement» n’allait pas s’arrêter en si bon chemin… En début d’après-midi, la Fédération PCF de l’Isère invitait à son siège les «acteurs du mouvement social» à un débat public sur comment «ce mouvement peut faire bouger la donne et contribuer à l’élaboration d’une alternative» et comment «il peut être le creuset où se confrontent les idées et où chacun s’approprie les termes du débat politique». Il semblerait que certains communistes tentent d’expérimenter une alternative aux logiques capitalistes et étatiques par des techniques d’expulsion, surtout par rapport à des projets qui tentent de proposer ce que certainEs appellent des alternatives au système par des pratiques d’autogestion, de gratuité et de solidarité libérées de toute subvention et autre contrôle bureaucratique. Cette réunion n’était composée que d’une vingtaine de personnes pour la plupart encartées au parti stalinien… Ceci dit, une personne sympathisante du PC intervint pour évoquer le scandale de l’expulsion de la veille et pointer le doigt sur certaines contradictions (et ceci sans que nous ne nous fussions concertéEs avec elle)… Ce qui provoqua un houleux débat manié d’une main de maître par le ponte de la fédération qui coupait la parole lorsqu’il le désirait pour parler fort le plus longtemps possible et endormir les interlocuteurices… Devant cette forme de débat très centralisée, nous jugeâmes rapidement le peu d’intérêt de la discussion, d’autant plus qu’on essayait de nous faire sentir que notre problème parasitait ce pourquoi illes étaient censéEs débattre et qu’un squat d’habitation et d’activités n’avait rien à voir avec le «mouvement populaire qui peut faire bouger la donne».

Quelques éléments coriaces d’entre nous, allèrent même rendre visite en fin d’après-midi à la réunion des cégétistes de (Saint-)Martin-d’Hères. Cette réu se déroulait dans une salle située juste en face de la feue Charade… Là encore on tomba sur quelques individuEs très têtuEs qui nous rabâchaient les arguments de la mairie : « responsabilité du maire en jeu » alors qu’il y avait moyen que la mairie se décharge juridiquent de cette responsabilité ; « insalubrité du lieu » alors que le bâtiment en parfait état a été rénové deux fois en moins d’un siècle et qu’aucun des rapports techniques que la mairie faisait mine de miroiter ne nous fut présenté une quelconque fois, pas même au procès ; « projet de logements sociaux » alors que le projet n’est envisagé offciellement qu’à « moyen terme », qu’aucun préavis de permis de démolir n’a été déposé, et que de toute façon il n’y aura que 20% de logements sociaux vu que les lots concernés sont ou seront vendus à un promoteur immobilier…

Sinon, la Charade a repris la figure triste de maison abandonée qu’elle avait avant ses aventures avec nous autres énergumènes squatteureuses : les portes et fenêtres du rez-de-chaussée sont murées jusqu’à la moelle et les volets aux trois autres étages, fermés… la paranoïa sécuritaire de la mairie alla même jusqu’à murer de manière totalement absurde une porte qui très franchement n’était pas stratégique quant à une éventuelle réoccupation du bâtiment. Deux jours après l’expulsion, d’uniformisants rouleaux de peintures vinrent rayer les façades joyeusement décorées de la Charade montrant par là la volonté municipale de tenter d’effacer toute trace de notre passage sur les lieux…

Mais les expulseurs ne nous feront pas taire, car si tu veux être heureux/se dans la vie, pends ton Proby-iétaire

Grenoble, 20/06/03

kandjare, un ex-habitant de la Charade