Ivry-sur-Seine (94): des nouvelles du Moulin

En avril on avait publié un petit article sur notre entrée au 2 rue Baudin à Ivry sur Seine. Comme il est important pour nous de garder des traces des choses qu’on vit et des luttes qu’on mène, voici une petite mise à jour depuis notre audience au Tribunal d’Instance d’Ivry le 11 septembre dernier.

Deux jours après la publication du premier article, nous recevions une assignation par la poste, grâce à l’entremise des huissiers Jean-Luc Fortunati, Laeticia Morice et Samuel Ardiot (SCP cise 69 Avenue Danielle Casanova, 94200 Ivry-sur-Seine)…

Notons qu’aucun huissier n’a jamais pointé le bout de son nez à la porte du 2 rue Baudin. Pourtant, nous avions pris soin de laisser une sonnette pour chaque étage et une boîte aux lettres accessible pour tout le monde. Pour autant, les justiciers Fortunati, Morice et Ardiot ont préféré envoyer un recommandé avec avis de réception, que nous avons été contraints d’aller récupérer au centre de tri, lui-même perdu dans le no man’s land d’Ivry Port (là-bas même où d’autres huissiers s’emploient à dégager tou-te-s celleux qui gênent encore la mise en œuvre du projet de rénovation urbaine “Ivry Confluences”).

Faire respecter la sacro-sainte propriété privée et maintenir l’ordre public, c’est ce qui donne tout son sens à l’existence médiocre de l’huissier de Justice.

Ainsi, l’OPHLM d’Ivry n’a pas tardé à demander notre expulsion : première audience le 22 mai à 9h. Nous avons obtenu un report, en attente de la décision du bureau d’aide juridictionnelle (BAJ) : nous sommes quatre dans l’immeuble à avoir demandé l’AJ.

Ce que l’assignation nous apprend :

L’immeuble, d’une surface de 234,51 m2, a une valeur vénale de 625 000 euros. Sur demande de l’OPH, qui souhaite vendre l’immeuble “pour se procurer des fonds propres afin de poursuivre sa dynamique de construction de logements neufs” (comprendre “se faire des thunes pour construire des logements plus rentables”), la préfecture a autorisé sa cession le 27 septembre 2014.

L’OPH a constaté notre présence aux 2e et 3e étage de l’immeuble et porté plainte le 30 mars 2015, avant de déposer une seconde plainte le 3 avril “compte tenu de nouvelles dégradations intervenues au 1er étage et du fait que l’immeuble n’était plus du tout accessible, la porte d’entrée ayant été bloquée de l’intérieur” (on peut se demander ici comment l’OPH constate des dégradations au premier étage alors qu’il ne peut plus rentrer dans l’immeuble : ils ont sans doute des nano-huissiers qui passent sous les portes !).

L’OPH demande au Tribunal de 1/ constater notre qualité d’occupants sans droit ni titre ; 2/ ordonner notre expulsion, ainsi que celle de tous les occupants et de leur chef avec, si besoin est, le concours d’un huissier, d’un serrurier et de la force publique ; 3/ nous condamner, par provision, à payer une indemnité mensuelle d’occupation d’un montant de 2000€ jusqu’à la reprise des lieux ; 4/ nous condamner à payer la somme de 1000€ aux dépends (la partie adverse).

Après un été tranquille, une nouvelle audience a eu lieu le 11 septembre.

Dans la grande salle du petit tribunal d’Ivry, c’est comme chaque jour la valse des expulsé-e-s. Propriétaires, Offices de l’Habitat et huissiers y envoient des dossiers à la pelle. C’est le tribunal de la chasse aux pauvres, qu’ils soient locataires ou squatteurs.

Et on a appris à nos dépens que la juge n’aime pas les squatteurs…

Oscillant entre petit rictus de coin de bouche et grand sourire carnassier, la juge nous appelle à la barre. On est quatre à être assignés. L’avocat de l’OPH est présent, notre avocate aussi. La juge nous toise et se fend d’un “ha ! des squatteurs…” avant de nous préciser que “la trêve hivernale, ça ne concerne pas les squatteurs. Si on expulse les Rroms pendant la trêve hivernale, il n’y a pas de raison, ce serait faire deux poids deux mesures…“. Les arguments de nullité ne semblent pas intéresser plus que ça la juge, alors même que l’avocat de l’OPH avoue qu’il s’est trompé en rédigeant l’assignation : le Président de l’OPH est inscrit comme mandataire pour nous assigner alors que le Code de la Construction et de l’Habitat stipule que seul le Directeur Général est habilité à le faire !

Après avoir refusé à notre avocate deux aides juridictionnelles sur quatre (ce qui est assez dégueulasse dans un contexte de fronde des avocats parce que l’AJ ne paye pas assez), on lui fait remarquer qu’il n’y a eu ni dégradation ni effraction pour entrer dans les lieux. Elle nous répond avec un ton condescendant “vous étiez bien conscient en entrant dans les lieux que c’était illégal et que le propriétaire n’était pas d’accord, alors ça ne fait aucune différence…“, avant d’asséner comme un marteau “DÉLIBÉRÉ LE 3 NOVEMBRE !” pour mettre fin à l’audience.

On sera donc fixé sur notre sort le 3 novembre. Et même si la juge était particulièrement exécrable, on pense quand même passer l’hiver au 2 rue Baudin.

On y est, on y reste !

[Publié le 22 septembre 2015 sur Paris-Luttes.Info.]