Porto Alegre (Brésil): ne pas se laisser intimider, ne pas baisser les bras !

Communiqué de la Fédération Anarchiste Gaúcha (de Porto Alegre) sur la condamnation de Vicente à un an et demi de prison

Janvier 2015, à la veille de la reprise des luttes contre l’augmentation du prix du ticket de transport et pour une gestion des transports à 100% par le pouvoir public à Porto Alegre, on reçoit le rendu du procès de Vicente, militant de la Fédération Anarchiste Gaúcha* et activiste dans le « Bloc de Lutte pour les Transports Publics » à Porto Alegre. Vicente a été condamné à un an et demi de prison pour dégradation de bien d’autrui et crime environnemental**, des « crimes » qu’il aurait commis en avril 2013 pendant une manifestation du « Bloc de Luttes pour les Transports Publics » devant la Mairie de Porto Alegre. Dans la ville de Porto Alegre, c’est la première condamnation et, pour nous, elle représente clairement une tentative d’intimider l’ensemble des activistes et des collectifs qui sont dans l’organisation de la reprise du mouvement en janvier 2015. Une tactique politique historiquement utilisée par les secteurs dominants de notre ville et du monde entier : l’enfermement de ceux.celles qui se lèvent. On ne baisse pas les bras, notre solidarité sera militante et dans les rues !

Et la criminalisation continue…

Le fait que cette condamnation nous a été communiquée juste une semaine avant la première manifestation de l’année du « Bloc de Luttes pour les Transports Publics » n’est pas un hasard ou la suite logique d’un procès en justice. L’année commence, et en même temps, on commence à faire ressortir les procès qui étaient en cours depuis 2013 : en rajoutant des noms à quelques-uns, et des nouveaux chefs d’inculpation à d’autres. Le procès, dans ce contexte, vise à avoir le même effet qu’un flashball ou une bombe de gaz lacrymogène : c’est une tentative pour intimider et pour freiner les luttes dans les rues qui osent remettre en question les bénéfices des entreprises, et les accords sous le manteau entre les entreprises et les pouvoirs publics.

Cette situation est loin d’être une conjoncture locale : pour ceux.celles qui avaient pensé que le contexte de criminalisation des mouvements sociaux arrivait au bout avec l’essoufflement des manifestations après la Coupe du Monde 2014, les décisions récentes des gouvernements et de leur machine répressive nous indiquent le contraire. À Sao Paulo, à Rio de Janeiro et dans plusieurs villes du Brésil qui ont commencé l’année avec un fort mouvement contre l’augmentation du prix des tickets de bus, la répression continue à utiliser les mêmes moyens : gaz lacrymogène, flashballs et arrestations arbitraires. À Rio, Rafael Braga Vieira, qui avait été le seul à avoir une condamnation après les émeutes de juin 2013, est toujours en prison, et à Porto Alegre, des procès ont été sortis des tiroirs, des nouveaux noms ont été rajoutés et maintenant la première condamnation tombe, sans aucune preuve réelle. C’est la vieille justice bourgeoise qui se place dans la lutte entre oppresseurs et opprimé.es, une lutte qui n’est pas près de finir.

Pourtant, la lutte et l’organisation des classes exploitées ne date pas d’hier, et n’est pas près de s’arrêter. Les jeunes, les travailleurs.ses, les sans-logement, et les quartiers de banlieue se mobilisent. Les grandes manifestations de 2013 ont ouvert des nouvelles possibilités de gestion des expériences organisationnelles et de lutte. L’ensemble de la gauche offensive et anti-capitaliste doit aider à stimuler et soutenir ces pratiques, en laissant de côté les vieilles pratiques d’avant-garde, sectaires et autoritaires, qui malheureusement sont encore présentes dans les discours et les méthodes de beaucoup d’organisations. Nous croyons que c’est la seule façon de créer une force sociale qui, depuis le bas, gère les mécanismes d’auto-organisation et ancre la nécessité de transformation sociale dans l’ensemble de la société. Un vrai front d’opprimé.es, solidaires de n’importe quel.le compagnon.e emprisonné.e, torturé.e, assassiné.e ou disparu.e.

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2015 : avancer dans l’organisation, et renforcer la solidarité avec celles.eux qui luttent !

La sélection opérée par le système pénal devient évidente dans ce cas. Ce procès commence avec un peu plus d’une dizaine d’accusé.es comme responsables pour les dégradations qui ont eu lieu pendant une manifestation avec plus d’un millier de personnes. Tout le long du procès, on a vu que, l’un après l’autre, le nom de tous.tes les accusé.es ont été mis dans les tiroirs, le seul jeune noir et anarchiste parmi eux.elles a été condamné. Maintenant, ils veulent faire ressortir le nom d’un autre militant noir du PSTU (Parti Socialiste des Travailleurs Unifiés). On sait que les raisons principales de cette condamnation sont d’ordre politique-idéologique, mais on ne peut pas omettre le fait que la couleur de peau des accusé.es a un poids important.

Les derniers procès ont mis l’accent sur la criminalisation des collectifs et mouvements anarchistes. En 2013, on a eu nos espaces publics envahis et nos bouquins saisis. On est passé par des lourdes enquêtes où ils ont cherché à évaluer nos positions sur des thèmes comme l’autorité, le gouvernement, les forces de l’ordre, et d’autres sujets chers à l’idéologie anarchiste. Des tracts, des affiches, et des livres ont été joints aux procès, comme s’ils étaient des indices montrant que notre idéologie a un quelconque rôle de mentor intellectuel dans les dégradations et saccages pendant les manifestations de 2013, où plus de 50 000 personnes étaient présentes à Porto Alegre.

Le compagnon Vicente, comme des militant.es et activistes d’autres organisations, collectifs et idéologies, n’est pas le premier, et ne sera pas le dernier militant noir et anarchiste à se faire condamner dans ce Brésil raciste. Des milliers de femmes et d’hommes noir.es et pauvres sont exterminé.es et condamné.es tous les jours par les flics et par la justice bourgeoise et raciste. C’est vers elles et eux que notre solidarité militante se dirige, et c’est avec chaque travailleur.se que nous serrons nos poings. Nous ne nous laisserons pas intimider, et dans chaque manifestation, blocage, grève ou occupation, nous serons épaule contre épaule avec tous.tes celles.eux qui luttent !

Solidarité avec tous.tes les compagnon.es poursuivi.es pour leur lutte !

Pour la fin de la Police Militaire !

Fédération Anarchiste Gaucha – FAG

Notes des traducteur.ices :
* Les habitant.es de la ville de Porto Alegre et de l’État de Rio Grande do Sul. Le terme gaucho/gaucha désigne en Argentine, Paraguay, Chili, à Tarija (Bolivie) et en Uruguay le peuple de gardien.nes de troupeaux de la pampa sud-américaine. Au sud du Brésil, les gauchos/gauchas gardien.nes de troupeaux sont à l’origine du gentilé gaúcho/gaucha, qui sert à désigner les habitant.es de l’État de Rio Grande do Sul. L’étymologie de ce terme aurait pour origine la langue quechua « huacchu » (orphelin.e, solitaire), ou du caló (gitan.e, bohémien.ne espagnol), ou gacho (paysan, amant).
** Au Brésil, les inculpations pour « dégradation du bien d’autrui » sont souvent accompagnées d’une inculpation pour « crime environnemental », ce qui sert, dans la plupart des cas, à augmenter les peines des manifestant.es. Le concept de « crime environnemental » dans ce cas est proche de celui de « détérioration de bien d’autrui », tout changement ou destruction non prévu par la loi pouvant « modifier » ou « polluer » le paysage serait un « crime environnemental », même dans un contexte urbain.