Irak : Des squatters dans des édifices militaires

Bagdad, 15 décembre 2003. Nous avions quitté l’automobile et commencé à marcher sur la route du Ministère de l’Intérieur barricadé. Tout à coup, des coups de feu. Puis des tirs plus lourds. Un groupe de jeunes nous dépassa et l’un d’eux dit : « Saddam », en faisant un geste avec ses mains qui semblait mimer des menottes.

Nous étions sur cette rue à l’invitation de l’un des résidents du « Département de la surveillance militaire » que nous avions rencontré au centre-ville quelques jours plus tôt. Il est l’un des nombreux squatters qui, après que l’armée eût abandonné ses édifices partout dans Bagdad et probablement dans plusieurs autres villes en Irak, ont trouvé refuge dans ces édifices avec leurs familles. Certains avaient perdu leur emploi après l’invasion et ne pouvaient plus payer leur loyer ; d’autres trouvaient dans ces lieux de meilleures conditions que les locaux exigus où ils s’entassaient auparavant ; alors que quelques-uns étaient déjà sans abri, vivant sous des ponts ou dans des conteneurs, avant d’emménager dans cet endroit.

Il nous fallût du temps, à nous et aux squatters, pour passer à un autre sujet que la nouvelle de la capture de Saddam et pour en venir à ce qui motivait notre présence : prendre connaissance de leurs conditions de vie et en apprendre plus long sur leur passé, leurs besoins actuels et leurs espoirs pour l’avenir.

La situation est difficile à comprendre sans connaître un peu les changements socio-économiques survenus dans la société irakienne au cours des trente dernières années. Dans les années 1960s, les IrakienNEs semblaient nourrir de grands espoirs d’un avenir prometteur et des attentes de prosperité économique. La jeunesse rêvait de posséder des maisons et des voitures. Au fil des années, guerre après guerre, suivies de sanctions qui semblaient devenir plus dures chaque jour, ces rêves ne se sont jamais matérialisés. Mais ils n’ont pas disparu non plus. Par conséquent, certains squatters considèrent que c’est leur droit de posséder une part du « nouvel Irak libre ». La plupart savent probablement qu’ils ne pourront pas toujours demeurer dans ces édifices (selon certains estimés, il y aurait des centaines d’édifices semblables et de camps militaires occupés par des squatters partout en Irak), mais ils veulent l’assurance qu’ils ne seront pas subitement évacués. Ils insistent pour dire qu’ils ne quitteront pas sans obtenir des promesses de logement alternatif de la part du gouvernement. Cependant, dans leurs locaux actuels, ils ont des besoins urgents.

Si la nourriture ne semble pas être un problème, le chauffage l’est. Tous ces lieux d’habitation improvisés sont créés avec des vieux meubles, des feuilles de métal et des panneaux de bois. Il n’y a ni portes, ni fenêtres. La plupart de ces édificies ont été pillés bien avant que les squatters ne s’y installent. Les squatters ont besoin de chaufferettes et de couvertures, plus que de toute autre chose.

Tout comme les IrakienNEs pressentent que la coalition, ou les États-Unis, ont utilisé les armes de destruction massive et Saddam comme prétextes pour prendre le contrôle de leurs ressources, les squatters sentent que plusieurs partis politiques et plusieurs ONGs utilisent leur souffrance pour mousser leur image et lever des fonds dont ils ne bénéficient que partiellement.

Les squatters ont un autre problème : l’absence de système sanitaire. La majorité de leurs habitations n’ont pas d’égoût, compte tenu de la conception initiale de l’édifice. Je les ai entendus parler de concevoir et de construire leur propre système d’égoûts. Je ne sais pas jusqu’où iront ces plans.

L’aspect le plus encourageant de toute cette situation, c’est que dans cette communauté –et on me dit que la même chose se produit dans les autres semblables ailleurs au pays–, les squatters ont élu un des leurs pour coordonner l’organisation de leur société, en fonction de leurs besoins et projets. Peut-être qu’ici même, à la base, un nouvel Irak est en train de se construire.

Ehab Lotayef