Turin (Italie): deux textes en solidarité avec l’Asilo expulsé

Dissocié-e-s et balances, bien que Gouines&PDs !*

Indymedia-Nantes, 21 février 2019

À propos de violence et d’anormalité dans le défilé contre l’expulsion de l’Asilo et les arrestations.

À l’aube du 7 février à Turin, Chiara Appendino et sa clique étoilée** assument la responsabilité politique d’évacuer de manière militaire l’Asilo, occupé depuis 24 ans. Six compagnon-ne-s sont arrêté-e-s, accusé-e-s d’association subversive pour la lutte contre les CPR (centres de rétention).

Chiara Appendino et sa clique: ceux-là mêmes qui depuis des années réalisent un travail parfumé de “pink washing” se déclarant amis d’une prétendue identité lgbtq*ia+, afin de légitimer cette guerre contre les pauvres appelée le réaménagement des périphéries. Avec cette stratégie de gouvernement, à Turin comme ailleurs, la Ville élargit les droits des “citoyens gays” pour blanchir leur image et se dédouaner de leur propre violence contre les pauvres, les délinquant-e-s et les hors-la-loi.

La reconnaissance en échange du soutien politique, l’assimilation en échange du silence : à Turin, la Normalité Gay – celle blanchissime, bourgeoise, maritale, blindée d’argent, de papiers et de droits – nettoie l’image des expulsions, déportations et arrestations du Mouvement 5 étoiles. Sans aucune charge subversive, les corps autrefois considérés comme “anormaux” sont aujourd’hui les complices actifs des maîtres de cette ville.

D’un autre côté, il n’est pas surprenant qu’il y ait beaucoup de Gouines&PDs et d’associations lgbtiq de tous les genres parfaitement intégré-e-s au capitalisme urbain et en connivence avec ceux qui gouvernent Turin. Nous le répétons clairement, si c’était encore nécessaire : il n’existe pas d’identité lgbtq*ia+ universelle et se définir Gouine&PDs ne nous rend pas en soi copain-e-s, complices, compagnon-ne-s.
Hier justement un énième geste infâme est venu d’une partie des associations lgbtiq turinoises : la déclaration de Maurice Glbtq à propos de la manif du samedi 9 février contre l’expulsion de l’Asilo et les arrestations effectuées au cours de l’opération “Scintilla”. De toute évidence, certains “citoyens gays” ne profitent pas de cette énième vague de répression pour réfléchir sérieusement – et une fois pour toutes – à leur connivence avec l’administration étoilée. Ou alors pour critiquer les politiques de “pink washing” de la mairie. Ou encore pour s’interroger sur la violence de la “normalité” que Chiara Appendino, en louant le travail de la police et des forces de l’ordre, voudrait imposer à Turin. Sur ce, l’histoire des corps définis comme “anormaux” pendant des siècles en Occident pourrait nous apprendre quelque chose.
Au lieu de cela, Maurice Glbtq choisit de réifier un récit fantasmé et légaliste, prenant ses distances par rapport à la rage qui éclate dans la rue, aux corps indociles qui, au cours de ces journées de résistance, ont défendu l’Asilo, tentant à juste titre de contre-attaquer pour reprendre un espace qui depuis 24 ans impulse de la vie dans le quartier et qui est aujourd’hui entouré d’une zone rouge*** de mort.

Le Maurice Glbtq qui se dissocie de la rage du défilé, tout en rendant son hommage à un homosexuel arrêté, lui imposant, entre autres, une visibilité sans consentement, à l’instar des journaflics. Une prise de position imbibée d’identitarisme et de respectabilité, qui ne soutient certainement pas ce que portent ces subjectivités anormales qui se battent depuis des décennies contre la famille hétérosexuelle patriarcale bourgeoise et contre la violence de l’État.
Condamner les actes de la manifestation ? En tant qu’expression d’une «masculinité mal vécue» est l’autre côté de cette violence et de sa logique paternaliste et pathologique. Très loin de l’intersectionnalité tant revendiquée des luttes, il ne s’agit certainement pas d’une simple liste d’identités ou d’appartenances, ni d’une distinction infâme entre les gentils dociles, normaux, visibles et les mauvais-es émeutièr-e-s, indécentes, marginaux.

Nous, Gouines&PDs qui nous vivons différent-e-s tant du masculin que du féminin, sommes resté-e-s dans ce cortège jusqu’au bout, avec toute notre colère. Contre ceux qui, à Turin, répriment, éliminent, arrêtent et expulsent au nom de la normalité et du décorum. De l’Asilo aux CRA, en passant par les camps roms et le marché aux puces.

Complices et solidaires avec l’Asilo et les arrêté-e-s !
SILVIA, LARRY, NICCO, BEPPE, GIADA, ANTONIO, ANTONELLO, IRENE, GIULIA, FULVIO, GIULIA, CATERINA, MARTINA, CARLO, FRANCESCO ET ANDREA LIBER*!
Tutt* liber*!
Nos pensées vont également aux poules qui ont résisté à l’expulsion de l’Asilo jusqu’à la fin.
Toutes les poules détestent la police! (NdT: en francais dans le texte.)

Puisse notre colère balayer la normalité fasciste.

Quelques anorma* de Turin

Notes:
*Frocie : Tapette, tafiole. J’ai pas trouvé d’équivalent en francais, fonctionnant quel que soit le genre, et réaproprié par les concerné-e-s.
**Chiara Appendino : Maire 5 étoiles de Turin, quelques jeux de mots peu traduisibles sont devenus un qualificatif ” étoilé”.
*** Durant l’expulsion de l’Asilo et les jours qui ont suivi, une zone rouge empêche l’accès au bâtiment.

Manif cabaret sauvage

Attaque, 24 février 2019 (Traduit depuis Macerie, vendredi 22 février 2019)

21 février. Les initiatives contre l’expulsion de l’Asilo et le siège des forces de l’ordre continuent dans le quartier Aurora : tard dans l’après-midi, une manif sauvage de 200 personnes, avec à l’avant des masques sans scène, a traversé les rues du quartier, avec des slogans pour la liberté et des petits spectacles ironiques contre police et politiciens. La réponse du dispositif sécuritaire a été de fermer pendant des heures les rues principales du quartier.

Voici le tract diffé dans la rue par cette troupe de théâtre :


(Affiches collées dans le quartier. Jeu de mot entre l’appeso (le Pendu des tarots) et Appendino, le nom de la maire de Turin, dont le mari, il faut le rappeler, a un magasin Via Cibrario, 19.)

Ces jours-ci, l’absurdité est devenue la norme, le délire sécuritaire est devant nous, tel un cauchemar les yeux ouverts : les gyrophares, les charges de police sur les bus, les check-points à passer pour rentrer chez soi.

Celle-ci est leur normalité : violence et répression. Normaux sont les cadavres des migrants morts de froid sur les montagnes ou brûlés dans les bidonvilles du Sud. Normales sont les expulsions locatives par surprise, normales les rafles dans les squares, normale la chasse au vendeurs à la sauvette. Celle-ci est votre normalité… et alors nous, on est fiers d’être des subversifs ! On crie haut et fort qu’on veut renverser cet ordre des choses, votre normalité. Nous nous déclarons coupables, complices et solidaires de ceux qui luttent contre ce monde absurde, à côté de ceux qui ne plient pas la tête face à la violence et aux injustices. Nous avons déclaré la guerre à votre normalité qui sent le fascisme et nous visons la subversion de ce qui existe, à partir de l’imaginaire. L’art est révolte.

Nous renversons votre monde culturel fait de cartes d’abonné, de tickets très chers et d’ennui. Une culture dépourvue de tout esprit critique, pour se faire accepter, pour pouvoir espérer dans une quelconque subvention étatique-européenne, toujours à l’affût de sponsors et promoteurs. Des rangs et des rangs d’« artistes » formés dans des écoles chères, prêts à promouvoir les événements de cette ville, afin de la rendre culturellement cinglante, pour attirer des riches et des touristes alléchés par les oripeaux artistiques cachant le conformisme gris propre aux villes toutes égales. L’art comme marchandise dans des villes qui ressemblent toujours plus à des centres commerciaux.
À moins que ce ne soit la ville elle-même, le produit à vendre !

On les a vus, ces prétendus artistes, promouvoir le quartier Aurora tel une marchandise en solde, en montrer les beautés et en cacher les impudicités. On les a vus le sillonner, le raconter, le photographier, cela derrière une peu artistique rangée de flic.

Vos goûts se marient bien avec le bleu des keufs.

L’art comme plus-value, comme valeur ajoutée. Et si la valeur d’un quartier augmente, ses prix augmentent aussi et tout devient à mesure de riche. Et ceux qui y habitaient avant ? Un bon journaflic saura les transformer en criminels, du coup ceux qui vivaient avant dans les rues d’Aurora sont aujourd’hui taxés d’être des dealers, des vendeurs à la sauvette, des insurrectionalistes, des vecteurs d’insécurité. Ce sont les infâmes plumitifs qui produisent de la peur, qui demandent expulsions, police et nettoyage. Mais maintenant que vous avez la police et qu’elle contrôle vos papiers à chaque pas que vous faites, voilà que vous découvrez ce que c’est la peur, ce que c’est la ségrégation. Voilà que la sécurité tant désirée s’est montrée avec son vrai visage : c’est du fascisme.

Derrière ce siège il y a les visages souriants d’investisseurs et avant-gardes culturelles, mais surtout du groupe lié à la Scuola Holden [NdAtt.: école branchée de « storytelling » et de communication, fondée par le romancier-businessman Alessandro Baricco et installée dans des locaux communaux au Balôn, dans Aurora.], qui déjà par le passé s’était proposé pour investir dans les locaux de l’Asilo Occupato. Pour Madame la maire, rendre un immeuble aux citoyens, cela signifie militariser tout un quartier et faire cadeau de ces locaux à une élite financière qui cache ses revenus en brandissant les drapeaux de l’instruction et de la culture.

La culture est, depuis toujours, la voix et l’image de l’État, elle est sa violence transformée en spectacle, ce n’est pas un hasard si les fascistes se cachent toujours derrière la défense de l’identité culturelle nationale. Mais votre culture n’a rien à voir avec la culture populaire qui naît de la rencontre et de l’expérience des gens ; elle n’a rien à voir avec le désir d’un changement radical ; elle ne connaît pas la farce, le jeu et la spontanéité ; mais, surtout, elle oublie ce que c’est la création, c’est à dire l’autre face de la destruction.

Dans l’Asilo, on a détruit vos logiques de domination, de marchandisation, de débilitation virtuelle, d’égoïsme et de violence envers les plus faibles. On est en train de construire un nouvel horizon, en sont la démonstration l’amour et la rage qui ont enflammé les rues de Turin, toutes les actions et les témoignages de solidarité arrivés de partout. Parce dans l’Asilo on construit des actions et des relations qui sont poussées par un désir inné de liberté, voilà tout.

Pour la culture de la subversion !
Liberté pour tous ! Liberté pour toutes ! Liberté pour l’Asilo ! Liberté pour Aurora.