Vendredi 11 septembre à Saint Martin d’Hères (Isère), une famille qui occupait une maison rue Romain Rolland a dû partir de son domicile en catastrophe, sous la menace de plus de 80 voisins hostiles à leur installation dans le quartier. Cette famille a subi des insultes, des menaces de mort, une haine raciale sans complexe (ils sont Roms) et le mépris honteux des institutions qui leur dénient le droit à un logement digne.
Après s’être fait expulser du bidonville d’Esmonin par la mairie de Grenoble en juillet, comme bon nombre d’autres familles sans solution de relogement, et avec la rentrée des enfants approchant, cette famille n’a pas eu d’autre choix que d’occuper une maison vide. Le propriétaire, qui laissait la maison à l’abandon depuis quatre ans, a entamé une procédure judiciaire, comme la loi l’exige. En effet, les occupants sans droit ni titre étaient dans leur droit en restant dans la maison, et ce jusqu’à ce qu’une décision de justice soit rendue. C’est la procédure normale dans ce type de cas, qui protège a minima les plus précarisés en terme de logement.
S’il y a eu des ouvertures de squats dans l’agglomération grenobloise ces derniers temps, c’est parce qu’il y a des gens à la rue. Et s’il y a des gens à la rue, c’est que le droit au logement est attaqué de toute part. Notamment lorsque des campements où vivent – entre autres – des personnes rroms sont évacués par la force, sans qu’aucune solution alternative de relogement ne leur soit proposée (c’est-à-dire la plupart du temps). Or les personnes ne disparaissent pas comme par enchantement parce qu’on ne souhaite plus les voir. Elles ont besoin d’un toit, et vont donc trouver refuge dans des maisons vides. Sur l’agglomération grenobloise, plus de 6000 logements vides sont laissés à l’abandon et à la dégradation alors qu’environ un millier de personnes sont à la rue. Les pouvoirs publics, État, Métropole, conseil départemental de l’Isère, bailleurs sociaux… et communes se déresponsabilisent et se renvoient la balle, refusant d’appliquer une transparence sur les bâtiments vides dont ils disposent et d’appliquer leur pouvoir de réquisition.
Pendant plusieurs jours, des voisins de l’avenue Romain Rolland, ont installé et alimenté un climat d’hostilité envers la famille, en proférant des menaces et des insultes racistes. Et ceci à partir du moment où ils ont su que cette famille était rrom. Vendredi 11 septembre, les voisins ont organisé une manifestation dans le but d’expulser la famille, sur le motif qu’ils ne voulaient pas de personnes rroms dans leur quartier. Cette manifestation a rassemblé plus de 80 personnes. Nous avons entendu des menaces de mort et des slogans incitant à la haine raciale, de type «France aux Français», «cassez-vous de chez nous», «retournez chez vous», «ils sont nés pour emmerder le monde», «ils vont nous amener la saleté et les maladies», «ils sont tous des cambrioleurs et des voleurs». Nous avons aussi vu des saluts nazis. La famille, paniquée, a été forcée de fuir la maison pour se protéger. Sûrs de leur bon droit, les «bons habitants» s’opposent aux «mauvais squatteurs». Ils se font l’instrument, conscients ou non, d’une politique raciste qui trie les populations pour forger une société où certains auraient plus le droit que d’autres au respect et à la dignité.
Alors même que la mairie de Grenoble vient de se porter volontaire pour accueillir des réfugiés en rejoignant les «villes solidaires», il est important de rappeler que nombre de migrants vivent déjà sur l’agglomération et ont droit à une vie digne (logement, accès aux droits, santé, formation…). Tous ont fui des réalités politiques, économiques et sociales invivables, et ils aspirent à construire leur vie ici. Les plus de 300 personnes vivant à Esmonin et expulsées par la mairie de Grenoble cet été en font partie. Il est inacceptable d’opposer les «bons» aux «mauvais» migrants, ceux qu’on accueille à bras ouverts et ceux qu’on jette dehors.
La peur de l’étranger, cette image de l’autre menaçant, fabriquée de toute pièce par les politiques et les médias, font des Rroms, entre autres personnes stigmatisées, une population à détester parce qu’ils viendraient prendre les emplois, les allocations, et piller la France et les Français. Tandis que les riches continuent de s’enrichir, la précarité se généralise. Sur fond de crise et d’austérité, de toute part se multiplient les atteintes aux droits et se renforcent les inégalités sociales et raciales. Cette austérité alimente le repli sur soi et la concurrence entre les pauvres alors que les dominants, eux, ne sont pas inquiétés. Les Rroms sont un des boucs émissaires à qui on reprocherait tous les maux en évacuant les causes sociales et politiques.
Il nous paraît important de rappeler que partout en Europe, les Rroms sont discriminés, pourchassés et agressés. Les politiques des pouvoirs publics (expulsions sans relogement, refus de scolarisation, refus de domiciliation, discriminations diverses dans l’accès aux droits) légitiment la violence raciste. Nous avons interpellé la mairie de Saint Martin d’Hères, mairie PC, vendredi matin pour les alerter sur les réactions inquiétantes du voisinage (menaces et propos racistes) et leur volonté d’organiser une manifestation le soir-même pour expulser la famille. Nous avons aussi demandé à la mairie de pouvoir rencontrer le maire le plus rapidement possible pour trouver une solution de relogement pour la famille. La mairie s’est engagée à rencontrer les voisins l’après-midi même pour calmer la situation et tenter de dissuader les voisins de manifester, ainsi qu’à nous rappeler concernant le rendez-vous avec le maire. Elle ne l’a pas fait et s’est contentée de se rendre sur place au moment de la manifestation (deux médiateurs, la première adjointe, la directrice de cabinet du maire, la directrice du CCAS et le directeur de la sécurité), donc trop tard pour intervenir. Après le départ de la famille sous les applaudissements et les huées racistes, la mairie a proposé une mise à l’abri à l’hôtel pour trois nuits, et s’est engagée à chercher une solution de relogement. La mise à l’abri a été prolongée ensuite pour trois nuits supplémentaires. Au final, aucun relogement n’a pourtant été proposé, et la famille se retrouve de nouveau à la rue sans solution, aujourd’hui 17 septembre 2015. Aucun positionnement public clair n’a été pris de la part de la mairie pour dénoncer la mobilisation, les propos et les agressions racistes sur sa commune.
C’est pourquoi hier, le mercredi 16 septembre, nous nous sommes rendus à la mairie avec la famille pour demander un rendez-vous, afin d’exiger un relogement et une prise de position politique claire et publique. La police municipale nous a empêché d’entrer, a bloqué l’entrée du bâtiment, et la police nationale est venue nous chasser du parvis. Nous dénonçons la lâcheté de la mairie, son mépris et son absence de réaction face à ce qui s’est déroulé sur sa commune. Elle donne ainsi raison à la mobilisation raciste. La mairie s’enferme dans ses locaux comme elle s’enferme dans son déni.
Le collectif de personnes solidaires de la famille expulsée du 33 rue Romain Rolland
[Publié le 18 sept. 2015 sur Indymedia-Grenoble.]
[Ici, le PDF d’une lettre au maire de Saint-Martin-d’Hères.]