C’est par cette déclaration surprenante que le préfet conclut cet épisode qui a duré une dizaine d’heures aujourd’hui. Il l’a dit aux exilés par l’intermédiaire de son représentant dans le cadre des négociations qui ont eu lieu aujourd’hui, il l’a dit publiquement lors de sa conférence de presse à 15h.
Il ne l’a bien sûr pas dit comme ça, mais sa conclusion était que les exilés pouvaient rester sur le lieu de distribution des repas jusqu’à demain ou après-demain, et qu’ils pouvaient ensuite trouver un terrain pour installer leur campement.
Sauf que, si l’État ne met pas à disposition un terrain, ça veut dire que les exilés installent leur campement sans l’autorisation du propriétaire, donc ils squattent. Il font comme depuis douze ans, occuper un terrain où ils n’ont pas le droit d’être parce qu’il n’y a pas de lieu pour eux à Calais. Et ce campement sera lui aussi évacué et détruit à plus ou moins brève échéance.
Le 4 octobre 2013, lorsque les exilés syriens ont décidé de lever leur occupation de l’accès piéton du port de Calais, le préfet leur avait déjà dit officieusement qu’ils pouvaient s’installer sur un terrain près du port et que la police les y laisseraient tranquilles. C’est l’un des trois camps qui a été détruit ce matin. Et c’est le même préfet qui dit maintenant, cette fois officiellement : trouvez un terrain à squatter et faites un autre campement.
Tout le déroulement de cette journée relève de cet alliage entre contradictions, bricolage et improvisation.
Une partie des exilés s’étaient regroupés sur le lieu aménagé pour la distribution des repas dès la nuit de lundi à mardi (voir ici), en signe de protestation contre les expulsions et pour revendiquer une solution, un lieu où puissent rester. La plupart des autres habitants des campements menacés les ont rejoints la nuit dernière et au petit matin.
Lorsque la police est venue au campement du bassin de la Batellerie (voit ici), seuls deux exilés étaient encore là, dans une tente, refusant de partir. L’un a finit par partir, l’autre est monté dans l’un des deux bus prévu pour emmener les personnes à la douche, deuxième partie du « plan de traitement de la gale » commencé la veille (voir ici et là).
Les gendarmes mobiles ont ensuite encerclé le campement de la rue Lamy (voir ici), qui est juste en face du lieu de distribution des repas. C’est un détail, mais les gendarmes n’ont pas tout d’abord coupé la circulation, et on a eu pendant tout un moment des voitures et des autobus tentant de se frayer un chemin dans la foule, journalistes, exilés, militants, gendarmes. Un détail qui témoigne de l’absence d’organisation.
Les gendarmes ont ensuite ratissé le camp tente par tente pour trouver les quelques personnes qui étaient restées là. Ça a duré longtemps. Pendant ce temps, quatre bus se sont garés pour emmener les exilés aux douches. Des explications ont été données au mégaphone, mais personne n’est allé dans les bus. Des exilés ont expliqués que ces bus étaient entourés par les mêmes policiers qui les arrêtent et qui les tabassent, et qu’il n’avaient pas confiance.
Le temps passait dans une ambiance sans agressivité. On a appris que la maire de Calais avait porté plainte pour une dégradation du grillage du lieu de distribution des repas et demandé son évacuation. Et c’est soudainement que des gendarmes mobiles ont sectionné la clôture du lieu de distribution des repas en deux endroits, de l’autre côté, rue de Moscou, pour pénétrer de force. Des exilés se sont précipité, les ont repoussés et ont colmaté les brèches.
Il y a eu un moment de flottement. Puis le directeur départemental de la cohésion sociale (DDCS) est venu seul dans le lieu de distribution pour discuter. S’en ai suivi une négociation de plusieurs heures, portant sur les douches, la proposition de nuitées d’hôtel à Arras ou Béthune pour les personnes prenant leur douche, puis cet accord de statut quo au lieu de distribution pour une ou deux nuits suivi d’une invitation à squatter des terrains.
L’État n’a pas franchi le pas de mettre à disposition un ou plusieurs terrains où les exilés puissent s’installer sans risque d’expulsion, et où puissent être mises en place des conditions de vie compatibles avec un minimum de dignité et d’hygiène – et où il soit possible de soigner de manière sérieuse une maladie comme la gale.
Les choses sont donc restées en tension. Les exilés se sont réuni en soirée pour discuter de la suite.
[Publié le 29 mai 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]