Ivry-sur-Seine (94): retour sur l’expulsion des locaux squattés du PCF

Il y a quelques semaines, on a tenté d’occuper une maison à Ivry-sur-Seine. Ça n’était pas du goût du PCF local à qui le bâtiment appartenait. Voici un petit déroulé de ce qui s’est passé.

Au départ on était un petit groupe à chercher une nouvelle maison. Comme on n’a pas toustes la thune ou l’envie de trimer jusqu’à la sciatique pour s’en payer une, et qu’on a aussi envie d’espace pour vivre et s’organiser, on s’est dit qu’on allait en prendre une qui était abandonnée. Après tout, pourquoi pas ? Assez vite y en a une qui nous a tapé dans l’oeil, faut dire qu’on pouvait pas vraiment la rater. À un coin de rue, bien en vue, trône l’ancien local du PCF d’Ivry. Drôle de symbole de l’âge d’or du communisme à la papa des banlieues rouges où ça pouvait se payer un petit palace qui domine le centre-ville et qui après des décennies de perte de vitesse a fini par être complètement délaissé. Pour être honnête, nous on n’a pas fait si attention que ça au fait que ça leur appartenait, on a surtout vu un bel espace d’activités, un jardin et une terrasse avec une vue imprenable mais on ne va pas se mentir on s’est dit que c’était un petit plus d’emmerder le PCF au passage. On a juste trouvé triste que les barreaux à toutes les fenêtres donnent un look de bunker à la maison, en même temps iels sont plutôt lucides les cocos de prévoir qu’à force de trahisons politiciennes des personnes qu’iels prétendent défendre il valait mieux se préparer à avoir quelques ennemi.e.s.

Si ce qui te passe par la tête en lisant c’est « roh s’en prendre aux communistes quand même ! » ou « convergeâââââânce des luttes ! » on va te faire un petit rappel de ce que c’est le Parti des Crevards de France :

  • Rien que l’année dernière à Ivry-sur-Seine, la mairie ordonnait l’expulsion des ancien.nes habitant.es du CSA en pleine trêve hivernale, qui avaient obtenu à force de lutte et de mobilisation de pouvoir passer quelques nuits au gymnase Joliot-Curie après avoir été jeté.es de chez elleux 5 jours avant la dite trêve. Si vous voulez plus d’infos : Chronique d’une lutte pour le logement à Ivry-sur-Seine (récit de la mobilisation des ex-habitant.e.s du CSA contre les expulsions et le mépris)
  • Les habitant.es du foyer Michelet, qui va être détruit à la fin de l’année, vont se faire expulser par Adoma, main dans la main avec la mairie, sans forcément de solution de relogement décente (ou tout court) pour toustes.
  • Alors que des centaines de personnes dormaient sous le pont Nelson Mandela l’été 2022 (dont d’ailleurs des personnes expulsées d’un squat à Ivry quelques semaines plus tôt), Bouyssou (maire d’Ivry) vient dire à la préf’ que c’est pas bien, qu’il faudrait réquisitionner des bâtiments pour loger tous ces gens qui gâchent sa vue. Ben, fais-le toi, non ? On le sait maintenant qu’entre le PCF et la mairie, y en a des maisons vides… Difficile de faire plus hypocrite.
  • Plusieurs dizaines d’expulsions sont prévues rien que sur Ivry à la fin de la trêve, dont certaines dans des logements appartenant à la Coop’Ivry, donc à la mairie.
  • On pourrait en citer plein, des cas comme ça, juste sur ces dernières années, qui se limitent pas du tout au PCF d’Ivry mais à tout le parti. Mais on peut aussi remonter bien plus loin : on vous joint une brochure qui retrace la déchéance raciste du PCF, jusqu’à l’expulsion au bulldozer du foyer de travailleurs maliens à Vitry en 1980. Le lien vers la brochure en question : [Brochure] Enterrer les morts-vivants (Réflexions sur la racialisation, le PCF et communisme à travers l’affaire de la destruction au bulldozer d’un foyer de travailleurs immigrés en 1980 à Vitry-sur-Seine)

Donc voilà, tout ça pour dire que la suite des événements ne nous a pas beaucoup surpris, mais on tient quand même à la raconter.

On était donc déjà installés depuis un p’tit temps lorsque les baqueux arrivent ce mercredi 22 mars vers 16h. On se disait que c’était une éventualité que les preuves soient pas trop prises en considération, mais ptet pas à ce point-là. Ils les ont même pas touchées, « des photos et un contrat d’élec on en a rien à foutre, on va vous dégager dans la journée ». Bon. On s’inquiètera plus tard sur l’avenir des possibilités de squatter si ça se passe toujours comme ça mais ça ne nous arrêtera pas. Le truc c’est qu’il leur faut quand même a minima une autorisation pour nous expulser illégalement ;), et c’est là que le PCF intervient. Sarah Misslin, présidente de la SCI à qui la maison appartient, est aussi adjointe au maire d’Ivry et chargée de la propreté de l’espace public, de la tranquilité publique et prévention de la délinquance (haha). On imagine que sa place à la mairie a bien permis d’accélérer la procédure d’expulsion. Elle et le commissaire se sont mis d’accord sur une version commune selon laquelle on se serait « implanté.es » dans le bâtiment le midi même, pour que ce soit du flagrant délit et avoir l’autorisation du proc de cesser ce délit. Le PC et les keufs main dans la main. Pas étonnant une nouvelle fois, mais toujours fun de se rappeler que ça dénonce les violences policières (on a même retrouvé des affiches d’une soirée sur ce thème organisée dans la maison) mais ça court chercher les flics pour expulser des gens d’un bat’ vide. Parce que bon la propriété privée c’est quand même bien quand c’est la leur. D’ailleurs, pendant que les keufs étaient à 15 sur une personne à l’intérieur y’avait une délégation du PCF cachée sur un coin du trottoir protégée par d’autres keufs.

Mais revenons-en au déroulé de l’expulsion. Une première équipe de baqueux arrive sur place avec ses réflexes habituels de coups dans le portail et menaces de cowboy. Ensuite pendant quelques heures les baqueux restent à la porte en attendant les renforts (un autre équipage de la BAC et une trentaine de condés de la CSI 94). Pendant ce temps les soutiens se rassemblent sur le trottoir. Sur la journée c’est une cinquantaine de personnes qui viendront donner de la force aux squatteur.euse.s et mettre la pression aux keufs.

En fin d’après-midi, les bleus sont enfin prêts à intervenir. Après un tel temps de préparation, on aurait pu s’attendre à une opération un peu rôdée mais c’était sans compter l’éventail un peu limité de résolution de problème des flics que l’on pourrait résumer rapidement par « on tape où, chef ? ». Face à eux deux portes, chacune s’ouvrant très ostensiblement vers l’extérieur (en tirant plutôt qu’en poussant quand on est dehors pour celleux qui ont du mal à suivre), il en faut plus pour décourager nos héros du jour armés de leur éternel et subtil bélier. Les plus fins d’entre eux remarquent qu’une vieille porte en bois se tient à côté de la porte anti-squat. Trop heureux de leur trouvaille ils ne s’arrêtent pas au fait qu’elle n’a visiblement pas été ouverte depuis quelques années et qu’elle est donc très probablement condamnée. S’en suit un petit drame qui voit la vaisselle du PCF s’écraser au sol depuis un meuble qu’un réaménagement malheureux a placé derrière le mur qui condamne la porte. Dépités mais pas complètement découragés nos braves schmitts se résignent à faire face à la porte anti-squat. Après deux-trois coups de bélier sans conviction (dans une porte qui rappelons-le en plus d’être en métal renforcé s’ouvre en la tirant) le constat est sans appel : « ah ouais on est baisés là ». Alors que les baqueux sont en AG pour savoir comment rentrer, une partie de ceux de la CSI font le tour du jardin, non sans casser rigoureusement chacune des fenêtres qu’ils croisent en chemin. Mais ne leur jetons pas la pierre trop vite, qui n’a jamais rêvé d’être payé à casser des vitr(in)es ? Après moult rélfexions, les baqueux décident de disquer les barreaux d’une des fenêtres.

À ce moment là à l’intérieur, on finit par prendre la décision de sortir du bat’ de nous-mêmes parce que ça menace de gazer par les fenêtres et qu’on préfère être dans le jardin plutôt que de les attendre dans une pièce. Les keufs nous attendent devant la porte, nous fouillent un.e par un.e et nous foutent dans un coin sous bonne surveillance. Le dernier à sortir n’a pas le temps de nous rejoindre qu’il se fait emmener de nouveau dans l’entrée de la maison, accueilli par une horde de condés surexcités, puis on y est toustes passé.es un.e par un.e. Visiblement, les ordres étaient de récupérer nos identités et de faire des reconnaissances faciales au TAJ (Traitement des Antécédents Judiciaires). Au départ, ça a quand même pas été facile pour eux parce qu’on essayait de pas se laisser isoler, et qu’ils ont mis du temps à comprendre pourquoi on refusait les photos, parce qu’après tout « c’est qu’une photo, vous êtes cons ou quoi ? ». Ils ont fini par abandonner la prise d’identité parce que « ça va être trop long » (1 point pour nous) et se sont concentrés sur les photos, qu’ils ont prises de force, en intimidant et étranglant celleux qui résistaient. Au final ça a un peu chahuté, on s’est fait sortir à coup de pied, et on a l’impression que pas mal de photos seront pas exploitables pour le TAJ mais qu’ils les ont gardées à d’autres fins, sympa.

On s’est donc retrouvé.es dans la rue avec les personnes venues en soutien, ce qui faisait quand même une bonne quarantaine de personnes derrière une ligne de CSI. On est resté.es un peu pour demander à récupérer nos affaires, et au moment où on s’est dit de bouger, des flics un peu zélés ont choppé une personne dans le groupe qu’on n’a pas réussi à rattraper. On s’est pris des chassés et des patates dans la tronche, et en prime une grenade lacrymo qui grâce au vent et à leur légendaire maîtrise a fait pleurer que les keufs. Ça c’était pour la partie pas fun.
Sur ce, on s’est barré.es. Une heure plus tard, on s’est dit que c’était quand même sympa d’aller brailler devant le comico pour faire entendre à notre pote qu’on était venu.e.s en soutien, et faire entendre aux keufs qu’ils se débarrasseraient pas de nous aussi facilement. Là où les journaleux n’ont pas tort, c’est qu’on est reparti.es en voyant les chtars arriver, parce qu’on en avait marre de voir leurs gueules et qu’en plus on avait mieux à faire, puisque nos chers cocos du PC faisaient justement une AG à la mairie, à deux pas du comico. On a donc usé de notre plus belle prose pour leur dire à peu près ce qu’on pensait d’eux, jusqu’à ce que les baqueux déboulent (assez rapidement en réalité), dommage, c’était pas vraiment à eux qu’on voulait parler. On a presque toustes réussi à esquiver le contrôle, et celleux qui ont dû les croiser s’en sont bien tiré.es. Après ça, on a eu l’occaz de bien se marrer en lisant l’article qui est sorti dans les médias à peine une heure après vue la quantité de conneries qu’il raconte (et de se rassurer sur le fait que le PC et les keufs n’ont pas grand mal à trouver vite des oreilles journalistiques attentives à leurs tracas), et c’est sans parler de tous ceux qui l’ont repris pour étoffer leurs actus avec lesquelles on se torcherait bien le cul.

La conclusion de tout ça c’est qu’on est quand même reparti.es avec une magnifique soupière et une bouteille de pif bouchonnée, que le PCF a démontré une fois de plus dans quel camp il était, et que nous on va continuer à ouvrir des maisons, et que tant qu’on sera là on les laissera jamais tranquilles.

ACAB cependant.
Des anarchistes

[Publié le 19 avril 2023 sur Paris-Luttes.info.]