Calais: Expulsions annoncées, où en est-on?

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Les mesures annoncées mercredi par le préfet du Pas-de-Calais concernant la destruction des campements se précisent au fil des jours. L’imprécision laisse place à l’improvisation, voire au bricolage.

La date avait filtré dans le Figaro dès jeudi et a été confirmée ce week-end par la presse locale : mardi 27 mai, au matin (apparemment 6h pour le Bassin de la Batellerie et 8h rue Lamy). Les associations apprennent la majorité des détails par la presse, puisqu’il n’y a aucun dialogue de la part des autorités.

Les campements

Les trois campements visé se sont le résultat de la dernière vague d’expulsions de septembre et octobre 2013. Ils ont été alimentés par les expulsions qui ont eu lieu entre temps, notamment celle du campement des Soudanais le 11 avril dernier.

Une poignée de tentes s’est progressivement installée à l’angle de la rue Lamy et du boulevard des Alliés en septembre 2013 suite à la série d’expulsions qui avait commencé le 5 septembre par le squat de la rue Mouron. C’est vraiment devenu un campement lorsque les exilés syriens ont mis fin à leur mouvement dans le port de Calais le 4 octobre et se sont installé là.

La place Henri Barbusse est située à quelques centaines de mètres de campement de la rue Lamy. Quelques tentes se sont installée là début octobre, peu après la constitution du campement voisin, sur une pelouse entourée d’une haie sur trois des côtés. Les tentes sont devenues cabanes. Ont habité là des Syriens, des Pakistanais, des Afghans.

Le campement du bassin de la Batellerie s’est constitué suite à l’expulsion du squat de la Rue neuve, qu’habitaient environ soixante-dix personnes. Le nombre d’habitants augmente rapidement depuis quelques semaines, avec notamment l’arrivée de nombreux mineurs.

Les conditions juridiques de l’expulsion

Aujourd’hui lundi, veille de l’expulsion, aucune décision d’expulsion n’a été signifiés aux habitants des campements. Légalement la décision qu’ils doivent quitter les lieux doit leur être signifiée, et la force publique ne devrait intervenir que s’ils ne le font pas. Pour ce qui est des constructions qu’ils ont édifiées et qui leur servent de domicile, ils devraient aussi être mis en demeure de les démontrer ou de les détruire, la destruction par un tiers n’intervenant que si les occupants ont refusé de faire place nette dans les délais impartis.

Pour l’instant, le préfet a annoncé une expulsion, la police est mobilisée, on n’a aucune trace de la procédure juridique suivie. Y a-t-il eu un jugement ?

La gale

La chose suivante semble se dessiner : le traitement sous forme de cachet sera proposée lors de la distribution de repas de ce lundi à 18h. Tout le monde ne venant pas à la distribution de repas, une partie des personnes sont donc d’emblée exclues. Une douche devrait être proposée mardi matin au moment de l’expulsion (avec distribution de vêtements propres ?) Ce ne sont donc pas nécessairement les personnes qui auront pris le traitement la veille qui prendront la douche le lendemain, et on ne sait pas vraiment qui va accepter de monter dans les bus au moment de se faire expulser par la police.
Sur la gale et son traitement, voir ici

Les demandeurs d’asile

Un hébergement devrait être proposé aux demandeurs d’asile qui le souhaitent, selon les places disponibles dans toute la France. Le succès de ce genre de proposition, faite dans le stress de l’expulsion, entourés par la police, pas toujours avec les bons traducteurs, a été variable par le passé. L’hébergement des demandeurs d’asile n’est pas pour l’État une option à activer en cas d’expulsion, mais une obligation à partir du moment où la personne dépose sa demande d’asile.

Le retour “volontaire”

Un hébergement devrait également être proposé aux personnes qui choisissent de rentrer volontairement dans leur pays. Mais s’agit-il de retour volontaire s’agissant de personnes qui viennent de tout perdre en un instant.

Les mineurs

Les mineurs qui l’acceptent seront emmenés dans un centre de loisir à Olhain, à une quinzaine de kilomètres de Béthune. Aucune mesure de protection ne sera prise concernant ceux qui ne le voudront pas. Le conseil général, qui est en charge de la protection de l’enfance, a appris la nouvelle par les journaux, et a donc interpelé le représentant de l’État pour savoir dans le cadre de quel type de mesure ces mineurs allaient être pris en charge. La réponse est qu’il s’agit du dispositif de mise à l’abri financé par l’État pour une durée de cinq jours maximum. Rien n’est précisé pour la suite.

Comment en est-on arrivé là ?

Dès l’automne 2012, l’État a souhaité renouer le dialogue avec les associations concernant la question des exilés. S’en ai suivi une série de réunions, sans grand débouché concret. Suite à la visite de Manuel Valls à Calais en décembre dernier, des diagnostic site par site ont été annoncés pour l’année 2014, devant en principe déboucher sur des améliorations. Lorsque le jugement d’expulsion du squat de l’avenue Victor Hugo, qui accueille des femmes et des enfants, a été rendu, le préfet a annoncé que les habitantes ne seraient pas expulsées sans solution. De fait, une association d’insertion, Solid’R, vient de reprendre la gestion du lieu à la demande de l’État. Un minimum de dialogue semblait possible concernant les campements calaisiens.

Le conseil régional, propriétaire des terrains, avait annoncé qu’il ne demandait pas l’expulsion tant qu’il n’y aurait pas de solution, et parce que la situation découle du Traité du Touquet dont il demande la renégociation. Mais selon plusieurs sources, le conseil régional souhaitait l’expulsion, sans vouloir en porter la responsabilité.

C’est la maire de Calais qui lui a rendu ce service et a demandé publiquement l’expulsion, en profitant pour faire un coup médiatique à dix jours des élections européennes.

Du côté de l’État, il semble que des hypothèses autres que l’expulsion sèche ont été étudiées. L’arbitrage rendu ne va pas dans ce sens. Vu le climat de précipitation et d’improvisation, la décision d’expulser sans solution pour la plupart des gens et d’expulser vite a probablement été prise à Paris. À quel niveau, nous l’ignorons.

[Publié le 26 mai 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]