Malakoff: le Malaqueen, tiers-lieu alternatif, solidaire et culturel est menacé d’expulsion

Depuis près d’un an, une cinquantaine de personnes habitent au sud de Paris dans des anciens bureaux transformés en lieu solidaire. Aujourd’hui, le “Malaqueen” est menacé d’expulsion par le nouveau propriétaire, l’entreprise Lazard Group Real Estate.

Au premier abord, le bâtiment paraît austère. C’est un large bloc marron de deux étages au milieu d’un quartier résidentiel de Malakoff (Hauts-de-Seine), aux portes de la capitale. Des caméras de surveillance encerclent le site. Et pour cause, il hébergeait auparavant une organisation intergouvernementale européenne pour la collaboration des programmes d’armement (l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement).

Aujourd’hui, la façade est égayée par un drapeau arc-en-ciel et des feuilles rouges et blanches collées sur la façade sur lesquelles on lit « Malaqueen ». « C’est une contraction entre Malakoff et Queen, comme on est un squat féministe », explique Lucie*, une habitante du lieu.

Depuis mai 2021, ces bureaux laissés vacants ont été investis par plusieurs dizaines de personnes en situation de précarité. En près d’un an, celles-ci en ont fait un lieu alternatif d’hébergement et d’animation. Ce qui devait être de banals bureaux est désormais soigneusement aménagé en un lieu de vie : une cuisine spacieuse, une salle de fête, une pièce pour faire de la couture avec tout le matériel nécessaire, une autre aménagée en atelier de poterie et de céramique.

« J’ai plus un côté artistique, mais les gens aiment bien faire des choses utiles, des bols, des tasses, alors je m’adapte », glisse Lucie, qui anime l’activité. Un peu plus loin, une salle de classe a aussi été aménagée. S’y tient une fois par semaine, gratuitement, des cours de français langue étrangère. À l’étage, les bureaux ont été transformés en chambres. En tout, entre quarante et cinquante personnes vivent au Malaqueen. Elles sont exilées, trans, dans des situations de précarité diverses. Il y a aussi des familles avec des enfants en bas âge.

Un squat soutenu par le voisinage

Le jeudi 21 avril, une vingtaine d’habitants et de soutiens ont pris la route du tribunal de Vanves. Après plusieurs renvois, une audience s’y est tenue au sujet de la procédure d’expulsion menée par Lazard Group Real Estate, propriétaire des lieux. C’est l’un des géants français de l’immobilier de bureaux. L’entreprise a acheté le bâtiment en 2019 et compte le raser pour en construire un tout neuf, plus grand, plus haut.

Le projet suscite l’opposition d’un collectif de voisins. Aussi, une partie du voisinage soutient aujourd’hui le Malaqueen dans la procédure judiciaire. « Les résidents du tiers-lieu sont mes voisins. Ils sont soucieux de s’ouvrir aux autres, proposent des rencontres qui n’auraient sûrement pas lieu sans leur présence. Je me suis moi-même inscrite à l’atelier de poterie et céramique qui m’apporte beaucoup », a par exemple écrit une voisine en soutien au lieu.

« J’habite en face des locaux occupés et je suis content qu’ils le soient par ce collectif. C’est agréable de voir une vie en communauté ouverte et responsable », abonde un autre. « En tout, nous avons 17 attestations de témoins de voisinage qui soutiennent que le squat est bien géré, qu’on apporte quelque chose au quartier, avec des activités culturelles à bas prix », se félicite Lou*, habitante du Malaqueen.

En plus d’être ouvert sur le voisinage, ce squat est aussi un lieu militant. Par exemple, le Front de libération intersectionnel radical transfem (FLIRT), un collectif d’aide mutuelle entre jeunes femmes trans, y organise plusieurs fois par mois un moment d’échanges. « C’est un lieu particulièrement bénéfique pour la communauté trans. On s’y sent bien, accepté.es et écouté.es. Ça serait terrible de voir ce lieu d’aide et de partage disparaître », témoigne une membre du FLIRT.

Lazard Group Real Estate demande un million et demi d’euros

Durant l’audience, les débats s’orientent sur la sécurité du lieu. Outre l’invocation du droit de propriété, l’avocate de l’entreprise argue que les locaux ne sont pas adaptés à l’habitat et qu’il faut expulser au plus vite pour des raisons de sécurité. « En revanche, elle n’a même pas évoqué le projet d’immeuble prévu par leur groupe », souligne Lou.

L’avocate des habitant.e.s du Malaqueen, Hanna Rajbenbach, pointe la contradiction entre l’argument de la sécurité et la volonté d’expulser des personnes en situation de grande précarité. Elle met en avant un diagnostic réalisé par un architecte qui atteste que les principales normes de sécurité sont respectées au sein du bâtiment.

En plus de l’expulsion du squat, l’avocate de Lazard Group Real Estate demande 1,5 million d’euros aux habitant.e.s, pour le manque à gagner que le Malaqueen aurait coûté à l’entreprise. La demande peut paraître fantasque au vu des profils présents au sein du Malaqueen. Beaucoup n’ont que peu de ressources et habitent dans ce bâtiment notamment pour échapper aux loyers toujours plus exorbitants de la capitale.

Leur avocate a demandé un délai de grâce, arguant qu’il n’y a aucune urgence au départ des habitant.e.s set qu’une expulsion hâtive en mettrait beaucoup en situation de vulnérabilité. Elle a aussi demandé le rejet de tous les frais, pointant du doigt la situation économique et sociale de ses clientes. Le délibéré sera connu le 2 juin.

« On est assez soulagé que le procès soit passé. C’est quand même beaucoup de stress », confie Lou. La date du délibéré laisse aussi un peu de marge avant une potentielle expulsion. « Et puis, si on est expulsé, c’est probable qu’on ait un délai de deux mois avant, donc ça nous laisse déjà jusqu’à début août », espère-t-elle.

« Ce délai est un délai de droit uniquement si les personnes ne sont pas rentrées en commettant une voie de fait. Selon moi, il n’y a pas suffisamment d’éléments pour prouver la voie de fait. Donc il est envisageable, mais pas garanti », explique Hanna Rajbenbach. Sinon, les habitant.e.s auront seulement 48 heures pour quitter les lieux.

Sur place, on est plutôt confiant, et espère même l’obtention d’un délai de grâce qui pourrait permettre de tenir jusqu’à la prochaine trêve hivernale, le 1er novembre prochain. « Après, la date de la trêve, la juge l’a aussi en tête », rappelle leur avocate. En attendant, les habitant.e.s ne « se laissent pas abattre ».

Le week-end du 21 mai, il est déjà prévu de fêter l’anniversaire du Malaqueen. Ça fera un an que le lieu est ouvert. « Ce serait bien que les squats durent un peu plus qu’un an. Les expulsions rapides deviennent la norme, et c’est de plus en plus dur de créer des espaces de libertés », regrette Lou. Au Malaqueen, on espère poursuivre cette liberté le plus longtemps possible.

*À la demande des intéressées, certains prénoms ont été modifiés.

Malaqueen
70 rue Gallieni
Malakoff
malaqueen [at] riseup [point] net
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texte et photo de Pierre Jequier-Zalc, Basta, le 4 mai 2022 https://basta.media/le-malaqueen-tiers-lieu-alternatif-solidaire-et-culturel-est-menace-d-expulsion